Michel Foucher, essayiste, diplomate et surtout géographe spécialiste des frontières, s’appuie sur son expérience, sur la presse et sur des entretiens réalisés (en Grèce, au Liban) en 2015 et 2016 pour nous présenter Le retour des frontières . Ou plutôt pour en discuter car la thèse développée dans ce très court ouvrage (moins de 40 pages) est que ce retour des frontières est limité, non pas que les tenants de l’effacement des frontières aient encore raison mais qu’ils ont toujours eu tort : les frontières n’ont jamais vraiment disparu même si l’illusion européo-centrée de frontières faciles à franchir a pu y faire penser.
Cet ouvrage n’est pas un ouvrage d’analyse approfondie sur les frontières, comme l’auteur en a déjà publié (Fronts et frontières). Il se veut, selon l’esprit de a collection proposée par CNRS Éditions (et dans laquelle Michel Foucher a publié un autre volume en 2014 sur les frontières africaines), une synthèse des problématiques les plus actuelles. À ce titre il conviendra parfaitement à l’enseignant ou l’étudiant pressé de se mettre à jour en moins d’une heure sur la question des frontières en 2016. Après avoir présenté le concept de frontière et souligné combien les frontières actuelles et les conflits liés puisent dans l’Histoire, Michel Foucher présente les dynamiques et grandes caractéristiques contemporaines de ces « objets géopolitiques par excellence »: la persistance des vieux conflits, l’accroissement de la résolution bilatérale et internationale, l’importance des conflits maritimes (50 % du total) avec un important facteur « ressources » (poissons, hydrocarbures), la remise en cause des frontières, leur faible contrôle parfois et notamment dans la zone saharo-sahélienne avec des capitales excentrées.
L’auteur poursuit par une approche régionale. Il infirme l’idée selon laquelle au Proche-Orient les frontières coloniales, dont celles issues de l’accord Sykes-Picot, seraient responsables des tensions dans la région : seul 6 % du linéaire frontalier est dû à ces accords et 29 % des tracés sont issus de l’empire ottoman, 14,5 % de la Russie ; la frontière entre Iran et Irak remonte à 1639… Michel Foucher conclut sur cette région du monde en insistant sur le retour de l’Iran au milieu du jeu des grandes puissances extérieures à la zone (États-Unis, Russie) qui se livrent une lutte d’influence. Il développe ensuite sur les conflits en mer de Chine méridionale avec une Chine qui place ses pions, au mépris de la Convention de Montego Bay (sur le Droit de la mer, 1982) dont elle est partie, il est vrai non sans avoir formulé une réserve à propos de cette région du monde : la Chine cherche à gagner les profondeurs du Pacifique pour ses sous-marins basés sur l’île de Hainan. Quant à la Russie, 54 % de ses frontières le sont avec d’anciens membres de l’URSS, qu’elle considère comme sa sphère d’influence, son Étranger Proche ; le pouvoir est soutenu par un nationalisme russe accru, qui approuve ses annexions, justifiées en mobilisant et instrumentalisant l’histoire (« Nouvelle-Russie » est un concept du XVIIIe siècle renvoyant à la mise en valeur de l’entre-deux russo-ottoman près de la mer Noire).
Quant à l’Union Européenne, faute d’intégration, ses politiques ne sont pas cohérentes, notamment en matière d’immigration ; la remise en cause des accords de Schengen en découle logiquement. 80 % des migrants illégaux venus dans l’espace Schengen sont entrés par la Grèce, pays qui tire la sonnette d’alarme depuis 2004… L’arrivée au pouvoir de Syriza s’est traduite par un relâchement des contrôles aux frontières du pays, faisant le jeu des passeurs turcs. Incapable de proposer un statut sur mesure à la Turquie, l’Union Européenne ne brille pas plus dans ses relations avec l’Afrique, ne prenant pas conscience du plus que doublement attendu de la population sahélienne pour 2050, avec plus de 400 millions d’habitants supplémentaires dans des zones en difficulté. Qu’elle se console : les États-Unis ne font guère mieux : le mur avec le Mexique n’a aucune efficacité. Le meilleur rempart face aux migrants est le développement : c’est l’essor économique du Mexique et non le mur états-unien qui explique un solde migratoire négatif des Mexicains aux États-Unis.
On ne saurait conclure sur ce petit mais passionnant ouvrage sans évoquer la présence en annexes d’une chronique des faits frontaliers entre octobre 2015 et mai 2016. Même les chercheurs confirmés y trouveront sans nul doute des éléments qui leur ont échappé : l’appel du Liban à la France pour régler son différend maritime avec Israël, l’accord entre Égypte et Arabie Saoudite sur le golfe de Tiran, l’activisme juridique du Guyana dont 40 % du territoire est revendiqué par le Venezuela, la remise en cause de la zone de développement conjoint avec l’Australie par le Timor Oriental pour l’exploitation des hydrocarbures (« traité inégal » selon Michel Foucher), l’évolution du conflit entre Égypte et Soudan sur le triangle de Halaib, les revendications maritimes (100 000 km²) de la Somalie (État pourtant failli et qui ne contrôle qu’une partie réduite de son territoire) face au Kenya, etc. Quelle meilleure preuve que les frontières ne sont pas mortes ?
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