Pour ce premier numéro de l’année 2015, la rédaction du Mouvement social nous offre une livraison croisant histoire économique et histoire sociale, avec des articles abordant la question de la consommation, celle du marché et enfin celle de la genèse de la cogestion en Allemagne.
« Apprendre à consommer au XXe siècle »
Sous ce titre sont regroupés l’éditorial de Sabine Effosse, intitulé « L’art et la manière d’acheter. Apprendre à consommer en Europe dans le second XXe siècle », et trois articles portant sur la place des femmes dans l’entrée de nos sociétés dans l’ère de la consommation de masse. Les femmes, comme ménagères, ont en effet joué un rôle essentiel dans ce processus. Dans « Catholiques militants et réforme de la consommation en France au XXe siècle », Marie-Emmanuelle Chessel, dans le sillage de ses précédents travaux, dont une courte mais utile synthèse sur l’histoire de la consommation présentée dans la cliothèque lors de sa publicationCHESSEL Marie-Emmanuelle, Histoire de la consommation, Paris, La Découverte, Collection « Repères », 2012, 126 pages ; http://clio-cr.clionautes.org/histoire-de-la-consommation.html#.VSt7wpPLKeI], étudie deux organisations catholiques, La Ligue sociale d’acheteurs (LSA), fondée en 1902 et qui disparaît pendant la Première Guerre mondiale, et L’Union féminine civique et sociale (UFCS, 1925-2009). Ces deux cas ont été choisis par Marie-Emmanuelle Chessel afin « d’étudier ensemble des associations représentatives des deux courants de l’organisation des consommateurs : la consommation éthique ou équitable, axée sur les devoirs des consommateurs et leur engagement autour d’une cause telle que les conditions de travail, d’un côté, avec la LSA ; et le consumérisme, axé sur la défense des droits des consommateurs, avec l’UFCS. »p. 11. En raison de leur caractère confessionnel, ces deux cas permettent aussi « d’évaluer la manière dont les catholiques proposent un encadrement des consommateurs, à travers trois dimensions : la question des conditions de vie et la gestion du budget, les problématiques liées aux conditions de travail et le thème de la qualité des produits et des prix pratiqués »Ibid.
S’inscrivant elle-aussi dans le contexte français, Rebecca J. Pulju, dans « « L’art de faire son marché ». Responsabilisation et éducation des consommatrices dans les années d’après-guerre (1944-1968) », revient sur le rôle de « consommatrices-citoyennes » assignée aux femmes entre la Seconde Guerre mondiale et mai 68 : « Les années de transformation qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale constituent une période importante de l’histoire du consumérisme en France, tout comme de celle des femmes et de la citoyenneté. En tant que consommatrices de la nation qui, selon certains rapports, représentaient alors les trois-quarts de l’argent dépensé en France, les femmes étaient appelées à être des « consommatrices-citoyennes », c’est-à-dire agissant, grâce à leurs achats, dans l’intérêt public. Ce qui impliquait une certaine forme d’autorité et semblait présager un nouveau rôle dans la société et l’économie, et complétait le nouveau pouvoir politique dont les femmes jouissaient désormais après avoir enfin obtenu le droit de vote. »p. 29.
Enfin, un article d’Orsi Husz, « « Quotidien doré » : consommation des ménagères et domestication des banques dans la Suède des années 1960 », vise à « mettre en lumière certains aspects historiques et sexués de la « financiarisation de la vie quotidienne », phénomène qui suscite actuellement un grand intérêt dans les travaux universitaires mais qu’on associe le plus souvent aux trois dernières décennies. »p. 41.
« Marchés et concentration en milieu rural »
Sous ce titre sont regroupés deux articles qui portent en réalité sur deux sujets assez différents. Leur seul point commun est d’interroger, à travers une approche historienne, la place du marché dans le développement économique.
Johan Vincent, dans « Grande propriété foncière et littoralisation des sociétés en France, 1750-1970 », entend montrer le rôle joué par le marché foncier dans le développement des stations balnéaires et, plus largement, la densification de l’occupation des littoraux français entre le milieu du XVIIIe siècle et, grosso modo, la création du Conservatoire du littoral (1975). Constatant que les grandes propriétés de plusieurs dizaines voire centaines d’hectares dominent dans les territoires qui jouxtent le trait de côte « quand débute en France le phénomène de littoralisation touristique »p. 66, il s’interroge, à partir du cas d’une dizaine de communes, sur le rôle qu’a pu jouer cette domination de la grande propriété dans le développement des stations balnéaires françaises et, inversement, sur les répercutions de ce dernier sur l’histoire de la propriété foncière le long des littoraux. Johan Vincent montre, tout d’abord, que l’ « inutilité foncière » d’une grande partie des terres proches des littoraux, peu propices à l’agriculture (dunes, landes …), y favorise le développement de la grande propriété jusqu’à ce que l’ « attraction balnéaire » y entraîne une véritable « révolution foncière. » Au XIXe siècle, la construction des hôtels, des villas puis des lotissements balnéaires sur le bord de mer bouleverse en effet le marché foncier. Dans ce contexte, la grande propriété devient une des matrices à partir desquelles se développe le tourisme balnéaire : « Les grands domaines sont un terreau favorable à la création de lotissements ou de stations balnéaires. En France, beaucoup sont nés à la suite de vente organisée d’une grande propriété, constituée de longue date ou pour l’occasion. »p. 72 Ce constat ne doit cependant pas être systématisé. Dans un certain nombre de cas, les grands propriétaires s’opposent à la conquête du littoral par les activités touristiques : « C’est ainsi que la présence d’une grande propriété peut conduire à deux mises en valeur diamétralement opposées : un projet immobilier qui favorise la littoralisation des populations en leur accordant un accès à la propriété foncière à proximité du rivage ; ou, au contraire, une réserve foncière qui valorise un usage particulier privé et de ce fait, involontairement, « protège » un espace. »p.78.
Stéphane Lembré, dans un contexte historiographique où se sont multipliées les recherches sur les organisation patronales, s’intéresse au cas des patrons du secteur de la meunerie dans le département du Nord. Il livre une étude sur la Chambre syndicale des meuniers du Nord de la France » intitulée : « Séparer le bon grain de l’ivraie ? L’organisation patronale dans la meunerie du Nord (1914-1987). » Il cherche notamment à montrer, en s’appuyant sur la notion de régulation, quel rôle a pu jouer cette organisation dans les transformations de la filière industrielle à laquelle elle appartient au cours du XXe siècle, en interaction avec d’autres acteurs, en particulier l’Etat, et avec les évolutions de la conjoncture, des marchés des grains et des farines, de la taille des entreprises ou encore des techniques de production : « La Chambre syndicale des meuniers du Nord de la France (CSMN) fournit un cas révélateur de la concomitance des processus de régulation de la filière, d’organisation professionnelle et de concentration industrielle. »p. 82.
« Théories de la participation ouvrière en Allemagne »
Cette partie est constituée par une seul article. Ecrit par Bernd Zielinski, il s’intitule : « Sur les origines historiques et théoriques de la codétermination dans les entreprises allemandes. » La « codétermination », meilleure traduction de l’allemand Mitbestimmung que « cogestion », bien que ce dernier terme soit le plus utilisé en français, occupe une place essentielle dans le modèle allemand de l’économie sociale de marché. Se plaçant dans la perspective de l’histoire des idées, Bernd Zielinski étudie la généalogie de la codétermination en s’intéressant à la pensée de quatre auteursIl s’agit de Robert von Molh (1799-1875), de Gustav Schmoller, de Frédéric Naumann (1860-1919) et de Friz Naphtali (1888-1961). sur un de ses aspects : la mise en place de comités ouvriers dans les usines.