volume V, (1711-1713), édition intégrale et critique par Christine Mongenot. Volume VII, édition des lettres non datées ou non datables, Par Hans Bots, Eugénie Bots-Estourgie, et Catherine Hémon-Fabre, éditions Honoré Champion, Paris, 2013.
Édition intégrale et critique par Christine Mongenot. Volume VII, édition des lettres non datées ou non datables, Par Hans Bots, Eugénie Bots-Estourgie, et Catherine Hémon-Fabre,

L’édition de la correspondance de Mme de Maintenon est désormais complète depuis le milieu de l’année 2013. On doit le dernier tome à la vigilance et à la précision de Christine Mongenot, maître de conférences en littérature à l’université de Cergy-Pontoise et spécialiste du théâtre d’éducation de Mme de Maintenon, auteur du tome V

Ces lettres sont établies à partir de la base du fonds de Marcel Langlois, éditeur précédant des lettres de Mme de Maintenon. Elles sont complétées par des lettres de la British Library, par celles de la bibliothèque de Genève, ou par des fonds publics, privés ou muséaux. Elles sont comparées avec celles publiées dans de nombreux recueils dont l’objectif était de nourrir les biographies de XVIIIe et XIXe siècles.
La chronologie indicative des années 1711 à 1713 ainsi que les courtes notices identifiant un certain nombre des personnages de la correspondance sont des outils très précieux.

Le volume se situe pendant la guerre en Espagne sur le plan extérieur, en même temps qu’il est au plein cœur de la querelle sur la question du jansénisme. Il ne porte que sur deux ans mais est très dense. Mme de Maintenon âgée de 76 ans, écrit encore plus de 500 lettres au cours de la période à plus de 70 correspondants actuellement identifiés.

« On ne se remet point de la perte de nos princes » (page 539)

L’aspect diplomatique domine ces lettres s’accompagnant d’un récit plus personnel touchant l’éducation des princes et la morale à la cour. Ce sont également les années des morts brutales et successives à Versailles et à Saint-Cyr qui entraînent Mme de Maintenon à une méditation chrétienne plus accentuée osant, au milieu de cette cour et bien que sous la pression des obligations extérieures dont celles du roi, revendiquer un droit à la Retraite, par un discours sur un espace-temps privé. Christine Mongenot relève nettement son introduction : « la simple revendication d’un quant-à-soi et d’un espace privé, le mode de protection indispensable pour garantir une survie en milieu hostile et la marque d’un goût pour une forme d’intériorité de travail sur soi qui se mêlent dans ce discours épistolaire tenu par Mme de Maintenon » (page 15).

« Je n’ai jamais aimé la cour, je n’ai goûté que le plaisir d’une même société » (page 538)

Les embuscades, les embûches auxquelles Mme de Maintenon doit faire face, la touchent personnellement puisqu’elles sont mêlées à des relations très proches : le cardinal de Noailles et sa famille, Fénelon et le groupe de Chevreuse, le duc et la duchesse de Bourgogne, le duc d’Anjou devenu Philippe V d’Espagne et la princesse des Ursins.
Dans l’introduction, un point précis est fait sur les positions complexes à la cour d’acceptation de la bulle Unigenitus, sur les étapes de négociation de la paix avec l’Espagne, en présentant la position de Mme de Maintenon et celle de la princesse des Ursins. Ces lettres permettent voir les décisions en train d’être prises, la prudence qui conseille la modération, quelques jours d’irrésolution devant la complexité des problèmes et les informations discordantes, les lettres portant réponse aux questions posées qui n’arrivent pas par le courrier ordinaire, les sentiments d’amitié qui minent l’argument d’autorité, les accords qui se font au détriment des enjeux personnels, jusqu’à la crispation des relations face à la raison d’État.

Mme de Maintenon donne aussi parfois une image du roi Louis XIV sous des traits ironiques : « il y a ici un camérier du pape qui dit que s’il mandait à Rome que le roi de France à 74 ans pendant la canicule sort à deux heures de l’après-midi et court la forêt, dans le sable, au milieu de tous les chevaux, et de tous les chiens, on le croirait fol et qu’il garderait bien dans rien écrire (page 484) ». Comme beaucoup, elle s’étonne toujours de la bonne santé du roi.
Dans ces lettres, le grand dauphin ne paraît pas effacé, en intervenant dans la politique religieuse auprès de son père. La duchesse de Maintenon déplore que son favori, le duc du Maine vive, à cette époque, retiré à Sceaux, ce qui l’écarte de la cour versaillaise et de ses réseaux. Elle suit de près le duc et la duchesse de Berry, de cet esprit Mortemart dont elle donne une image qui n’est pas celle de Saint Simon.

L’éducation : « Le roi dit que c’est ma folie » (lettre 407)

Les questions d’éducation occupent toujours de nombreuses lettres, autour du rayonnement de la maison royale de Saint-Cyr, de son fonctionnement et de sa pérennité mais également autour de la petite enfance des princes, les grossesses de la duchesse de Berry et d’autres princesses. Mme de Maintenon se déplace même personnellement pour aller voir l’école que Claude Huchon, curé de Versailles, établit pour instruire les garçons.

« Je ne sais, Madame, si cet ordinaire-ci m’apportera vos lettres mais j’en ai une par le courrier de M de Torcy… » (page 369)

Christine Mongenot, spécialiste du récit et de l’écriture féminine, met en évidence les normes en usage dans le genre épistolaire et les codes esthétiques dans les correspondances de femmes. Elle est attentive à l’aspect matériel des rédactions des lettres, de leur acheminement qui confère un temps particulier à la rédaction et à l’attente des nouvelles. Pour certaines lettres qui ne sont pas datées précisément, le changement de couleur d’encre permet de repérer des époques communes. Christine Mongenot s’attache à souligner les rythmes de l’écriture, interrompue par une cérémonie de cour, par une visite, par la réception d’une autre lettre, puis comment Mme de Maintenon reprend la plume. A l’inverse, l’écriture peut être accélérée par le départ du courrier ordinaire ou extraordinaire. On apprécie également de trouver les modalités dont usent ces femmes pour éviter l’ouverture des lettres par le cabinet noir. Les nombreuses traces des contraintes d’écriture informent sur l’usage de la lettre en ce début du XVIIIe siècle.

« Vous ne perdrez jamais en faisant votre devoir » (tome VII, p 345)

Le dernier tome présente 184 documents, des billets courts portés par des messagers à l’intérieur des maisons royales et des lettres dont il est impossible de donner la date mais également des lettres recueillies après la parution des volumes précédents. Il montre ainsi comment il est encore possible actuellement de retrouver des sources de la communication active de Mme de Maintenon. Il semblerait qu’une centaine de lettres soit encore détenue par des collectionneurs d’autographes qui n’ont pas répondu à l’appel des auteurs lancé dans le Figaro littéraire en juin 2008. Les auteurs ont parfois signalé dans les tomes, l’existence de telle ou telle lettre laissant à d’autres la possibilité d’apporter le texte. Le chantier de l’histoire peut toujours progresser…

Cet ouvrage fait également la synthèse de près des 300 correspondants de la duchesse présentant en outre les indications généalogiques, l’index des personnes (avec des liens conjugaux et de parenté) et l’index des lieux des différents tomes. Les incipit des lettres classés par ordre alphabétique serviront à identifier des lettres, éviter les doublons et identifier les futures trouvailles. Les auteurs entendent donner ainsi aux lecteurs un véritable outil de recherche pour cette somme de 4450 lettres rassemblées à ce jour, en 2013.

Ces sept tomes de grande qualité réévaluent la figure de Madame de Maintenon à travers sa correspondance qui, loin d’être spontanée, utilise de stratégies discursives très élaborées. Ils offrent des éléments pour analyser le genre littéraire de la rhétorique féminine dont Mme de Maintenon est un grand modèle.

Ils offrent également pour les historiens, des éléments pour analyser la prise de décision politique, le jeu des influences, ou encore les modalités de la vie curiale, les échanges des nouvelles entre cours dans la société des princes et princesses et plus généralement les influences des femmes à la cour ainsi que dans le domaine de l’éducation du grand siècle où l’on suit à travers la rigueur exigée des Demoiselles de Saint Cyr, la réalité effective de l’instruction morale et spirituelle.

Au-delà de la préciosité et de la galanterie qu’elle revendique, au-delà de la posture minorée par humilité, ces sept tomes offrent matière à rendre, grâce au style incomparable et au riche contenu de ces lettres, la juste dimension de la position considérable de Mme de Maintenon dans la sociabilité princière, curiale et féminine.

Pascale Mormiche