Géopolitique, revue de l’institut international de géopolitique, février 2011, éditions technip

Pour son 112e numéro, la revue Géopolitique se penche sur l’euro, monnaie pour une Europe allemande?, Tant il est vrai que les observateurs ont l’impression de voir le chancelier Angela Merkel, imposer sa domination économique sur le Vieux continent.

Ce sont de grandes signatures qui sont publiées dans ce numéro qui s’ouvre avec un entretien de Michel Aglietta, économiste, professeur de sciences économiques à Paris X et membre de l’institut universitaire de France. Dans cet article, Michel Aglietta revient sur la genèse de la monnaie unique. L’idée initiale était de faire disparaître le risque de change, l’union monétaire étant conçue comme une monnaie unique dépourvue de souveraineté politique. L’union économique et monétaire était censée se chargée de la convergence réelle des économies grâce à la discipline exercée par les marchés financiers sur les politiques économiques. Il semblerait que l’inverse se soit produit. En réalité les capitaux sont allés massivement là où le gain en capital à court terme était le plus élevé, c’est-à-dire dans la spéculation immobilière. L’appréciation spéculative de la valeur de la richesse immobilière en Espagne a provoqué une hausse inflationniste des salaires et de la demande des ménages. Cela a conduit à un besoin de toujours plus d’endettement extérieur pour financer le déficit courant. En ce qui concerne l’Irlande le dumping fiscal a provoqué une avalanche d’investissements directs mais particulièrement sur des fonds spéculatifs à haut risque. Les pays périphériques de l’union européenne ont vu apparaître très rapidement les fragilités qui avaient été dissimulées par un afflux massif de capitaux notamment dans l’immobilier. Pour Michel Aglietta, la fragilisation des banques est liée à la manière dont les gouvernements ont laissé l’intégration financière se développer sans régulation prudentielle à l’échelle européenne. Cet auteur est signataire d’une tribune cosignée avec Lionel Jospin dans le monde qui critique les politiques d’austérité européenne avec un argumentaire qu’il reprend dans cet article. Michel Aglietta montre que la multiplication de plan d’austérité en Europe aura des conséquences majeures, multipliées en fait, , en termes de croissance. Si la croissance moyenne en Europe reste trop basse, sans compensation entre les pays périphériques, qui n’ont pas d’autre solution que des politique d’austérité, et les autres, la crise globale a toutes chances de s’aggraver. Michel Aglietta propose d’organiser des procédures d’insolvabilité de façon pacifique, en pérennisant le fonds de stabilité financière très au-dessus de 600 milliards actuels. Pour cet auteur la question d’une gouvernance économique commune est évidemment posée, mais une fois de plus, il faudra vaincre les réticences de l’Allemagne.

Dans son article, pourquoi Angela Merkel veut sauver l’euro, Jean-Paul Picaper parle de l’Allemagne comme locomotive de l’Europe. Angela Merkel revendique ouvertement la direction de l’économie européenne, en considérant que son pays est sorti de la crise. Il est pourtant pas évident que ses concitoyens, lors des prochaines échéances électorales, lui en tiennent gré. L’auteur de cet article montre toutefois que l’Allemagne a été, entre 2000 et 2003, du fait de la charge de la réunification avec l’ex-RDA, la lanterne rouge de l’Europe. Dans un article très idéologique, où l’on évoque « les vaches sacrées intoxiquées par les miasmes de l’anticapitalisme de l’écologisme militant », Jean-Paul PIcaper, ce livre un portrait hagiographique de la chancelière allemande, qui n’est pourtant pas dénué d’intérêt. Il est vrai que la comparaison avec Nicolas Sarkozy ne semble pas vraiment flatteuse pour le président français. Il est clair que selon l’auteur Angela Merkel est véritablement une patronne dont le pays profite en premier chef de l’existence de l’euro. Ce qui signifie surtout que les déclarations parfois violentes à l’encontre des pays de la zone euro moins vertueux que l’Allemagne, sont davantage destinées à la politique intérieure qu’à la conduite de la politique monétaire de l’union.

Pascal Salin, professeur émérite à l’université Paris-Dauphine, s’interroge sur les risques après la crise économique et financière que le monde a connue à partir de 2007. L’auteur évoque ici ce que l’on a appelé l’euro sclérose, c’est-à-dire un taux de chômage élevé et une faible croissance économique. L’auteur explique cette situation par les effets de l’interventionnisme étatique en particulier l’importance des prélèvements obligatoires et le caractère paralysant de la réglementation. Pascal ne fait pas mystère de son orientation libérale, lorsqu’il explique la réglementation étatique joue un rôle négatif, évoquant le système profondément immoral de la « sécurité sociale ». De son point de vue la crise est souvent interprétée comme la conséquence du comportement de banquier avide et myope qui aurait profité de l’excessive liberté apportée par une déréglem vie s’ils ont en lice dans le et en lui entation financière excessive. Très clairement, l’auteur remet en cause toutes les mesures de réglementations qui sont envisageables, pour limiter les effets des cartels privés, particulièrement, en considérant que ces effets sont positifs, contrairement aux politiques publiques, néfastes par nature. On peut effectivement s’interroger sur la pertinence d’un tel raisonnement.

Jacques Sapir est économiste, directeur d’études à l’école des hautes études en sciences sociales. Il considère que les crises de l’euro de 2010 peuvent s’expliquer par le fait que la monnaie unique ne s’est pas accompagnée de la construction d’une zone financière et bancaire relativement séparée du reste du pouvoir et de ne pas avoir de vie de loi en ce monde. Contrairement à son prédécesseur, Pascal Salin, Jacques c’est pire considère que l’ouverture à la concurrence internationale s’est accrue avec la constitution de la zone euro. De son point de vue, cette zone euro en fait aggravait les mécanismes latents de la crise dans les pays qui en sont membres. Une fois de plus, cet auteur fait le constat qu’une monnaie unique sans politique économique conduite à l’échelle de l’Europe ne suffit pas. Très clairement, de son point de vue, la zone euro aurait pu servir la constitution d’une Europe fédérale, ce qui ne correspond pas aux volontés politiques qui ont été exprimées par les états membres de l’union. Le faite que la banque centrale européenne ne plus utilisait qu’un seul curseur, celui des taux d’intérêt, l’empêche de faire des choix en matière économique. Dès lors que les paysans dans la zone euro, les écarts ne jouent plus sur les parités de monnaie, mais simplement sur la valeur que l’on attribue aux dettes souveraines des différents membres de la zone euro. Jacques le considère que le choix de développement de la zone euro avec l’Allemagne est susceptible de conduire à une poursuite de la crise, dès lors que ce pays veut fonder sa croissance uniquement sur ses exportations. Pour conserver sa compétitivité l’Allemagne exclut toute politique de relance intérieure, ce qui pèse sur ses voisins et principaux partenaires. La politique adoptée en France qui vise à coller à la politique économique allemande ne semble pas trouver grâce aux yeux de l’auteur. Jacques Sapir fait ici un pronostic assez pessimiste, considérant que la crise terminale de l’euro devrait avoir lieu dans l’hiver 2011-2012. Il propose comme solution une remise en cause de l’euro libéralisme, basé sur la constitution d’une zone monétaire dans le cadre d’un système de changes fixes mais révisables. Un contrôle des capitaux peuvent également être opéré, mais cette politique semble avoir été adoptée par la Corée du Sud et par Taiwan qui limite de façon drastique les pratiques propices à la spéculation, comme les ventes à découvert, et le marché de produits dérivés. Très clairement, Jacques Sapir envisage un retour au franc, en considérant que ce serait peut-être la moins mauvaise des solutions pour permettre à la France de retrouver son autonomie en matière industrielle et économique.

Un autre auteur, Jean-Jacques Rosa ne semble pas très éloigné de ces propositions. La monnaie européenne est considérée par cet économiste, professeur à l’institut politique de Paris, comme un cartel de grands emprunteurs. Le système même de l’euro est considéré comme par nature autodestructeur, dès lors que les instruments des politiques monétaires nationales, taux d’intérêt taux de change, ont disparu, ils ont été remplacés par une politique monétaire centralisée qui ne convient de ce fait à aucun des pays membres dans les conjonctures divergeait habituellement. En réalité, d’après cet auteur, l’euro est d’abord et avant tout un instrument politique permettant de faire passer l’idée d’une Europe puissance qui ne pourra devenir telles que dans le cadre d’une union budgétaire et donc à terme dans un État fédéral. En fait, pour cet auteur, la véritable raison de cet engouement pour l’euro, notamment de la part du grand patronat, cette monnaie forte, trop forte même, dont les entreprises nationales exportatrices ressentent quotidiennement les inconvénients, et en réalité avantageuse pour la plupart des grandes entreprises globalisées. Pour ce type de sociétés, l’investissement direct à l’étranger s’est de plus en plus substituer à la Saint exportations de biens et de services, et la monnaie forte abaisse le coût des achats d’usines à l’étranger. La monnaie forte réduit également le prix à l’importation des produits intermédiaires qui sont utilisés dans la production finale. Le modèle allemand consiste à importer des éléments déjà élaborés en Europe centrale et de l’Est et à les intégrer aux productions germaniques avant réexportation, soit vers des pays tiers, soit vers des pays de la zone euro. De plus, la bénéficier dès le départ, avec la fixation des parités au sein de l’euro, d’une véritable dévaluation compétitive. Dans le panier des monnaies de l’euro, le Mark a été sensiblement sous-évalué. L’Allemagne, grâce à l’euro, s’est vu protéger des dévaluations compétitives des autres pays européens qui menaçaient périodiquement ses propres exportations.
Les industriels et les banquiers ont trouvé dans l’euro un moyen de rétablir sur le plus vaste marché unique, les cartels dont il jouissait naguère sur leurs marchés nationaux.
Les états ont été également dépossédés d’un certain nombre de possibilités en matière d’emprunts sur leur propre territoire. Le ministère des finances ne dispose plus aujourd’hui d’un statut de débiteur principal auprès de ses propres banques et de ses investisseurs. La création de la monnaie unique n’a pas été assortie d’un accord de quotas pour l’émission des obligations souveraines, les dettes des états et mise sur le marché financier externe, ce qui a favorisé les abus, notamment de pays comme la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne.

Pour Rosa, il semblerait que la situation si on puisse se régler par une dévaluation massive de l’euro, mais encore faudrait-il que l’Allemagne l’accepte, même si ce pays pourrait en bénéficier pour ses exportations dans la zone dollar, au même titre que la France. Le risque serait celui d’une sortie des pays du sud de la zone euro, des pays comme l’Espagne ou l’Italie, qui ferait augmenter la valeur de l’euro de façon automatique et qui rendrait la sortie pour la France beaucoup plus douloureuse. Une sortie exigerait une dévaluation importante avec une majoration correspondante de la dette externe nette.
En tout état de cause, les deux derniers auteurs cités ne cachent pas leur souhait de voir la France sortir de l’Euro, ce qui serait sans doute profitable pour les exportations, mais qui, en période de campagne électorale serait difficilement envisageable. Il faudra quand même citer Nicolas Dupont Aignan, jamais cité dans ce numéro qui fait preuve d’une constance rare dans la défense de ces arguments.

Bruno Modica