C’est la première fois que les éditions des Éléphants ont été sollicités par les Clionautes, et leur réponse a été positive et immédiate. Pour ne rien gâter, la lecture du premier ouvrage reçu a été un véritable plaisir, à plusieurs titres.

L’album est d’abord un objet original : il n’y a pas de texte. La prouesse de Maurizio QuarelloLes éditions des Éléphants ont mis en ligne la biographie de l’auteur. tient donc à faire faire passer l’expression par ses seuls crayons, les angles de vue, et les postures de ses personnages. Et on doit reconnaître sans barguigner que le pari est réussi, pour audacieux qu’il soit. Chaque case est illustrée avec un luxe de détails qui rend les scènes très réalistes, alors même que le dessin garde quelque chose d’inachevé. On a ainsi des crayonnés, extrêmement soignés, rehaussés de couleurs, et le résultat est époustouflant : l’illustration de la couverture en rend parfaitement compte. De fait, les paroles échangées sont superflues. On pourrait être surpris à l’ouverture de l’album, et tenté de le refermer aussitôt : ces préventions doivent être dépassées, car le livre se regarde (j’allais écrire « lit ») avec beaucoup de plaisir. Il ne faut d’ailleurs pas se priver de le reprendre : on se surprendra à trouver des détails sur quoi on était passé précédemment, des expressions qu’on n’avait pas bien perçues.

Maurizio Quarello porte le même prénom que son grand-père, Maurizio Damarco. Celui-ci appartient à un mouvement de Résistance, dans le secteur de Monferrato, dont la localisation n’est pas précisée. Les événements relatés se rapportent à la fin de l’année 1944 et à 1945. La présence allemande est importante, et les fascistes de la République de Salò font régner la terreur. C’est l’activité résistante des patriotes italiens que Maurozio Quarello décrit, mais aussi l’angoisse de la population, à commencer par sa grand-mère.
L’album est ainsi découpé en plusieurs épisodes. « Contre les Allemands » rapporte une embuscade qui vise un camion de SS, un soir de pleine lune. « Les rafles » montre la confrontation entre une patrouille allemande et l’épouse de Maurizio Damarco : la maison est investie, alors que le résistant, blessé au cours de l’embuscade, est caché. À « l’arrivée du printemps », la guerre semble éloignée : la vie reprend un cours presque normal. Toutefois, les coups de main doivent reprendre, notamment « contre les collabos » : les résistants parviennent à s’emparer du local des fascistes, qu’ils enferment dans la prison où croupissaient des partisans, et détruisent les listes des suspects. Les alliés se rapprochent, et les bombardements des villes s’intensifientOn croit reconnaître Turin, mais cela pourrait être aussi bien une autre ville. : « l’insurrection » se prépare, et ne tarde à être lancée contre les Allemands qui se battent pied à pied, et contre leurs francs-tireurs installés sur les toits. « La libération » est bientôt acquise, et on retrouve les mêmes scènes de liesse populaires que partout ailleurs. Le drapeau italien est brandi, mais aussi le drapeau rouge. La famille de Maurizio Damarco se recompose : sa femme l’a rejoint, et leur fils les retrouve ; il a également participé à la libération.

Ces épisodes rappelleront immanquablement le film de Roberto Rossellini, Paisà(1946), au moins pour la scène qui retrace la libération difficile de Florence et les combats entre les Allemands et les partisans italiens, secondés par des soldats américains, dans les marais du Pô. Toutefois, la similarité s’arrête là. Quand Rossellini choisit de montrer la brutalité allemande (avec, par exemple, le massacre des partisans, abandonnés au fil de l’eau), Maurizio Quarello met l’accent sur la simplicité des résistants : quoi que difficiles, les combats sont menés avec calme, dans la même attitude que celle que requiert les travaux des champs. Il faut libérer le pays, et il n’y a pas à en tirer la moindre gloire.

Pour toutes ces raisons, l’album ne peut qu’être chaudement recommandé. Destiné à la jeunesse, comme l’ensemble des publications des Éléphants, il a sa place dans les centres de documentation et d’information. Mais sa grande qualité le fera apprécier des adultes.

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Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes©