Avec ce numéro 235, le Mouvement social propose un grand dossier d’une dizaine de contributions coordonné par Nathalie Ethuin, Yasmine Siblot et Karel Yon sur un sujet encore peu exploré par la recherche historique. La distribution des auteurs suffit d’ailleurs à le souligner. Ceux-ci sont pour la plupart sociologues ou politistes. Il revient donc au seul historien, doctorant à Poitiers, de présenter les sources archivistiques en fin de volume pour chacune des grandes organisations syndicales« La recension des archives de la formation syndicale française : des pistes de recherches renouvelées ».. Le dossier est le fruit d’un projet financé par l’Agence nationale FORMASYND«La formation syndicale. Socialisation et apprentissages militants dans les organisations syndicales de salariés en France», CERAPS, Lille II.. Il arrive aussi après le travail du groupe d’étude « Histoire de la formation des adultes (GEHFA) », organisateur d’un colloque à Amiens en janvier 2008.
Éduquer l’ouvrier, former le syndicaliste
Le numéro débute avec un chapitre introductif de Nathalie Ethuin et Karel YonRespectivement maître de conférence et chercheur post-doctorant en science politique à l’Université Lille II, chercheurs au CERAPS, « Les mutations de l’éducation syndicale de l’établissement des frontières aux mises en dispositif ».. On y fait le constat que, contrairement à la formation des adultes, celle des syndicalistes a rarement été étudiée. Or, elle se pose d’autant plus qu’elle va de pair avec la question de la légitimité syndicale et de la promotion par l’État d’un « dialogue social » avec des organisations récipiendaires de subventions publiques. Pour souligner l’importance de la formation syndicale en ces temps de « formation tout au long de la vie », les auteurs rappellent l’exemple d’un dirigeant CGT qui, à l’occasion de la réforme des retraites 2010, évoquait les 25 000 militants formés sur le dossier.
David HamelinDoctorant en histoire à l’Université de Poitiers, « Les bourses du travail : entre éducation politique et formation professionnelle ». introduit ensuite le sujet des bourses du travail en rappelant le temps où les anarcho-syndicalistes rêvaient d’une formation alternative qui ne se consacrât pas à former des exploiteurs du peuple mais des hommes industrieux utiles à eux-même et à leurs semblables. Rappelant l’absence de monographies locales de ces bourses du travail qui furent à l’origine de la CGT, il propose de rendre compte des processus qui ont amené la mise en place de la formation dans le contexte de l’aspiration à un nouvel ordre social. Il montre comment, avec l’apport décisif de Pelloutier, ces militants ont posé les bases de la formation et défini des objectifs.
La question de la formation est ensuite analysée par syndicat : CGT, CGT-FO , CFTC-CFDT, CFE-CGC et FEN.
La CGT
Morgan Poggioli Ingénieur de recherche à l’Université de Bourgogne, « Entre éducation populaire et propagande syndicale : les cours radiophoniques de la CGT sous le Front populaire ». se consacre à « La formation syndicale CGT », fondée en 1933 sous le sigle « Centre confédéral d’éducation ouvrière (CCEO) ». Il présente la mise en place par Jouhaux et par Ludovic Zoretti, professeur de mécanique à l’Université de Caen, socialiste et syndicaliste, d’une organisation destinée aussi, au delà de la formation militante, à pallier les carences éducatives d’une scolarité très courte. Le choix de Zoretti, dès 1931, d’une éducation radiophonique peut apparaître audacieuse au lecteur, en un temps où le microphone soulève encore des réticences (on songe à Tardieu, Jean Sablon voire de Gaulle, le général Micro). L’auteur s’intéresse à la structure des émissions, à ceux qui les diffusent et à ce qu’on sait de leur réception.
Nathalie Ethuin et Yasmine Siblot Respectivement maître de conférence de science politique à l’Université de Lille III, chercheur au CERAPS ; maître de conférence de sociologie à l’Université de Paris I, chercheuse au laboratoire Georges Friedmann », «Du cursus d’éducation syndicale aux parcours de formation des militants de la CGT (années 1950-2000)». reviennent sur les parcours qui sont à l’origine de l’actuel centre de formation Benoît Frachon. L’étude montre entre autres comment la formation, qui sert aussi à repérer les futurs cadres, s’est structurée de façon hiérarchisée en empruntant à plusieurs modèles.
La CGT-FO
Le Centre d’éducation ouvrière de la CGT-FO est mis en place quelques mois après la deuxième scission. Sa mise en place est étudiée par Paula Cristofalo et Karel Yon Respectivement doctorante à l’Université Paris-Ouest Nanterre et chercheur post-doctorant en science politique à l’Université Lille III, « De la fabrique des libres-penseurs à l’administration des dévouements : Force ouvrière et la mise en cursus de la formation syndicale (1948-1971)». Elles s’interrogent sur le passage de la démarche éducative de Georges Vidalenc, visant la formation du militant, à celle qui a pour objectif, à la fin des années 1960, de provoquer fidélité et adhésion totale. Ce processus de « syndicalisation de la formation » marque le passage de l’éducation ouvrière à la formation syndicale.
La CFE-CGC
Corinne DelmasMaitre de conférence en sociologie à l’Université de Lille III (CERAPS), « Du »perfectionnement » professionnel à la »performance » de l’action syndicale. Formations et expertise à la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des Cadres (CFE-CGC)». s’interroge sur la mise en place de la formation à une époque où la jeune CGC bénéficie d’un contexte favorable : instauration du principe de consultation des instances représentatives des salariés, création de comités d’entreprise ou subventionnement, via le plan Marshall, des syndicats non communistes. On passe ici de centres de perfectionnement professionnel à une véritable formation syndicale qui se veut humaniste et « apolitique ».
La CFTC-CFDT
Cécile GuillaumeMaitre de conférence en sciences de gestion à l’Université de Lille I, « La formation des responsables à la CFTC-CFDT : de la »promotion collective » à la sécurisation des parcours militants (1950-2010)».] met l’accent sur la façon dont la CFDT a voulu sécuriser les parcours militants et professionnaliser la formation en partant de la figure des cadres atypiques que sont les détachés et les permanents. Elle souligne les spécificités qui sont celles de la CFDT, notamment l’appel à une culture d’organisation extérieure au syndicat (entreprises et Université).
Il revient à Sophie BéroudMaître de conférence en sciences politiques à l’Université de Lyon II, « A l’école de la dissidence ? Les usages de la formation par l’opposition interne au sein de la CFDT du début des années 1980 à 2003 ». de s’intéresser aux mouvements d’opposition interne qui se structurent à la CFDT dans la période comprise entre 1995, période du plan Juppé à 2003, moment du mouvement contre la réforme des retraites. Fédérée autour de la revue Tous ensemble, l’opposition à Nicole Notat ou à François Chérèque, voit dans la formation le moyen de fournir aux militants une grille de lecture qui permette une approche politique du syndicalisme.
La FEN
Le Centre fédéral de formation de la FEN est étudié par Guy Brucy Professeur honoraire en sciences de l’éducation à l’Université de Picardie, « Le fétichisme de la formation et les enjeux politiques d’un dispositif centralisé. Le cas du Centre fédéral de formation de la FEN (1976-1982) sur 6 ans. L’étude s’arrête à la fin de la période de mise en place de la structure, une décennie avant la scission de 1992. L’auteur montre comment le dispositif suscite rapidement l’opposition du SNI, l’un des plus importants syndicats de la tendance majoritaire et d’Unité et Action, organisation minoritaire (à l’origine du SNES). Il doit être profondément remanié après d’importantes contestations. Un paradoxe à souligner ici : celui de la distance entre le modèle de formation et le modèle scolaire dans une organisation syndicale regroupant des enseignants.
La liste des chroniques de ce numéro est consultable sur CAIRN.