Cet ouvrage rassemble les textes des interventions données par des universitaires, historiens chercheurs en histoire contemporaine, tous spécialisés dans l’histoire des droites et de la vie politique française, lors d’une journée d’étude consacrée à la brève histoire du Parti républicain de la liberté. Il réunit dix communications, auxquelles s’ajoutent une introduction, un conclusion, une trentaine de pages d’annexes (dont l’inventaire des sources et archives relatives au PRL) et un index. Écrites par des spécialistes contraints à des textes assez brefs, inscrites dans le cadre d’un renouvellement historiographique qui accorde une plus large place à ce petit parti, traitant de la recomposition des droites dans un contexte politique et historique très complexe (les élections aux assemblées constituantes et la genèse de la IVe République), ces communications, pour être très techniques, sont néanmoins très problématisées, structurées, accessibles, et fort utiles pour mieux comprendre l’évolution qui conduit de la fin de la IIIe République aux débuts de la IVe. Un ouvrage qui bénéficie évidemment de la qualité éditoriale habituelle des Presses universitaires de Rennes.
Les droites en miettes à la Libération
On fait entrer dans le champ de la droite à la fin de 1945 les groupes politiques, qu’on désigne alors sous la dénomination de « modérés », situés en dehors de la majorité parlementaire d’octobre 1945 et du Gouvernement provisoire de la République française qui s’appuie sur une coalition tripartite : PCF-SFIO-MRP. La droite extrême n’existe plus à cette époque : ses militants se cachent ou sont en prison, quand ils n’ont pas été exécutés. On trouve dans cet ensemble des « modérés » : la Fédération républicaine et l’Alliance démocratique, les deux grandes formations de la droite libérale et du centre-droit de la IIIe République, qui ont bénéficié de leur présence dans le Conseil national de la Résistance. Le Parti social français, qui trouvait son origine dans la ligue des Croix-de-Feu dissoute par le Front populaire, a été considéré comme dissout. Mais il a donné naissance à un Parti de la réconciliation française durant l’été 1945, qui est considéré comme son continuateur.
Ces trois formations de droite sont profondément divisées. L’Alliance démocratique se partage entre ceux qui ont rallié la résistance (leur leader Joseph Laniel), et ceux qui considèrent Pierre-Étienne Flandin comme leur leader naturel, alors qu’il a appelé à voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940, et qu’il a exercé des responsabilités ministérielles sous Vichy. L’opposition est vive entre ces deux tendances et le parti est proche de la scission. La Fédération républicaine est, elle aussi, divisée entre les partisans de Louis Marin, le vieux chef de cette organisation qui s’est tenu à l’écart du régime de Vichy, qui fut nommé membre du Conseil national de la Résistance et qui est partisan d’une épuration de son parti, et ceux qui, derrière le député de Paris Joseph Denais, ont un regard plus nuancé et plus accommodant sur Vichy. Chez les anciens adhérents du Parti social français du colonel de La Rocque, la division n’est pas moins grande. Deux formations se considèrent comme les héritières du puissant PSF : le Parti de la réconciliation française, inspiré par le colonel de La Rocque, de retour de déportation, qui représente une tendance défiante à l’égard du général de Gaulle et l’Union patriotique républicaine, fondée au cours de l’été 1945 par Charles Vallin, fidèle lieutenant du colonel qui avait gagné Londres en 1943, et qui combattit dans la Première Armée française jusqu’en avril 1945. À ces formations, il faut ajouter le Parti de la rénovation républicaine, créé en avril 1945 par André Mutter, qui, après avoir milité dans les ligues d’extrême droite avant la guerre, avait été l’un des responsables du mouvement de résistance Ceux de la Libération-Vengeance, et qui à ce titre était entré au Conseil national de la Résistance.
Autour du Parti républicain de la liberté, une unification incomplète des droites
Les formations traditionnelles souffrent du manque de leaders, de l’amenuisement de leurs réseaux et de leur vivier militant, des nombreuses inéligibilités. Il en résulte un manque de moyens matériels, et une large désaffection militante et électorale. Conscientes des inconvénients d’un tel émiettement, surtout dans la perspective des élections prochaines, les diverses formations travaillent dès l’été 1945 à leur rapprochement, et des négociations compliquées s’engagent pendant l’hiver 1945-1946. Elles aboutissent à la formation de deux regroupements rivaux : le Rassemblement des gauches républicaines (dont on peut dire en schématisant qu’il est de centre-droit et favorable à de larges alliances) et le Parti républicain de la liberté, se situant plus nettement à droite et s’opposant frontalement au programme du CNR, avec pour principaux leaders, Edmond Barrachin (ancien directeur du bureau politique du PSF, qui s’était rallié à la France libre), Charles Vallin (ancien du PSF, lui aussi rallié à la France libre), André Mutter, Joseph Laniel. C’est Edmond Barrachin qui a porté le projet et a été le véritable inspirateur du PRL, dont les statuts furent déposés le 4 décembre 1945.
Une modernité affirmée, mais non réalisée
L’organisation couvrait « l’ensemble de l’espace politique allant des éléments raisonnables de la droite ligneuse aux marges du radicalisme indépendant ». Edmond Barrachin pensait pouvoir établir une synergie entre le militantisme populaire de masse occupant le terrain social, qui avait caractérisé le PSF à la fin des années 30, et les notables électoraux habitués aux combinaisons parlementaires et aux stratégies électorales. Il pensait ainsi pouvoir faire naître un parti moderne, capable de rivaliser avec les grands partis de militants, le « Quatrième parti ». Mais il semble bien qu’aucun de ces nouveaux responsables n’ait véritablement réfléchi à ce que devrait être la nature d’une formation de type moderne.
Les historiens montrent qu’il y eut un réel effort pour doter le parti d’une organisation à la hauteur de l’ambition affichée (liaison entre le parti et les groupes parlementaires, mise en place d’un appareil central, constitution d’un groupement de jeunesse), mais ils mettent également en évidence le caractère un peu factice de cette ambition et de nombreux dysfonctionnements : absence de direction (le président, Michel Clemenceau est dénué d’expérience politique et se comporte de manière « déroutante »), rivalités personnelles au sein de l’équipe dirigeante, caractère hétérogène des structures mises en place à l’échelon départemental.
Les hommes du PRL ne sont pas des hommes neufs.
Le PRL reste très largement un parti de parlementaires, et la majorité d’entre eux a été formée politiquement sous la IIIe République, une grande partie à milité au Parti social français, d’autres sont issus des formations modérées de l’entre-deux-guerres, l’Alliance républicaine démocratique et la Fédération républicaine. Plusieurs sont passés par des cabinets ministériels sous la IIIe République, une forte minorité à exercé un mandat local et/ou national, tous sauf un, votèrent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, mais furent aisément relevés de leurs inéligibilités pour leur attitude résistante, parfois modeste. En effet, plusieurs ont milité dans les mêmes organisations de résistance, en particulier Ceux de la Libération-Vengeance ou au réseau Alliance, et d’autres ont rejoint la France libre. À la Libération, plusieurs futurs parlementaires du PRL sont ainsi membres des Comités départementaux de libération, ou du Conseil national de la Résistance. Néanmoins, d’ autres parlementaires ont exercé des fonctions sous Vichy et le parti présente plusieurs exemples d’itinéraires de « vichysto-résistants ».
La plupart d’entre eux sont des notabilités locales, solidement implantées depuis plusieurs décennies, parfois depuis plusieurs générations. On compte parmi eux beaucoup d’avocats, d’industriels ou d’entrepreneurs. Leur terre d’élection se trouve surtout dans la France de l’Ouest (Ouest breton et normand) à l’exception de la Lorraine, de la Bourgogne et de l’est du Massif central. « Les parlementaires PRL cumulent donc plusieurs formes de capital hérité : capital économique, capital politique et capital local. Ces différentes caractéristiques sociologiques les classent bien à droite de l’échiquier politique. »
Un programme peu original et très conservateur
Du point de vue institutionnel, le PRL se présente comme le « parti de la rénovation » constitutionnelle de la République. Il apparaît comme l’héritier des débats sur la réforme de l’État des années 1930 et, dans le contexte de 1945-1946, il se présente comme le parti de défense du régime parlementaire, en particulier du bicamérisme. En réalité ce programme n’a rien de bien nouveau et de bien original, il ne fait que reprendre le programme d’André Tardieu de 1933-1934 ou celui d’Alexandre Millerand des années 1920, et reste fixé sur l’objectif général de renforcement du pouvoir exécutif. « Le PRL apparaît comme un parti conservateur qui plaide pour la cause du parlementarisme à l’ancienne, dans le style de la IIIe République. » On chercherait en vain un appel à une rénovation de la République porté par une idée-force, le parti ne pèse ni sur les débats constituants de 1945 et 1946, ni vraiment sur les débats de révision constitutionnelle de la IVe République.
Du point de vue économique, le parti s’affirme libéral, d’un libéralisme « volontiers conservateur et figé », et il est la seule force politique organisée à s’opposer aux réformes de la libération et à l’application du programme du CNR. Il s’oppose aux nationalisations, par principe, refusant de voir l’État jouer un rôle dans la gestion de l’économie, et par intérêt électoral, en prenant la défense des épargnants et plus particulièrement des actionnaires dépossédés de la Banque de France et des banques de dépôt, allant jusqu’à parler de « spoliation ». Il s’oppose au système de sécurité sociale, mais il n’ose le faire aussi ouvertement, et défend un système qui serait en fait un retour aux assurances sociales des années 1930, limitées dans leurs ambitions redistributives, et réservées aux catégories sociales les moins aisées. Il défend la liberté d’entreprendre, et voit dans tout élément de dirigisme, un premier pas vers le totalitarisme. Il est bien évidemment attaché à la plus stricte orthodoxie financière.
Du point de vue de la question scolaire, il estime être le véritable défenseur de l’école « libre », s’opposant ouvertement au MRP dont il essaie de reconquérir l’électorat catholique, en particulier dans les départements de l’Ouest. Mais la hiérarchie catholique prend officiellement position pour le MRP.
Du point de vue de la politique extérieure, la doctrine est d’une totale insignifiance et « emprunte au discours et au fonds commun de valeurs des partis de droite ». La vision du PRL est dominée par un anticommunisme profond et la crainte de l’URSS. L’Allemagne est une menace, elle doit être démembrée et mise au ban de l’Europe et les responsables du parti s’opposent à la création d’un État ouest-allemand souverain. La seule originalité du PRL en matière de politique extérieure est son ménagement à l’égard de l’Espagne franquiste, et même son souhait d’un rapprochement avec cette dictature. L’activisme parlementaire sur ce sujet aboutit à la création d’un groupe parlementaire d’amitié France-Espagne qui envoya une délégation à Madrid en décembre 1950.
On ne s’étonnera pas que le PRL s’oppose à tout assouplissement des liens de la France avec ses territoires coloniaux. Il refuse toute concession pouvant conduire à la dislocation de l’empire ; il s’oppose à la loi électorale adoptée qui prévoit le collège unique dans les Territoires d’outre-mer et prend également position contre l’application du collège unique en Algérie. Il critique les négociations franco-vietnamiennes engagées à Fontainebleau au cours de l’été 1946. Ici aussi l’absence d’analyse réfléchie et le conformisme intellectuel tiennent lieu de doctrine.
La mort du PRL
Le nouveau parti a toujours suscité la méfiance des dirigeants des autres partis modérés (Fédération républicaine, Parti de la réconciliation française) et plus encore des notables locaux. Il n’a donc jamais réussi à fédérer l’ensemble de la droite « modérée ». La vie interne du parti est traversée par des divisions stratégiques et doctrinales qui se concluent par des départs successifs, ainsi André Mutter est-il exclu du parti le 8 mai 1947. Ses élus donnent l’image d’un groupe parlementaire indiscipliné et peu cohérent. Il manque un leader indiscutable et, en dehors des périodes électorales, l’activité du parti se limite pratiquement à l’organisation des congrès annuels. Mis à part L’Époque, aucun grand quotidien ne le soutient.
Le parti est donc fragile et il va aisément disparaître face à la concurrence d’organisations plus dynamiques et attractives, le RPF et le Centre National des Indépendants et Paysans (CNIP), qui parviennent à développer une ligne politique plus cohérente et à incarner un rempart plus crédible et efficace face à la « menace communiste ». Le surgissement du RPF en 1947 révèle l’archaïsme des méthodes d’organisation du PRL, ainsi que son hésitation à adopter une stratégie d’opposition frontale à la Troisième force. « L’attraction exercée par la formation gaulliste est d’autant plus forte que la possibilité de la double appartenance permet de concilier fidélité au PRL et soutien à une forme d’opposition à la IVe République ». La position des députés PRL, membres de l’intergroupe gaulliste, devient vite intenable. Edmond Barrachin abandonne le PRL pour le RPF. Dès sa fondation, le CNIP apparaît comme une force plus dynamique, plus souple et plus ouverte au regroupement des centres, et la loi sur les apparentements précipite l’absorption du PRL par le CNIP. Le PRL qui ne peut présenter autant de candidats, doit donc s’intégrer à une alliance dont le CNIP prend les premières initiatives au début de 1951, l’absorption sera l’étape suivante. L’aile droite du parti, avec Paul Estèbe (ancien directeur adjoint du cabinet civil du maréchal Pétain) et son adjoint Jean-Louis Tixier-Vignancour proteste contre cette disparition, mais cette tendance n’ira pas bien loin.
La création du PRL, destinée à doter les droites parlementaires d’un cadre commun d’action et d’un minimum d’organisation, s’est donc soldée par un échec. Néanmoins, le PRL a contribué au renouvellement du personnel politique, sur le plan parlementaire, comme sur celui des équipes travaillant au sein des appareils des partis. Cette contribution se fait au bénéfice à la fois du Centre National des Indépendants et Paysans et des mouvements d’inspiration gaulliste. Les historiens estiment donc que le Parti républicain de la liberté a contribué à la reconstruction et à la modernisation des droites parlementaires.
© Joël Drogland