Ne dit-on pas que « la vérité sort de la bouche des enfants » ?

La preuve en est quand on considère le bon mot d’esprit qu’ont tenu les enfants de Cédric Gauchevel, écologue à l’INRA, pour présenter le métier de leur père. Etre chercheur revient à chasser des fantômes ! Dans un sens, ce n’est pas totalement faux tant l’activité de recherche est composée d’incertitudes et de quêtes impossibles.

Ce petit livre se veut un vade-mecum qui doit aider tous ceux qui cherchent ou qui ont envie de chercher. Car le paradoxe du métier de chercheur est de ne pas être enseigné. Les cours d’épistémologie (plus particulièrement dans les sciences dures) sont rares alors que connaître dans quel contexte a émergé tel ou tel concept est central pour comprendre comment se fait la science.

L’ouvrage se compose de trois parties. La première, consacrée à l’idée de nature, est particulièrement « complexe ou compliqué ? » pour reprendre le titre d’une sous-partie, demeurée obscure. De nombreux prérequis sont nécessaires, malgré la présence d’illustrations et d’encadrés, tirés des textes écrits par l’auteur pour le réseau de vulgarisation scientifique Plume ! par le passé.

Fort heureusement, ce sentiment de mal être disparaît à partir de la page 25 (consacrée à la biologie de l’amour) et plus particulièrement à partir de la deuxième partie traitant de la société. Une vaste réflexion sur le système d’évaluation de la recherche scientifique est menée. Le classement AERES et sa mise en œuvre sont largement écornés. Gaucherel propose que, plutôt que de faire évaluer un article par deux pairs (qui sont forcément juges et partis), mieux vaudrait faire réagir un spécialiste et un non spécialiste de la question sur un travail scientifique. Pas de risque ainsi qu’un travail soit saqué parce qu’il y manque la référence bibliographique mentionnant un des évaluateurs anonymes !

Une réflexion sur les conditions nécessaires à une bonne recherche occupe aussi l’ouvrage. « Pour faire une découverte en science, il faut donc avoir un bon bagage, maîtriser les thèmes où l’on choisit de s’engouffrer » (p. 48). « Puis, à la première découverte, l’écrire, la relire, et la critiquer, sans cesse. Le langage incarne ce que nous imaginons, l’écrit stocke ce que nous oublions. Il franchit les frontières, les frontières de l’ailleurs et de l’autrefois, il guérit de l’amnésie et de la myopie. » (p. 50) Le chercheur est le fruit de son époque et il n’est pas étonnant qu’une même découverte ait été faite en même temps simultanément (cf. Newton et Liebniz pour les équations différentielles). Cela signifie aussi la communauté scientifique est assez mature pour accueillir une telle découverte. L’interdisciplinarité a beaucoup à apporter à la science mais les résistances sont nombreuses. La discipline de l’auteur (l’écologie) est au croisement du naturalisme, de la géographie, de la systémique et des sciences humaines. Pour autant, chaque discipline garde sa manière de voir les choses ! La vulgarisation des découvertes se doit d’être réalisée par les scientifiques eux mêmes et non par des magazines de vulgarisation, dont la valeur est largement écornée par Cédric Gaucherel. De même, l’auteur dénonce le capitalisme scientifique défendu par Bruno Latour (1987). Il milite pour la slow science, qui va à l’encontre de la course à la publication. Gauchevel prédit d’ailleurs un krach du marché scientifique mondial pour bientôt quand les chercheurs se seront rendus compte que les revues classées AERES n’ont pas le facteur d’impact moyen qu’on leur attribue.

La fameuse formule du général De Gaulle (« Les chercheurs qui cherchent on en trouve, mais des chercheurs qui trouvent on en cherche ») est reprise dans la lignée des déclarations de Nicolas Sarkozy en 2009 : les chercheurs français publient « à budget comparable, de 30 à 50% en moins qu’un chercheur britannique. » Des propos à l’encontre de la slow science prônée par Cédric Gauchevel.

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes