Les deux guerres mondiales du XXe siècle ont été, et seront sans doute encore longtemps, très largement étudiées. La bibliographie et les recherches en cours restent très abondantes, et permettent de trouver des renseignements très précieux sur ces deux conflits, inégalés depuis par leur intensité et le nombre de victimes qu’ils ont entraînés.
Mais ils ne sont pas les seuls, et le principal mérite de l’ouvrage de Philippe Conrad est de mettre à disposition de l’étudiant comme de l’enseignant, une présentation synthétique et quasiment complète des différents conflits, y compris les moins connus, qui ont ensanglanté le monde de 1900 à 1945.
L’ouvrage adopte une présentation chronologique, ce qui n’est sans doute pas inutile pour un manuel mais ne permet pas vraiment de l’utiliser comme un véritable outil de travail sur la polémologie.
Les terrains d’expérimentation
Les guerres les moins connues, telles que la guerre des Boers, (1899-1902) ou les interventions italiennes en Cyrénaïque lors de la guerre italo-Turque de 1911-1912, sont présentées très opportunément comme de véritables terrains d’expérimentation des guerres de plus grande ampleur qu’elles précèdent. Elles sont traitées dans le premier chapitre consacré également aux contextes politiques et sociaux qui entourent les confrontations militaires.
La guerre italo-turque a été marquée par le premier bombardement aérien de l’histoire militaire, tandis que la guerre des Boers s’est illustrée par la création des premiers camps de concentration. Les spécialistes des armes à feu trouveront également dans cette guerre d’Afrique le lieu où de très nombreux dispositifs ont été testés comme certains canons mitrailleurs.
Curieusement, les guerres balkaniques qui précèdent de peu la guerre de 1914 sont à peine évoquées, et encore sous l’angle des leçons, mal tirées par la plupart des états majors, de ces confrontations pour les conflits suivants.
Il est clair en effet que la guerre de 1914 a permis des affrontements sur tous les continents mais aussi et surtout dans tous les espaces et sous toutes les formes possibles de l’époque, sur terre et dans l’air, sur et sous la mer, associant le courage des combattants à la mobilisation de l’arrière et donc le potentiel économique des belligérants.
De fait, la première partie de cet ouvrage aurait sans doute pu être plus développée, tant les conséquences de ces conflits précédant la grande guerre ont été lourdes de conséquences. La Guerre de Sécession qui se situe en dehors du cadre chronologique de ce manuel aurait tout de même mérité d’être d’avantage abordée. Les regrets de l’auteur sont aisément perceptibles à cet égard.
Dans le domaine naval par exemple, les leçons de la défaite de l’escadre Russe devant la flotte impériale japonaise démontrent l’intérêt des grands cuirassés, même si, à la même époque, l’amirauté française était dans ce domaine, à la fois en retard et en avance sur les conceptions britanniques, allemandes et japonaises. En retard, car la guerre de course est l’héritage des batailles navales du XVIIIe siècle, et en avance, car la guerre sous-marine en est l’héritière et qu’elle demeure encore d’actualité au début du XXIe siècle.
L’amiral Castex, un des grands théoriciens français de la guerre navale fait l’objet d’une notice.
Le troisième chapitre, tout comme le premier est consacré aux terrains d’expérimentation du conflit suivant, la seconde guerre mondiale cette fois-ci.
Le réarmement clandestin de l’Allemagne dans l’entre-deux guerres, réalisé avec l’aide de l’Union Soviétique est en effet riche d’enseignements. C’est dans les plaines de Biélorussie et d’Ukraine que les concepteurs des affrontements de blindés ont expérimenté leurs tactiques, si efficaces par la suite contre la France, la Pologne, et …l’armée rouge en 1941.
Par contre l’auteur évacue, peut-être un peu vite, les très originales tactiques de combat sur les arrières menées lors de la guerre civile Russe par les ancêtres des partisans soviétiques de la seconde guerre mondiale, les bandes anarchistes de Nestor Makhno en Ukraine.
Les guerres de guérillas, les guerres populaires ne sont pas vraiment du goût de l’auteur, tout comme la tactique maoïste de la guerre révolutionnaire prolongée expérimentée pendant la longue marche, totalement ignorée dans ce manuel.
Très pertinent par contre, est le développement sur l’action du Général Major Toukatchevski, en Sibérie, sa première utilisation des parachutistes lors des grandes manœuvres de 1936 a sans doute forgé une armée rouge plus efficace que ce que Hitler pensait.
Le sort de cet officier russe puis soviétique qui avait rencontré de Gaulle dans un camp de prisonnier pendant la guerre de 14, avant de combattre contre lui lors de la guerre russo-polonaise de 1920-21, est tragique, puisqu’il est exécuté lors de la seconde vague de purges staliniennes en 1938. Il est vrai qu’à cette occasion Staline fait exécuter 75 membres du conseil supérieur de la guerre sur 80.
Pourtant, sans doute parce que les Soviétiques ont beaucoup appris lors des manœuvres clandestines de la Reichswehr, les japonais, privés de moyens antichars, subissent une défaite cinglante lors de la guerre de Sibérie en juin 1939.
Parmi les deux guerres populaires, annonciatrices des conflits de le seconde moitié du XXe siècle, la guerre pour l’indépendance d’Irlande de 1916, la guerre du Rif, (19-36) sont caractéristiques des ces confrontations du futur.
Très mal connue, sauf peut-être par les lecteurs de Tintin, puisque cet affrontement est évoqué dans l’Oreille Cassée, sous l’angle du trafic d’armes, la guerre du Chaco, (1932-1935) entre la Bolivie et le Paraguay se déroule sur fond d’intérêts pétroliers. Ce ne sera pas la dernière. L’auteur évoque d’ailleurs des affrontements qui auraient eu lieu en janvier 1995, opposant cette fois l’Équateur et le Pérou pour un problème frontalier laissé en suspens.
Les ressources pétrolières réelles ou supposées sont là aussi à l’origine de ces incidents.
Les guerres d’Éthiopie et d’Espagne sont par contre mieux connues et sont, à grande échelle, des terrains d’expérimentation de la seconde guerre mondiale. A propos de la guerre d’Espagne, on s’interrogera toutefois sur la symétrie contestable de l’auteur sur l’aide extérieure que les belligérants auraient reçue. Les Républicains ont reçu de la part de la France, une aide sans commune mesure avec les troupes et le matériel envoyé par les deux autres dictatures européennes, fasciste et nazie.
Les deux guerres mondiales
Le second et le quatrième chapitre de cet ouvrage sont consacrés aux différents aspects de ces deux guerres mondiales. De ce point de vue, c’est sans doute là que l’on retrouve le plus les caractéristiques d’un manuel, sans doute utile pour l’étudiant de premier cycle ou pour l’enseignant qui souhaite un outil de référence commode. La problématique ne subit pas ici de profonds bouleversements.
La guerre de 1914 est présentée de façon là aussi chronologique, ce qui dans ce cas précis est sans doute peu opportun. Sans doute que les sous-chapitres consacrés aux aspects directement événementiels auraient pu être regroupés et précéder des parties sur les nouvelles tactiques, les moyens de la guerre industrielle, la bataille de l’arrière. La guerre sur mer et outre-mer n’est gratifiée que d’un sous chapitre, ce qui est largement discutable.
Cela est d’ailleurs ensuite rattrapé par une partie consacrée au réarmement naval dans les années 20 et 30, années pendant lesquelles la France aura sans doute la plus belle et la plus inutile flotte de son histoire. (Inutile parce que ses plus belles unités seront détruites à Mers El Kébir et sabordées en rade de Toulon.)
Au passage la présentation sous forme d’encadré, de trois chefs militaires de la Grande guerre peut surprendre. On y retrouve de fortes réserves sur Foch, une biographie très éclairante sur Luddendorf et une vision de Pétain, partisan de l’offensive qui a pourtant été largement démentie par la suite.
La seconde guerre mondiale est elle aussi traitée de façon très classique. Sans doute que le laborieux inventaire des différentes étapes de la guerre en Europe, puis en Méditerranée, puis en Asie n’a rien de déroutant et peut rassurer celui qui cherche à de forger de solides bases sur la question, pour autant, des points importants sont, de ce fait plus esquissés qu’abordés.
Les doctrines stratégiques, esquissées dans la partie précédente auraient pu être d’avantage illustrées à la lumière du conflit, tout comme la présentation des principes de la géopolitique de Haushofer, que l’on présente un peu trop vite et un peu comme pour le dédouaner, d’une encombrante sympathie pour le nazisme.
Les leçons militaires de la guerre sont aussi un peu trop rapidement abordées, notamment sous l’angle naval. En effet, c’est sans doute dans le pacifique que les EU ont mis au point leur plus redoutable instrument de puissance mondiale, le groupe de combat aéronaval, cette arme de projection de leur puissance sur tous les océans et sur tous les continents.
On oublie aussi d’évoquer les enseignements de la guerre sous-marine, perdue par la Kriegsmarine et pourtant toujours d’actualité.
Chacun des chapitres de cette histoire des conflits se termine par une bibliographie thématique organisée autour des sous chapitres de l’ouvrage et des thèmes de réflexions qui sont autant de sujets possibles sur la question.
On retrouve ici l’aspect utilitaire de cet ouvrage. L’auteur propose également, dans une rubrique
appelée « utiliser », une véritable dissertation en trois parties qui peut également servir de support de réflexion, à condition que les étudiants ne se limitent pas à son recopiage pur et simple. Il est vrai que ces derniers sont un peu trop souvent des adeptes du copier-coller…
Copyright Clionautes.