Même Astérix, à longueur d’albums, en convient : la Gaule conquise par César s’est mise, rapidement et profondément, à l’heure de Rome, évidence dont les survivances et les nombreux vestiges marquent encore l’identité de l’Europe contemporaine. La résistance du « village des fous », là-haut en Armorique, pose aussi, sur le mode de la fiction ludique, la question de la persistance de l’héritage gaulois. Passé au prisme de l’histoire ancienne, tel est aussi l’angle de réflexion adopté par cette étude rigoureuse de Laurent Lamoine, docteur en histoire et maître de conférence à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Que sont devenues les structures et les élites indigènes du pouvoir local confrontées à la mise en place du modèle romain ? Ont-elles subi un processus d’extinction pure et simple, par la mise en œuvre d’un mécanisme de substitution et d’assimilation de type colonial, ou bien l’acclimatation des institutions nouvelles s’est-elle plus subtilement faite par adhésion et accommodation en réinterprétant le substrat préexistant, dont la survie sur la longue durée s’avérerait dès lors bien plus longue qu’on ne le supposerait ?
C’est la seconde de ces hypothèses qu’explore l’auteur en associant méthode prosopographique et analyse des magistratures gallo-romaines. Dans une première partie, il propose un état des lieux méthodologique et institutionnel de la question. Dans un second temps, il envisage les pistes possibles de survivance des pouvoirs gaulois : vergobrets, questeurs (interprétés comme des avatars plausibles des arcantodans, les magistrats monétaires gaulois), et pratiques de récupération des insignes princiers gaulois (notamment le torque) par la symbolique du pouvoir romain. Enfin, la dernière partie aborde la problématique des limites et de l’étendue de la puissance publique exercée par les magistrats municipaux de la période romaine, en mettant particulièrement l’accent sur le rôle clé des fonctions de maintien de l’ordre, confrontées aux enjeux du brigandage politique ou crapuleux. Les pièces du dossier sont, par nature, fragmentaires : l’étude méthodique de nombreuses inscriptions met en évidence la nature technique et le caractère spéculatif de cette lecture des signes à tous égards lapidaires laissés par l’Antiquité. De cette démonstration de méthode, émerge un décryptage juridico-institutionnel convaincant du phénomène sous-estimé de la récupération des traditions gauloises par la romanité, notamment sur le plan religieux. De façon peut-être moins nette, en raison des aléas des sources, il semble en être aussi de même de la perpétuation de certaines élites indigènes dans les allées du pouvoir romain.
Le propos de Laurent Lamoine est savant et tissé de références. Il s’appuie sur l’analyse fine d’un corpus épigraphique collecté à travers toute la Gaule N’hésitant pas même à prendre par les cornes le taureau des modiques inscriptions municipales de Béziers… et complété par les apports de la littérature latine. Indéniablement, le caractère souvent technique de l’argumentation est surtout accessible et attrayant pour les spécialistes avertis de la période. Absence révélatrice au sein d’un appareil critique par ailleurs exemplaire, le volume ne dispose pas d’un salvateur lexique des termes, institutions et réalités juridiques évoqués. Le public intéressé au premier chef n’est donc sans doute pas celui des simples amateurs d’histoire n’ayant qu’une culture floue des institutions romaines. En revanche, archéologues et antiquisants y feront leur miel et apprécieront d’y trouver des outils de consultation aussi utiles qu’un index des noms (personnages, peuples et cités), un index des lieux, et une table des 164 références utilisées, répertoriant soigneusement inscriptions lapidaires et extraits des historiens romains. Cette batterie documentaire peut aussi constituer un apport utile dans un contexte d’ordre pédagogique, à titre de banque d’exemples et d’illustrations.
Soulignons enfin le louable agrément de lecture apporté par la qualité esthétique de l’ouvrage, qui bénéficie d’une maquette soignée associant un beau papier, une typographie claire et agréable, et une jaquette élégante. Par analogie, ce bel habillage s’avère assurément une parabole assez séduisante des modalités de “la mise en oeuvre et la mise en scène de la romanisation” décrites par l’auteur.
© Guillaume Lévêque