La collection Folio histoire donne ici la parole à la «Grande Muette » à travers la publication d’une sélection d’articles issus de la revue Inflexions. Editée par l’armée de terre, celle-ci traite des enjeux liés à la défense mais aussi et surtout au soldat et à sa place dans la société. Elle donne la parole à des officiers mais également à des universitaires et représentants de la société civile. L’anthologie qui est ici présentée s’intéresse à la place du soldat à travers trois thématiques : « Du soldat » (ses caractéristiques et ses valeurs), « Au combat » (enjeux liés aux nouvelles conflictualités et enjeux liés aux technologies), « le retour » (du suivi psychologique à la place du combattant dans une société en paix).
Les contributions publiées sont celles d’officiers ayant été en mission sur le terrain, des plus anciennes comme à Sarajevo aux toutes récentes de la Centrafrique au Mali en passant par l’Afghanistan. Certains à l’image du Colonel Goya sont des habitués des médias, d’autres occupent des fonctions élevés comme le général Lecointre actuel chef d’état-major des armées. Mais la publication comprend aussi des articles de sociologues et médecins militaires.
Du soldat
Le soldat par la nature de sa fonction se retrouve confronté à des défis aussi bien physiques que moraux. L’entraînement physique, souvent assimilé à un dressage, a pu parfois apparaître vain au vu des progrès des techniques qui faisaient espérer une guerre purement technologique à « zéro mort ». Les engagements récents ont cependant montré que les exigences physiques étaient là. Un physique qui doit être au service du collectif représenté par les hommes en opération car ce qu’il s’agit de vaincre ce n’est pas seulement l’ennemi, c’est la mort à laquelle ils doivent faire face.
Mais les exigences morales sont encore plus fortes de par la mission du soldat qui se trouve confronté à ce danger et peut être amené à tuer. Dans ce contexte les diverses commémorations militaires (Camerone…) contribuent à former le soldat d’aujourd’hui sur le plan collectif comme individuel par la transmission de valeurs. Mais en quoi consistent réellement la bravoure et le courage ces termes souvent accolés au vocabulaire militaire ? Le regard et la reconnaissance des autres sont déterminants pour en comprendre la vraie nature.
La question de l’obéissance/désobéissance aux ordres occupe une place particulière dans l’armée. Celle-ci est souvent présentée comme une simple machine d’exécution des ordres. Or les exemples de désobéissance sont présents : ceux de 1940 sont connus, mais la guerre d’’Algérie voit aussi des cas de dissidence pour des motifs différents comme ceux des généraux Zeller et de Bollardière .
Le statut général des militaires précise le rôle du chef et de ses subordonnées en donnant à ceux-ci la possibilité de ne pas exécuter un ordre illégal ou contraire au droit international. Mais l’appréciation de l’impossibilité matérielle d’exécuter un ordre ou de son caractère illégal dans un contexte de conflit où la prise de décision doit parfois être immédiate peut poser problème comme l’a montré l’affaire Mahé en Côte d’Ivoire. La nature même de l’autorité évolue avec la société.Au Combat
Cette partie aborde les différents changements de la nature de la guerre et des combats qui en découlent. La tentation de céder au progrès et notamment au tout technologique est très forte. Mais elle s’avère difficile à mettre en œuvre sur des terrains difficiles et d’un coût énorme pour des sociétés en paix. Ce qui impacte la nature des armées en en réduisant de fait le format mais aussi amène à s’interroger sur la place de l’humain dans le processus guerrier. La dimension humaine de la guerre se trouve aussi dans la capacité du soldat à identifier celui qu’il doit considérer comme ennemi. Il lui faut s’adapter au décalage entre la représentation qu’il a de l’adversaire et la réalité du comportement de celui-ci comme les forces françaises ont du le faire au Mali. Une adaptation psychologique pour garder le moral (le sien et celui des autres membres du groupe) comme pour ces casques bleus dont le poste est assiégé par les serbes à Sarajevo. Mais une adaptation qui est aussi tactique que psychologique lorsqu’il s’agit pour les hommes de M Goya de répondre au défi posé par les snipers serbes et bosniaques. Une gestion du stress à laquelle durent aussi faire face les hommes du futur général Lecointre lors de l’assaut de Vrbanja en 1995.
Mais dans leurs interventions dans l’Ex-Yougoslavie comme en Centrafrique les soldats sont aussi amenés à exercer des missions qui s’apparentent à celle de forces de l’ordre classique comme le contrôle de foules. Mission auxquels il faut les préparer, avec un cadre légal différent de la métropole car il prévoit la possibilité du recours aux armes. Il leur faut comprendre les mécanismes psychologiques des foules pour limiter des débordements forcément meurtriers

Le retour

Les hommes envoyés en opérations extérieures vivent une expérience particulière très différente de la vie de temps de paix. Pourtant, cette expérience est limitée dans la durée, et à leur retour ils retrouvent un monde « normal » qui n’a pas le sentiment d’être en guerre. Les individus engagés ont souvent été marqués psychologiquement. Participer à des actions qui entraînent la mort d’ennemi ne laisse pas indifférent celui qui est issu d’une société qui réprouve la violence. Il leur faut apprendre à surmonter ce traumatisme. Une tâche d’autant plus difficile qu’à leur retour, les femmes et les hommes de retour d’OPEX se heurtent souvent à l’indifférence ou l’incompréhension de ceux qui les entoure ce qui bloque leur parole. Il leur faut réapprendre à vivre avec leur famille, et celles-ci doivent aussi réapprendre à vivre avec eux à l’image d’enfants privés de leur père pendant près de 6 mois.
Alors que dans l’espace public la présence militaire s’estompe du fait de la réduction des effectifs et de la fermeture de nombreux sites dans une logique de regroupement se pose la question du lien qui unit la nation et son armée. La reconnaissance sociale se limite souvent à des décorations dont les choix mêlent récompenses méritées et logique administrative de quotas.

En conclusion
L’ouvrage amène à s’interroger sur les évolutions que connaît le métier de soldat et le rapport de notre société à son armée. Il rejoint ainsi l’éducation à la défense des programmes d’EMC. Mais par la richesse des contributions il s’avère fort utile pour comprendre les enjeux liés aux nouvelles conflictualités que nous abordons dans le programme de 1ere.

Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau