2010 a été l’année du débat sur l’identité nationale. Avant que 2011 ne soit celle consacrée à la laïcité, une trentaine de chercheurs se sont appliqués à l’exercice imposé par le gouvernement français, mais à l’échelle du monde. Les auteurs sont chercheurs, diplomates, journalistes français et étrangers. Ils se sont livrés à un pari assez fou : celui de faire le tour de la planète par le biais des identités. Chacune des 30 nations examinées l’est de manière autonome mais des points communs l’emportent. Nombreux sont les pays où l’idée de nation et de sa construction est en cours. Et même dans le cas où la notion de nation est plus ancienne, elle n’est pas statique. « Si l’Etat-nation est bien une modalité de conciliation de l’universel et du particulier, celle-ci est variable sans cesse retravaillée dans un contexte évolutif ».

La notion est complexe et comme le souligne Ernst Renan, une histoire commune et la volonté de vivre ensemble sont les fondements de la nation. L’avenir commun est central pour unifier les populations derrière un projet. La sécurité et la croissance sont les valeurs centrales pour fédérer un peuple. Les auteurs mettent en avant que ce n’est pas en alimentant une inflation mémorielle que l’on unit un peuple mais en portant des projets communs. Dans le contexte de la mondialisation apparaissent de nouvelles combinaisons qui dépassent les frontières. Voir pour cela les travaux d’Ulrich Bech (Qu’est-ce que le cosmopolitisme ? 2006) qui mettent en avant les enjeux transnationaux que portent le terrorisme, les menaces écologiques au détriment de la nation. Malgré tout, le temps d’un monde sans nations n’est pas arrivé. La chute du bloc soviétique a conduit à la multiplication des nations. Le rejet par référendum en 2005 du traité sur la constitution européenne est significatif de l’importance que les citoyens, membres d’une union supranationale, donnent à la nation.

Joao Medeiros, sociologue, docteur en sciences politiques, enseigne à l’école des hautes études de journalisme de Montpellier. Il est le coordinateur de cet ouvrage qui nous invite à un tour du monde des identités. Trente pays sont examinés à raison de 5 par ensemble continental. La richesse du volume rend difficile l’exercice de compte-rendu exhaustif. Aussi, j’ai fait le choix de relever un exemple de nation sur chaque ensemble régional en veillant à retenir des conceptions différentiées de la nation. Choix partiel, d’autant plus qu’il a été guidé par mes centres d’intérêts personnels.

Toutefois, il apparaît de manière générale que l’apport de connaissances historiques est central pour comprendre ce qui fait ou ne fait pas l’identité nationale de chaque pays. Ainsi, le cas du Liban est bien celui d’un Etat où « les quinze ans de guerres civiles et la période d’après-guerre marquée par des accrochages sporadiques » sont centraux pour comprendre la société libanaise actuelle. La logique confessionnelle l’emporte. « On observe donc un dépérissement progressif de la cohésion et de l’intégration sociales au niveau national, phénomène qui se reflète entre autres dans la « ghettoïsation » des quartiers résidentiels (il y a moins de « quartiers mixtes » aujourd’hui qu’avant la guerre), dans l’intensification et l’expansion de l’enseignement confessionnel, dans la polarisation religieuse des étudiants ainsi que dans l’augmentation significative des manifestations et des célébrations publiques à caractère religieux ». Il n’existe pas de mémoire collective sur laquelle la nation libanaise pourrait s’appuyer.

Le cas de la Chine est bien celui de l’existence d’une nation malgré l’existence de 56 nationalités. La guerre de l’Opium (1840-1842) a servi de déclencheur au sentiment national puisqu’elle a abouti à la mise en place de concessions européennes dans les ports suite à la désintégration de la Chine impériale. Le régime communiste utilise le sentiment national « pour combler le vide idéologique créé par la politique de réforme consécutive à la Révolution culturelle ». Cela se traduit dans la constitution de 1982 qui reconnaît que Hans et minorités forment ensemble le peuple et la nation chinoise. Ils sont donc tous citoyens même si les minorités ont des droits à part : tout cela dans le but de désamorcer les revendications d’indépendance. Les motifs de fracture au sein de la nation chinoise tiennent plus aux différentiels de richesse entre villes et campagne, entre provinces intérieures et régions littorales. Ces différentiels ne légitiment pas pour autant la démocratisation du régime.

La création de l’Etat canadien en 1867 ne s’est pas faite sur la base d’un Etat nation. Depuis, les efforts pour créer un Etat-nation n’ont pas permis son aboutissement et la mise en place d’ « un Etat puissant détenteur d’une souveraineté indivisible ». Les francophones du Québec et les habitants des provinces de l’Ouest, comme les populations autochtones ont tout fait contre. Il faut dire que le Canada est resté jusqu’au XXème siècle une composante de l’empire britannique. La constitution adoptée en 1982 (qui réduit le poids des provinces et leurs pouvoirs) n’a jamais été ratifiée par la province du Québec, qui a même réussi en 2006 à obtenir la reconnaissance par l’Etat fédéral que « Les Québécois forment une nation dans le Canada uni ». Cela ne signifie pas pour autant que l’Union canadienne soit rejetée par les Québécois mais ils tiennent à gagner leur autonomie vis-à-vis de l’Etat fédéral.

Le cas de la Somalie est intéressant puisqu’on a affaire à un pays de tradition pastorale et où il est difficile de parler d’Etat-Nation puisque tous les Somali (définition ethnique et linguistique) ne sont pas Somaliens et que tous les Somaliens ne sont pas Somali ! L’implosion de l’Etat et la guerre civile achèvent de compliquer les choses dans un contexte de terrorisme islamique. Le nationalisme de la diaspora (très éclatée géographiquement entre camps de réfugiés et villes mondiales) est loin d’être négligeable et influe fortement sur la vie politique du pays.

Enfin, en France, « il convient de distinguer la « nation imaginaire » qui condense les représentations politiquement dominantes de la nation et la « nation imaginée », au sens que Benedict Anderson a donné à sa « communauté imaginaire » : un ensemble social uni par le sentiment d’appartenance commune entre des individus qui ne peuvent pas se connaître personnellement. » La symbiose entre les deux est difficile à l’épreuve de la diversité socio-culturelle. L’idée de nation émerge avec la Révolution française et est identifiable à la citoyenneté égalitaire concrétisée par des droits civiques. Par le biais des guerres révolutionnaires, la France cherche à diffuser, avec plus ou moins de succès, l’idée de nation dans les pays conquis. Dans le contexte de la guerre franco-prussienne, Ernst Renan (1882) reconnaît à la nation qu’elle est (en France comme ailleurs) le mélange de races et de religion différentes et que la langue ne suffit pas à créer la nation. La représentation de la nation imaginaire est fondée à la fois sur l’égalité politique et l’idée que la citoyenneté transcende les particularismes. Toutefois, « l’idée d’une nécessaire reconnaissance de la diversité des origines (culturelles, géographiques, voire ethniques) s’est répandue tout récemment dans des discours et des dispositifs d’action publique en transgressant le principe d’indifférence aux différences, cher à la nation imaginaire française. » Cela se traduit par la lutte contre les discriminations. L’Etat est donc face à ses contradictions. D’un côté, on affirme le côté uniformisateur de la nation française, mais d’un autre côté, il est contraint de reconnaître la diversité pour lutter contre les discriminations (en se refusant, pour mesurer le phénomène, à mettre en place des statistiques ethniques).

Ces cinq exemples d’identités nationales ne sont qu’un aperçu de l’ensemble. Les trente chapitres sont courts. La facilité de lectures des chapitres est très diverse. Des chapitres passionnants alternent avec des textes difficiles qui nécessitent une lecture très attentive voire même une relecture de certains paragraphes ! L’absence de cartes est à regretter. Elles auraient été bien utiles pour se repérer quand il est question de territoires régionaux qui sont l’objet de tensions internes ou internationales. Avec la question des identités, on est au croisement de l’histoire et de la géographie.

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes