Pascal Lorot est éditeur de revues de géopolitiques dont Maghreb-Maschrek et Le monde chinois. Dans cet « Essai sur la nouvelle puissance chinoise », il explore toutes les composantes de la réussite chinoise et de ses faiblesses dans cet ouvrage pluridisciplinaire à dominante géopolitique.
La Chine fascine, inquiète et dérange non seulement par sa croissance économique, mais aussi par son capitalisme d’État, sa puissance militaire, son activisme diplomatique (dont sa protection de régimes sanguinaires à l’ONU) et sa volonté de capter les ressources mondiales.
Ce « retour » de la Chine était prévisible et prévu (Malraux : Les conquérants, 1928, Peyrefitte Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera 1980). Il est palpable depuis les années 1990. Ce pays veut retrouver sa place normale, son dû d’influence et de puissance, mais on ne sait pas encore pour quoi faire.

Les racines historiques

Tout part de la conviction chinoise de sa supériorité intellectuelle et morale par rapport aux « barbares » (terme utilisé jusque dans les documents diplomatiques), et donc de l’humiliation subie au XIXè et première moitié du XXè siècle : « imaginons la Grande Bretagne , l’Allemagne et la France dominées par une Chine dont l’armée serait sur leur sol et les douanes soumises à son administration ». Un nouveau traumatisme survient avec l’écrasement par le Japon –asiatique, lui- en 1895. Suit la révolte des Boxers, populaires par leur xénophobie, et finalement appuyée par le gouvernement impérial qui est défait en 1901.

La république est proclamée en 1911, dans un contexte où le modèle démocratique est étranger, et, pire, occidental, donc mal accepté et mal appliqué (ni libéralisme ni démocratie) ; le Guomindang reste limité aux intellectuels et bourgeois ouverts sur l’extérieur. L’échec du nouveau régime accentue la pénétration étrangère. Dés les années 1920/30 une nouvelle société détachée de l’ancienne Chine apparaît dans les ports. Parallèlement est lancé le léninisme (1919), qui piétine aussi, étant trop occidental et axé sur les luttes ouvrières. Il est écrasé par Tchang Kaï-chek en 1927.
Ce double échec permet à Mao de se lancer à partir des paysans dès les années 1930 en veillant à fusionner social et national, et en insistant sur le caractère unique, donc chinois de sa révolution. Il échouera à l’intérieur (une catastrophe humaine longtemps sous évaluée), mais réussira mieux à l’extérieur. La fierté nationale estretrouvée avec Bandung, la reprise du Tibet, le coup d’arrêt aux Américains en Corée, le rejet de l’URSS, l’entrée dans le club nucléaire en 1964 et la reconnaissance par de Gaulle, puis Nixon.
La mort de Mao en 1976 est l’événement fondateur de la Chine d’aujourd’hui, sachant que pour les Chinois un régime ayant redonné la fierté nationale ne peut être entièrement mauvais (je note que cela est exactement contraire à l’appréciation « engagée » longtemps constatée autour de moi : réussite angélique à l’intérieur, ignorance de l’aspect nationaliste qui aurait été mal perçu).

La renaissance, mais sous contrôle

Le début de la renaissance Chinoise n’est pas remarqué en Occident : les premières réformes touchent les campagnes, puis le début de l’industrialisation est noyé dans la rubrique « mondialisation ». Aujourd’hui, chacun commente les records du commerce extérieur et du PIB, la participation au G8 et à l’OMC, ainsi que le cinéma, les milliardaires, les JO, l’Expo universelle (Shanghai, 2010) et même le prix Nobel de littérature (2000).
L’ouverture politique « aurait du » suivre. Pas du tout ! Si l’on se donne maintenant du « Monsieur » au lieu de « camarade » et si les capitalistes sont admis au Parti, on veut à tout prix éviter l’erreur gorbachévienne (répression de Tien An Men en 1989) et il y a peu de progrès depuis 30 ans : contrôle d’Internet et 3000 condamnations chaque année pour comportements politiques ou religieux non violents. Prenez « un oiseau dans la main : trop serré, il meurt, libre, il s’en va : il faut ouvrir la main, mais dans une cage ». L’auteur ne prévoit pas de progrès dans ce domaine : « le peuple est privé de tous les droits, sauf celui de s’enrichir, et pour l’instant, il s’en contente ». Se met en place un État certes non communiste, mais ni libéral ni « providence ».

Du succès aux problèmes

Le démantèlement du communisme dans les campagnes années 1980 ont amélioré la production, mais il n’y a toujours pas de pleine propriété foncière, problème rendu encore plus aigu par l’urbanisation. Mi-chemin analogue pour les entreprises, où la limite public/privé est floue. Certes, la propriété privée des actions et des logements (proclamée en 2004 seulement) a été confirmée (en 2007 !). Mais on ne sait si ce droit sera cessible et surtout s’il sera respecté. On est encore loin de l’État de droit et de la gouvernance moderne d’entreprise.
Les inégalités internes seraient les plus fortes au monde, notamment au détriment des campagnes (moins de 2 $ par jour), qui sont néanmoins surtaxées. Le vieillissement est rapide faute d’enfants : « la Chine risque d’être vieille avant d’être riche, contrairement à l’Occident ». En attendant, les campagnes se déversent (plus ou moins légalement) dans les villes, qui doivent investir considérablement pour faire face.
La production énergétique et notamment électrique ne suit pas, malgré la multiplication des très polluantes centrales à charbon. Le barrage des Trois gorges devra être complété par de nombreux autres, et le nucléaire accéléré, mais tout cela demandera des années. D’où la course au pétrole (et la flambée de ce dernier, pas encore très sensible au moment de la rédaction de ce livre).
Le pays est devenu le premier polluer de la planète avant les EU, les terres arables et eaux potables disparaissent, la population se révolte et est réprimée.
Ces trois grandes séries de problèmes n’ont généré jusqu’à présent que des mesures cosmétiques. Mais les succès, ainsi que la catastrophe écologique ont renversé l’image de la Chine à l’extérieur.

La Chine et le reste du monde

En quelques années, la Chine est passé d’une image positive de « nouvelle frontière » de l’Occident à celle d’une menace économique, commerciale et financière, de pilleur de matières premières, de pollueur et maintenant de puissance militaire (tout un chapitre d’exemples). La Chine dépense en effet beaucoup pour son armée, qu’elle modernise depuis 2002. Elle veille à avoir une industrie militaire ultra moderne en la « mixant » avec des entreprises privées efficaces, fournisseurs ou associées, étrangères (russe et israélienne) au besoin. L’auteur estime néanmoins que le nationalisme et la focalisation sur Taiwan n’est pas pour l’instant militairement « aventuriste ».

La Chine pourrait économiquement dépasser les EU vers 2040 et concurrence déjà de nombreux pays du Sud (Maghreb, Turquie, Mexique …) sur les marchés du Nord. Hong Kong est en voie de normalisation économique et politique. Des manifestations anti-japonaises ont exercé sur le Japon une pression à la quelle il n’a pas cédé et qui pourrait le conduire à se réarmer et à devenir puissance atomique … mais il ne doit pas oublier qu’une partie de l’industrie japonaise est maintenant en Chine (les délocalisations japonaises se sont ralenties depuis cet ouvrage et un réconciliation officielle a eu lieu).
L’Europe n’est pas en opposition avec la Chine sur le plan de la sécurité ou du contrôle des territoires ; chacune est pour l’autre un partenaire important, mais l’Europe a montré sa désunion, son incohérence et donc sa faiblesse lors de la crise du textile. Les industriels européens exportant ou sous-traitant en Chine font pression sur leurs gouvernements pour des accommodements, ce qui est compris comme l’illustration d’une faiblesse.
Les Etats-Unis sont le premier partenaire de la Chine, et cette dernière le quatrième des Etats-Unis mais aussi un de ses principaux créanciers. Les ÉU s’inquiètent du niveau « artificiellement bas » du yuan (qui s’est légèrement atténué depuis), du non respect de la propriété intellectuelle et ripostent énergiquement au moindre conflit. En particulier, Washington maintient l’embargo sur les armes, que souhaite lever l’Europe. Bref, les relations Chines/États-Unis sont intenses mais tendues, et structurellement empoisonnées par le dossier taiwanais qui met en jeu l’orgueil et la crédibilité de chacun. L’autre est le rival de demain et il faut montrer sa force. Cela est aujourd’hui masqué par le terrorisme islamiste, mais demeure sous-jacent.
Toutefois on est loin de la guerre froide : il n’y a plus d’opposition, tout le monde est capitaliste et « mondialise » mais cette mondialisation est de moins en moins américaine et de plus en plus chinoise. Reste que le régime hésite encore entre un capitalisme d’État « dur » et un capitalisme libéral, par essence plus ouvert et plus pacifique.

En fin d’ouvrage, l’auteur revient sur les conséquences géopolitique de la dépendance pétrolière : irruption de la Chine dans de nouvelles zones ou entreprises pour contrôler la production, constitution d’une marine de guerre puissante pour contrôler mers proches et voies d’approvisionnement, prise de participations financières dans des ports (dont Singapour) et des canaux (dont Suez et Panama). Dire qu’elle ne fait qu’agir comme les Américains ne rassure pas ces derniers. Mais dire aux Chinois que les Américains ne sont en Asie occidentale et centrale (l’« Orient » pour nous) que pour que pour lutter contre le terrorisme ne les empêche pas de penser que cette implantation « dans leur dos » et dans leur zone d’approvisionnement pétrolier les vise aussi. D’où leur rapprochement avec l’Inde et la Russie, qui étaient des ennemis il y a encore 10 ans, et la percée en Afrique et surtout, vu des Etats-Unis, en Amérique latine.
Tout cela n’empêche pas le pragmatisme ni d’apparentes contradictions (agressivité / coopération) en politique extérieure, qui sont exposées en détail dans cette deuxième partie du livre.

En conclusion l’auteur voit le monde du XXIè siècle pris entre le défi islamique et le défi chinois. Pour l’instant l’objectif de la Chine est d’intégrer le système mondial, mais après ?

Cet ouvrage a le double intérêt d’être transdisciplinaire et d’offrir de nombreux exemples. Il est de lecture simple, malgré la complexité et les contradictions des situations exposées. Au lecteur d’être un peu « chinois » et de comprendre que tout phénomène est en interaction permanente avec son contraire.