Sénat, Troisième République, France, Entre-deux-guerres, Droites, Gauches, radicalisme, sénateurs

Gisèle Berstein, une spécialiste de la vie politique de la Troisième République

Spécialiste de la vie politique sous la IIIe République avec son époux Serge Berstein, Gisèle Berstein est agrégée d’histoire à Paris et docteur ès lettres. L’ouvrage est issu d’une thèse de doctorat d’État soutenue en novembre 2012 à l’Université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense intitulée : Gisèle Berstein, Le Sénat et la IIIe République dans l’entre-deux-guerres. La version intégrale de la thèse est consultable à la Bibliothèque universitaire de l’établissement.
Cet ouvrage de 492 pages comprend une courte introduction (p. 7-10), 14 chapitres (distribués dans 3 parties d’inégales épaisseurs soit p. 11-440), un épilogue (p. 441-459), une conclusion (p. 461-468), une rubrique « Sources » (p. 469-473), un index des noms de personnes (p. 475-481) et une table des matières (p. 483-492). Il est à noter que le corps du texte est parsemé de quelques cartes, de nombreux tableaux et annoté de nombreuses notes infrapaginales enrichissant l’étude de manière scientifique.

Dans son introduction, Gisèle Berstein expose l’étude de cette Haute Assemblée française (Sénat) sous l’angle de « son mode de fonctionnement, sa composition, ses principes et ses valeurs, les objectifs qu’elle poursuit et les raisons de son comportement politique, sans oublier que, si elle est l’héritière d’une tradition qui remonte aux origines mêmes de la IIIe République, elle a subi, au fil des 45 années qui se sont écoulées, de profondes transformations liées aux mutations de tous ordres qui ont affecté la société française » (p. 8).

Première partie :
Le personnel sénatorial

Cette première partie est sociologique et prosopographique (p. 11-102) et se compose de cinq chapitres. Gisèle Berstein explique ce que représente le Sénat sous la Troisième République « Chapitre 1 : La Haute-Assemblée de la IIIe République » (p. 13-25) qui est la clé de voûte de la république conservatrice mais qui connaît des problèmes après la période 1914-1918. Ensuite, dans le « Chapitre 2 : Comment devient-on sénateur ? » (p. 27-34), l’auteure montre la préparation, la chronologie et la procédure électorale des sénatoriales. Avec le « Chapitre 3 : Qui sont les sénateurs ? » (p. 35-64), l’historienne fait la prosopographie des sénateurs de l’entre-deux-guerres en étudiant l’âge des sénateurs, leur milieu familial et leur niveau d’études, leurs professions ainsi que la carrière politique des sénateurs avec leur élection au Sénat.

Deuxième partie :
Le fonctionnement du Sénat

En revanche, la deuxième partie est analytique (p. 103-188) avec également cinq chapitres. Gisèle Berstein examine dans le « Chapitre 6 : La mise en place des structures de la Haute-Assemblée et de ses commissions » (p. 107-115) avec l’élection du bureau du Sénat et la nomination des membres des commissions générales. Dans le Chapitre 7 « Le travail législatif du Sénat » (p. 117-129), ce dernier est consacré à l’organisation du travail, à la répartition des projets de loi et des projets de résolution entre les commissions, l’étude en commission des textes législatifs et, enfin, le travail législatif en commission plénière. Avec le « Chapitre 8 : Le Sénat et le vote du budget » (p. 131-157), l’auteur observe l’étude du budget à la commission des finances du Sénat, la procédure régulière de l’examen et du vote du budget en séance plénière, le problème de l’adoption du budget par décrets-lois et la doctrine budgétaire du Sénat. Quant au « Chapitre 9 : La fonction de contrôle du Sénat » (p. 159-176), l’historienne étudie le contrôle en commission, le contrôle en assemblée plénière et les difficultés de ce contrôle. Enfin, dans le Chapitre 10 consacré au « Panorama des commissions du Sénat » (p. 177-188), Gisèle Berstein considère la commission des finances (commission-reine du Sénat), les grandes commissions de souveraineté que sont les affaires étrangères et la défense, une commission vouée à la défense des principes du régime : la commission de législation civile et criminelle, les commissions à vocation économique et sociale puis, enfin, une importante commission spéciale : l’Algérie.

Troisième partie :
Le Sénat et les grands problèmes de la France pendant l’entre-deux-guerres

Avec cette troisième et dernière partie (p. 189-440) composée de quatre chapitres, Gisèle Berstein opte pour un plan tout à la fois thématique et chronologique. Dans le « Chapitre 11 : Le Sénat et les problèmes de l’après-guerre : préserver la République laïque » (p. 193-246), l’auteure aborde le rétablissement de l’ambassade de France auprès du Saint-Siège à Rome (décembre 1921), le retour de l’Alsace-Lorraine à la France et le problème du suffrage des femmes (1922-1932). Avec le « Chapitre 12 : Maintenir le libéralisme économique et social » (p. 247-272), l’historienne étudie la mise en œuvre d’un libéralisme contrôlé par l’État, le libéralisme sénatorial à l’épreuve de la crise économique mondiale (1932-1936) et du Front populaire (1936-1937). Avec le « Chapitre 13 : Le libéralisme sénatorial, rempart de la République parlementaire » (p. 273-341), Gisèle Berstein montre comment le Sénat fait face à la menace communiste (1920-1934), le dysfonctionnement des institutions et le problème de la réforme de l’État ainsi que le Front populaire constitue une menace pour les principes libéraux et le régime républicain aux yeux des sénateurs. Enfin, avec le « Chapitre 14 : Le Sénat et l’angoissant problème de la Défense nationale » (p. 343-440), l’auteure explique comment la France veut le respect des traités au nom du droit et de la raison (1920-1926), le Sénat se positionne par rapport à l’organisation de la Défense nationale (1927-1934), l’organisation défensive du territoire, les freins à l’organisation de la défense et, enfin, le Sénat et les difficultés de l’organisation de la Défense nationale face à la menace de guerre (1934-1939).

Épilogue (Le Sénat pendant la « Drôle de guerre »)

Dans un épilogue (p. 441-459), Gisèle Berstein aborde l’existence des deux comités secrets du Sénat (celui du 14-15 mars 1940 ainsi que celui du 16-18 avril 1940), le problème communiste ainsi que le Sénat à l’heure de la défaite et de l’effondrement du régime de la Troisième République.
Enfin, dans une conclusion (p. 461-468), Gisèle Berstein constate qu’à la fin du XIXe siècle, le Sénat devient l’un des piliers du régime républicain, composé de notables essentiellement ruraux, très majoritairement radicaux ou républicains modérés, profondément attachés au caractère parlementaire des institutions, à la laïcité, au libéralisme économique et politique et à la défense nationale.
Comme le montre Gisèle Berstein dans cette vaste fresque, ces éléments constitutifs de la tradition républicaine se trouvent menacés dans l’entre-deux-guerres par les nombreux troubles qui affectent le pays.
Ces menaces conduisent le Sénat, qui se considère comme le gardien du régime, à mener un incessant combat contre les empiètements du gouvernement sur le droit de contrôle de la Haute-Assemblée, contre la poussée communiste, contre les risques d’étatisation qu’il croit discerner dans l’expérience du Front populaire…
La perte d’influence de la Chambre haute annonce ainsi la crise du régime parlementaire et le Sénat assiste impuissant au double échec de 1940 qu’il a tenté en vain d’éviter, la défaite militaire de la France devant l’Allemagne et l’effondrement du régime républicain…

Le Sénat sous la IIIe République (1920-1940) : une étude qui devrait faire date ?

En guise de conclusion concernant l’ouvrage de Gisèle Berstein, ce dernier constitue la première étude exhaustive sur le Sénat, c’est-à-dire sur un rouage essentiel de la vie politique de la IIIe République. Plus que l’étude de l’institution, c’est la façon dont elle est menée l’étude qui est remarquable. En effet, outre « […] l’indispensable, mais gigantesque publication des débats du Sénat par le Journal Officiel. Au-delà de cette source fondamentale, les archives du Sénat offrent la possibilité d’approches approfondies du personnel sénatorial. C’est toutefois la précieuse collection des archives des commissions sénatoriales qui constitue la source la plus intéressante, essentiellement parce que les délibérations des commissions étant secrètes, leurs membres, habitués à travailler ensemble, expriment librement leur opinion sur les projets ou propositions de lois qui sont soumis à leur jugement. » (p. 10). Par conséquent, il est d’autant plus dommageable que l’éditeur n’est pas créé une table des cartes et des documents (en l’occurrence des nombreux tableaux) qui émaillent l’œuvre de l’auteur dans le corps du texte et permettent de suivre le raisonnement de l’historien qui sont des outils très utiles pour les chercheurs. De plus, la bibliographie de Gisèle Berstein se réduit délibérément aux JORF, aux archives du Sénat et aux publications ayant le caractère de sources (documents administratifs concernant le Sénat, mémoires et témoignages puis études et publications contemporaines concernant le Sénat). En effet, l’auteure nous renvoie à sa thèse pour la bibliographie complète. Quand même, il nous semble qu’une liste d’une dizaine d’ouvrages historiques récents sur le sujet était indispensable pour aiguiller les chercheurs comme la publication de la thèse de Serge Berstein en deux tomes : Histoire du Parti radical aux PFNSP. Nous espérons que ces oublis seront réparés dans une édition ultérieure et corrigée de l’ouvrage de Gisèle Berstein.

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)

Professeur-documentaliste certifié dans un collège-lycée à Tours. Titulaire d’une maîtrise d’histoire contemporaine (Master 1) avec un mémoire intitulé Les radicaux et les radicaux-socialistes en Indre-et-Loire (1928-1934), soutenue en 1992, sous la direction de Michèle Cointet-Labrousse, à l’Université de Tours puis d’un Master 2 Histoire Recherche à l’Université François-Rabelais de Tours où il a soutenu en juin 2015 un mémoire de M2 ayant pour titre : Les parlementaires radicaux et radicaux-socialistes en Indre-et-Loire (1919-1940), sous la direction de Robert Beck. Actuellement, il travaille sur le radicalisme en Indre-et-Loire sous la Troisième République pendant l’entre-deux-guerres.