Une série de « micro thèses » de terrain illustrant les contradictions entre environnement, implication des populations et développement.
L’objet véritable de ce recueil d’articles est l’invasion des disciplines « humaines » par les questions environnementales et les difficultés de leur articulation avec la croissance (quantitative) et le développement (plus global), ainsi qu’avec l’implication des populations concernées.
Les 281 pages sont denses, d’un format large et plus pour « pairs » que pour le lecteur non spécialiste. Mais elles regorgent d’exemples précieux.

Vue d’ensemble
L’introduction détaillée de Sophie Goedfroit et Jean Pierre Revéret est intéressante, bien que d’un style un peu abstrait (soutien du CNRS oblige ?). On sent en arrière plan des querelles d’école et d’idéologie, mais les considérations de terrain l’emportent heureusement.
Je note l’affirmation selon laquelle la conception des outils du développement est la transposition idéologique des idées et valeurs du Nord présentées comme universelles : équité, démocratie , droits de l’homme et de la femme. Cela a le mérite du sérieux, l’affirmation s’arrêtant souvent à « universelles » pour éviter des discussions plus « complexes ».
Écologie et développement déjà difficiles à articuler doivent de plus respecter la nouvelle contrainte imposée par les conventions internationales : « respecter l’autochtone, ses traditions, ses coutumes et ses interdits ». Encore faut-il dire qui est « l’autochtone » parmi des groupes divergents (dont l’administration du pays), et quelles sont lesdites traditions, ce qui impose des enquêtes préalables (les MARP) sur ces notions imprécises et fluctuantes (et pas toujours respectables à mon avis).
La spécificité de Madagascar est la coexistence très conflictuelle d’une biodiversité exceptionnelle et d’une extrême pauvreté, la seconde tendant très naturellement à détruire la première, malgré les efforts des pouvoirs précoloniaux puis coloniaux puis des militants occidentaux des ONG. Une autre caractéristique, non spécifique à « La Grande Ile » celle là, désignée du terme politiquement correct de « décolonisation économique », est fort heureusement décrite pour ce qu’elle fut : une catastrophe entraînant un profond déclin (infrastructures physiques et intellectuelles) et un tout aussi profond appauvrissement (PIB par tête), du à l’épisode socialo-marxiste (terme des auteurs) éliminant le « néocolonial » autour des années 1980.

Les articles

Jacques Lombard considère que l’idée de développement cache depuis l’origine un désir de contrôle et de négation des identités locales, même lorsque l’on veut « les préserver ». Il fait un vaste tour du monde et de l’histoire dénonçant « les multinationales » et le constructivisme soviétique, puis nous annonce que les « locaux » résistent.
Il nous décrit de sociétés claniques se razziant mutuellement, puis la royauté « orientale » apportée par des immigrants arabes, perses, indiens , indonésiens, contrôlant « la circulation des bovidés » et échangeant (avec les Arabes ? Zanzibar et autres sultanats esclavagistesne sont pas loin) des esclaves contre des armes. Ladite royauté mythifie ses ancêtres et contrôle l’interface avec le religieux, qui est longuement décrit, avec l’importance du funéraire et une profonde opposition homme(force)/femme (sentiments).
Tout cela s’effondre avec l’alliance anglaise qui apporte le protestantisme, puis avec la victoire militaire française. « Les Lumières » et leur descendance rousseauiste-marxiste sont en effet à l’opposé de cette civilisation. « Les dépendants du système, alphabétisés par les pasteurs luthériens deviennent de agents actifs de l’économie coloniale (…) : émigration rurale, scolarisation, santé, instabilité matrimoniale, pauvreté, solitude ». La culture du coton apporte « un excès de revenus » … et j’avoue ne pas avoir compris la suite !

Sophie Goedefroit étudie une expérience de « gestion locale sécurisée ». Cette nouvelle « gestion » était censée ne pas avoir les défauts des précédentes, et notamment s’appuyer sur la concertation et les valeurs locales, par exemple pour faire contrepoids au droit foncier (90 % de terres d’État sans reconnaissance des droits coutumiers) qui permet à l’État d’attribuer des concessions qui rappellent l’époque coloniale.
Mais cette « gestion locale sécurisée » est minée par l’accent mis sur « la sauvegarde de la biodiversité », tout en insistant sur le « droit à la parole » de locaux que l’on suppose par ailleurs « prédateurs de l’écosystème ». Ces contradictions devaient être surmontées par « la participation » des intéressés aux décisions, mais le bilan, dix ans après, est décevant. Les bonnes intentions des ONG n’ont rien changé de concret, sinon exaspéré « les vieux » (« pas de bœufs dans la forêt, des femmes pouvant être chefs de projet !! », autrement dit l’éclatement du village en pouvoirs concurrents). La tentation est grande de revenir à une action autoritaire de l’État ou à l’action directe de grandes entreprises privées concessionnaires. De manière un peu analogue, Albert Roca expose le détournement des concepts de développement par ses acteurs, en l’occurrence, la reprise en main par le pouvoir des « régions » censées être un échelon de participation.

La multiplication des ONG déjà évoquée dans les articles précédents, notamment pour la protection de la biodiversité, est soulignée par Sophie Moreau. C’est une providence pour l’élite citadine qui bénéficie ainsi d’une bonne part des fonds … du développement rural ! Mais les idées remuées restent éloignées de celles des paysans, à part quelques uns qui acquièrent un pouvoir en collaborant avec ce monde extérieur et qui pourraient « être des vecteurs de modernité ».

Philippe Karp, avec « l’indispensable restructuration du droit environnemental », accorde une extrême importance à la biodiversité malgache « pour la planète, mais aussi pour la survie des habitants de ce pays ». son support, la forêt, disparaît de plus en plus rapidement : le bois représente 90 % de l’énergie consommée. L’auteur oppose le fond de ce droit environnemental (satisfaisant) à sa forme, identique à celle du droit français et « donc » inadaptée. Aucun canal n’en assure la diffusion aux intéressés, sauf recours coûteux à l’élite urbaine et à condition de penser à l’aspect juridique d’une question. Les textes effectivement disponibles localement peuvent avoir … 30 ans de retard, et le dictionnaire juridique franco-malgache est introuvable hors de France. Les modifications du registre foncier sont indispensables pour garantir les droits, mais matériellement impossibles (coût des déplacements et de publicité …). Ce vide juridique est comblé par des règles de conduite autodictées et des actes privés. Il y a ainsi deux espaces juridiques étanches ; le second, certes mieux adapté aux coutumes, se soucie peu de l’environnement et est une source de fraudes. L’auteur propose de remplacer le droit officiel par une proclamation de principes fondamentaux.

Laurent Berger expose le rôle d’interface de « la voix des ancêtres » (le roi local) et la politique officielle de « développement rapide et durable » (investissements extérieurs). Cette fonction d’interface a mené à la déchéance en 2004 du roi « par son peuple » pour n’avoir pas soutenu un projet d’aquaculture industrielle. Cet exemple intéressant, une vraie « micro-thèse », est malheureusement obscurci par des considérations économiques à l’emporte-pièce et de complexes considérations ethnologiques.

Philippe Méral et Vahinala Raharinirina-Duguet décrivent les contraintes exogènes de la tentative de gestion durable de la forêt des Mikéa. La filière porcine encouragée par l’Union Européenne, donc à La Réunion voisine, pousse les paysans à brûler la forêt pour cultiver le maïs. Les rendements diminuent dès la troisième année, d’où de nouveaux brûlis (je simplifie : il n’y a pas que le maïs). A cette occasion nous avons droit à un rappel de l’histoire des notions de développement durable, puis de l’écheveau –qui laisse rêveur- des administrations, ONG et associations de paysans. Le résultat final semble être un encouragement à la remise en culture des terres délaissées et une répression accrue mais inégalemnt moins efficace. L’article analyse ensuite les innombrables contradictions de la situation (horizons temporels, conflits de pouvoir …). L’auteur souhaite que le retour à un certain dirigisme ne se fasse pas au détriment de la collaboration avec la population. Dans une autre région, l’analyse est encore compliquée par le fait qu’il n’est pas scientifiquement certain qu’une zone à protéger ait l’importance écologique qui lui est attribuée (Stéphanie Carrière-Buchsenschutz pour le corridor forestier de Fianarantsoa)

Contradictions aussi pour la pêche, étudiée par Christian Chaboud chez les Vezo du sud-ouest de la Grande Ile, où la pêche artisanale n’est pas en concurrence avec d’autres activités marines. Les matériels modernes se sont répandus, mais la pirogue à balancier reste inchangée. Réputés relativement aisés et « monétarisés » par le vente des poissons, les Vezo se sont considérablement appauvris comme leurs voisins à l’époque socialiste, n’ont pas accès aux services publics et manquent d’eau potable. De plus, le rendement de la pêche diminue et l’alerte à la biodiversité est donnée. A la surexploitation (croissance démographique, modernisation) s’ajoute l’effet des effluents « naturels » (terres emportées suite à la déforestation) et humains (aucun traitement des eaux usées). Suivent des considérations théoriques évoquant des querelles de spécialistes, puis la description de tentatives externes de développement, de diversification et de respect d’aires protégées, et enfin, à quelques nuances près, de leur échec.

Et quid de l’activité minière ? Jean-Pierre Revéret expose le cas d’un investissement privé démarrant en 2005 (après 19 ans d’études et de concertation !) et censé apporter le développement dans le respect de l’environnement et de la biodiversité, cela dans le contexte de la relance des mines dans tout le pays. L’investisseur développera les infrastructures (port et routes), créera 600 emplois directs et 1100 indirects, ce qui n’est pas grand chose, et sera maître d’oeuvre de la conservation de la bio diversité et de la gestion des ressources renouvelables. Toute l’Afrique attend les résultats de ce test.

L’ouvrage se termine par un débat autour du livre de Philippe Descola, Entre nature et culture, et par des comptes rendus d’ouvrages.

Mon avis
L’ensemble est de lecture parfois difficile pour les non initiés, chaque article étant assez spécialisé. Il y a des redites dues à l’omniprésence des mêmes soucis : protection d’une biodiversité mise en péril par une population que l’on doit respecter par principe, mais qui est peu consciente de ses intérêts à long terme (et de toute façon, il lui faut vivre en attendant) et ignorante de la plupart des questions techniques, juridiques ou autres, conflits de pouvoirs, blocages dus aux traditions etc. Accessoirement, la division en articles indépendants éloigne de la pluridisciplinarité annoncée.

Celui qui surmontera ces défauts bénéficiera des 1000 exemples de terrain indispensables pour qui ne veut pas en rester à des généralités sur le développement, l’aide et le respect de l’environnement