Comme son nom l’indique, ce manuel de plus de 900 pages est véritablement un ouvrage global. L’équipe de 14 rédacteurs coordonnée par Pascal Gauchon a essayé de réaliser une somme dans laquelle nous avons été bien en peine de trouver la moindre faille. L’ouvrage est un vrai manuel, très didactique, avec des informations précises sur les différents aspects géopolitiques et géoéconomiques de la mondialisation, car c’est bien de cela qu’il s’agit.

La première partie intitulée « d’une mondialisation, l’autre » dresse un état des lieux assez précis de la recherche et des analyses sur la période antérieure à la guerre de 1914 jusqu’à la seconde guerre mondiale. On sait par exemple que le triomphe du libre échange, affirmé à la fin du XIXe siècle avec par exemple, le traité de commerce franco-anglais de 1863 connait ses limites avec le déclenchement de la guerre de 14. la mondialisation du début du XXe siècle n’empêche pas, ni les rivalités impérialistes, ni le déclenchement de la guerre. Les échanges mondiaux sont bouleversés du fait de la guerre et ébauchent une réorganisation du système monde, avec la première organisation monétaire mondiale et la montée en puissance des Etats-Unis.
La réorganisation de l’économie européenne aux lendemains de la guerre, avec cette lancinante question des réparations ne s’est pas faite correctement, du fait de la contradiction existant entre le désir de punition de l’Allemagne et de la volonté de la faire revenir en tant qu’État démocratique dans le concert des nations.
La crise des années trente donne le coup de grâce au processus de mondialisation et aux principes libéraux qui le sous-tendaient ; principes libéraux pas toujours compris ni assimilés par les politiques. Le libéralisme économique est fragilisé par la crise qui favorise les politiques nationales ; le recours au protectionnisme est la solution adoptée, tout comme l’interventionnisme étatique. Mais, d’après l’auteur de cette contribution, la fragmentation géoéconomique liée à la crise favorise une autre fragmentation, géopolitique celle-ci, qui peut-être considérée comme étant à l’origine du second conflit mondial.

Du triomphe de l’État-Nation

La seconde guerre mondiale engendre un nouvel ordre économique et politique international, avec la marginalisation de l’Europe, le déclin des puissances coloniales et l’affirmation des deux superpuissances antagonistes.

De 1945 à 1973, c’est-à-dire jusqu’au premier choc pétrolier, le monde entre dans une phase d’internationalisation. Le leadership américain constitue le facteur déterminant du processus, ainsi que les mesures d’intervention des États, les progrès techniques, et l’abondance de liquidités du fait d’une création monétaire abondante. Cela favorise une période de haute croissance appelée les trente glorieuses. En cette période de crise financière on pourra lire avec profit les pages consacrées aux rôles des États qui sont les maîtres d’œuvre du libre échange au niveau international sans pour autant laisser les agents économiques et financiers totalement maîtres du jeu.
Les auteurs nuancent ces propos en expliquant toutefois que le processus d’internationalisation ne signifie pas pour autant mondialisation. D’abord parce que le bloc communiste a une stratégie de développement autocentré. Ensuite parce que le tiers monde occupe un rôle marginal dans l’économie mondiale enfin parce que les États favorisent le développement de champions nationaux dans leurs domaines de compétence avec un processus de forte concentration.

De 1973 à nos jours, les auteurs présentent la mondialisation, mais c’est avant la crise financière de l’automne 2008, comme triomphante, même si un précautionneux point d’interrogation apporte une nuance salutaire à ce propos.
Il est clair que la mondialisation passe par une mise en réseau du monde. La mondialisation ce n’est pas des espaces de plus en plus étendus mais des réseaux complémentaires. L’économie en temps réel est rendu possible par les technologies de l’information et de la communication et dans le même temps, l’ouverture culturelle accompagne ce processus. L’idéologie libérale s’inscrit dans ce mouvement et y trouve sa légitimité. La désintermédiation, le décloisonnement, la dérèglementation sont les nouveaux piliers de ce système. Les organisation internationales sont gagnées par ce mouvement et les bouleversements géopolitiques avec l’effondrement du bloc communiste favorisent cette évolution dont les Etats-Unis sont clairement les chefs de file. Le système centre périphérie qui avait fonctionné sur la base de l’échange inégal pendant la période précédente est ainsi remis en cause.
La mondialisation accouche donc d’une économie d’archipel, interrégionale et intermétropolitaine, ce que l’on appelle l’archipel métropolitain mondial.
Les 120 pages de cette première partie permettent donc de disposer d’une synthèse très claire pour présenter les bases de la mondialisation et cela servira aussi bien au professeur en charge d’expliquer ces phénomènes qu’à l’étudiant en sciences politiques qui souhaite trouver des répondes précises à des questions qui lui seraient posées dans le cadre de ses examens.

À la dilution de l’État

La seconde partie présente les maîtres du monde. Les premières notices sont consacrées à l’affirmation triomphale, aux lendemains des deux guerres des États-Nations. Les politiques publiques sont résolument interventionnistes, avec l’association des politiques conjoncturelles et structurelles. Enfin l’État, en assumant des fonctions ed répartition assure la stabilité sociale et permet le maintien, dans les pays développés, d’un niveau élevé de consommation. Mais ce qu’une crise a apporté, une autre crise l’emporte au seuil des années soixante dix. Les auteurs de l’ouvrage expliquant ainsi très clairement les réactivations des théories économiques anciennes, notamment la théorie de l’offre. Les années du reagano-thatchérisme sont d’ailleurs ambigües car les États s’accommodent d’un déficit budgétaire élevé tout en limitant leurs possibilités d’intervention dans le domaine de la répartition. C’est dans ce domaine que les agents économiques privés s’engouffrer pour intervenir sur les marchés des changes, souvent de façon anarchique avec les conséquences que l’on a pu observer lors de l’automne 2008. Les États pousuivent d’ailleurs des politiques structurelles portant sur l’aménagement du territoire qui devient l’expression de la solidarité nationale. Les politiques de décentralisation ou de régionalisation remettent en cause par le bas les notions de solidarité nationale et aboutissent à une dilution de l’État par le bas, mais aussi par le haut avec les organisation supranationales.

À ce pouvoir des États qui subit une remise en cause pendant la période de la mondialisation triomphante, on pourra opposer la montée en puissance du pouvoir marchand ou entrepreneurial. La crise des années soixante dix est la crise d’un modèle de production, le fordisme et d’un modèle, celui de l’entreprise industrielle. Actionnaires et profit reviennent en force avec les nouveaux instruments financiers qui permettent de couvrir les risques de change dans un régime de changes flottants. L’externalisation s’impose, avec les conséquences que cela peut avoir en terme d’emploi tout comme la flexibilité. La crise des années 70 se retrouve dans l’adaptation des structures de l’entreprise. Celles-ci deviennent plates avec une limitation des niveaux hiérarchiques, matricielles, avec une diffusion large et rapide de l’information et enfin de management par projet où tous les acteurs interviennent simultanément dès les débuts du projet.

Retour des idées forces et du politique

On en arrive assez rapidement au modèle d’entreprise globale très précisément décrit tout comme le modèle multidomestique, c’est-à-dire à des interventions sur différents marchés pour diluer les risques.

Le pouvoir marchand se heurte pourtant à la force des idées qui ont évidemment évolué depuis le début du XXe siècle. Le communisme, cette idée neuve au début du XXe siècle qui a pu être synonyme d’espoir pour des millions d’hommes n’est plus aujourd’hui qu’un repoussoir résiduel. La fin de la guerre froide semble avoir réactivé les religions, fonctionnant comme des réseaux territoriaux mais s’accommodant finalement assez bien de la mondialisation et de ses outils. On pourrait par exemple évoquer la diffusion de cyber religions, une évolution qui touche tous les grands courants de pensée théologiques.

Le droit international s’est également approfondi pendant cette période. Les organisations internationales ont vu leur rôle augmenter et, même si elles dépendent toujours étroitement des États-Nation, elles contribuent à une coopération internationale que la crise de l’automne 2008 a visiblement rendue encore plus nécessaire.

Enfin, on pourra trouver dans cet ouvrage de quoi alimenter bien des réflexions sur les diasporas et leurs fonctionnement en réseaux. On peut citer les diasporas chinoises en Asie et leurs réseaux transnationaux y compris dans les pays développés ou les sikhs au Royaume-Uni et dans le monde anglophone.
Toutes les grandes questions sont ainsi traitées et on ne saurait, dans le cadre d’une présentation les traiter toutes. Ce manuel est à lire et à pratiquer surtout. On y retrouve des synthèses très précises des grandes questions qui touchent le monde contemporain et les interrogations qu’elles soulèvent. Ce n’est évidemment pas dans ce cadre un guide d’action mais un outil de compréhension et à ce titre on ne peut que le recommander à tous les publics intéressés par son accessibilité immédiate et par la clarté de ses notices.

Notons pour terminer un appareil cartographique très utile, un index précis avec les références aux théories économiques et un petit vocabulaire géopolitique et géoéconomique bien utile. Ce gros pavé de 900 pages deviendra rapidement un ouvrage de référence dès lors que l’on a un intérêt particulier à la compréhension du monde contemporain. La quantité d’historiens parmi ses auteurs, est aussi une garantie que ce livre évite les effets de mode pour aborder vraiment les fondamentaux, ce qui est le propre d’un manuel réussi.

Bruno Modica © Clionautes