C’est une synthèse sur près de deux siècles et demi d’histoire que nous livre Yvette Katan Bensamoun, maître de conférences à Paris I et auteur entre autres de villes et société urbaines au XIXe siècle.
Pour l’auteur, le choix de limiter le sujet aux trois pays du Maghreb que sont la Tunisie, l’Algérie et le Maroc s’explique par la présence coloniale française qui a durablement marqué l’histoire de ces trois pays. Pour autant, ces trois territoires étaient, juste avant de subir la colonisation en cours de modernisation. Cela permet de remettre en cause ou de nuancer cette idée selon laquelle le développement de ces pays doit tout à la présence européenne.

Pour autant, depuis le XVIe siècle le Maghreb est tout de même resté à l’écart du développement industriel et les faibles rendements agricoles n’ont pas permis d’accumulation primitive du capital. Il existe pourtant, notamment en Tunisie, un artisanat de masse, une sorte de proto-industrie, autour du tissage. A partir du début du XIXe siècle, les marchands européens qui ont pu limiter les conséquences de « la course », et donc l’action des corsaires, bénéficient de privilèges dans les trois territoires qui leur permettent de concurrencer les productions locales.
Au niveau politique les trois territoires connaissent des destins différents. Dès le XVI siècle, et pour faire pièce à la menace espagnole les algérois font appel aux frères Barberousse qui s’installent sur la côte et se livrent à de fructueuses opérations de piraterie contre les marchands de Méditerranée. L’auteur évoque d’ailleurs, et avec juste raison, les résistances berbères à l’imposition d’un ordre ottoman longtemps resté précaire et, à partir du début du XIXe, très distant. La Tunisie connaît le même destin, avec le beylicat, tandis que le Maroc résiste au triple assaut, portugais, espagnol et Turc.

Pays favorisé par son ouverture maritime, le Maroc connaît une monarchie nationale depuis le VIIIe siècle. Certains y détectent également un sentiment national dès cette époque. Le système marocain repose en effet sur un équilibre subtil entre le bled makhzen et le bled siba. Le premier représente le territoire soumis à l’administration centrale tandis que le second lui échappe au moins en partie. Dès le XVIIIe siècle, une fois chassés les portugais, le Maroc peut jeter les bases d’une modernisation politique même si les enclaves espagnoles résistent à la reconquête. En réaction, le Roi Moulay Slimane ferme le pays jusqu’à sa mort. Cette politique ne résiste pas aux pressions européennes que ses successeurs subissent à partir de 1824.

La conquête de l’Algérie par la France constitue un grand tournant de l’histoire du Maghreb. Même si cette période est mieux connue que la première, du fait des très nombreux ouvrages parus sur la colonisation, la synthèse de Yvette Katan Bensamoun se révèle fort utile.
Le troisième chapitre s’ouvre en effet sur les relations complexes de l’Algérie avant 1830. et décode cette incompréhensible affaire Bacri-Busnach qui conduit le Dey Hussein à frapper de son chasse mouche le Consul de France. La conquête devait durer en fait 27 ans !
L’ouvrage traite l’ensemble des grands épisodes de cette colonisation et apporte un regard qui renouvelle sensiblement l’historiographie. On appréciera par exemple les réflexions sur le despotisme éclairé de l’Émir Abd El-Kader, ou les balbutiements d’un nationalisme appuyé sur l’Islam avec Abd El Krim, lors de la guerre du Rif. L’auteur insiste également très longuement sur le bilan scolaire de la colonisation ou sur l’impact économique, ce qui en constitue la partie la plus intéressante.

Un chapitre entier est consacré à l’action scolaire en Algérie mais le Maroc et la Tunisie ne sont pas oubliés. De ce point de vue l’auteur parle de l’échec de l’assimilation, voire de ségrégation scolaire, ce qui relativise quand même le point de vue de ceux qui, par un raccourci saisissant évoquaient la générosité de la France opposée au système colonial britannique, il est vrai. Toutefois, cette école a quand même semé au Maroc comme ailleurs les germes d’une évolution future.

La guerre de 1914 tout comme celle de 1939-1945 et l’impôt du sang prélevé sur les populations indigènes, mais aussi sur les européens d’Afrique du Nord sont également traitées. Sans doute rapidement car ce sont des sujets assez peu connus, toutefois la synthèse est complète et permet de disposer, en peu de pages, de connaissances essentielles.
C’est d’ailleurs pour le dernier chapitre que ce sens de la synthèse de l’auteur fait merveille. En quarante pages tous juste, Yvette Katan Bensamoun, l’auteur traite des indépendances des trois pays du Maghreb sans que l’on puisse trouver le moindre oubli majeur.

En fait, ce que l’on pourrait trouver de discutable dans cet ouvrage est quand même l’absence des colons qui ont bien été présents dans cette histoire du Maghreb. Certes l’on parle des italiens de Tunisie, plus proches des tunisiens que des français ou encore des déportés de 1848, mais cela reste très rapide. On aurait pu sans doute, surtout pour l’infirmer d’ailleurs évoquer la question d’une société « pied noir », ne serait-ce que pour éclairer le présent de cette histoire.

Au-delà de ces remarques, il est tout de même évident que sous un format accessible, l’étudiant d’histoire mais également l’enseignant de lycée pourra disposer d’un ouvrage très complet permettant de disposer des connaissances récentes sur l’épopée coloniale dans ce Maghreb qui est finalement très proche.

© Clionautes – Bruno Modica