Les pionniers de la recherche sur le sport, quelque soit leur domaine d’élection, disent avec quelle condescendance on les observait lorsqu’ils faisaient état de leurs travaux dans les années 90. Aujourd’hui ça n’est plus le cas en France, mais encore plus dans les pays anglo-saxons: le sport est étudié et pris au sérieux. La publication par les Etudes de la Documentation Française d’une nouvelle édition consacrée au sport en France en est la preuve indiscutable. Questionné par des économistes, des géographes et des sociologues, le sport fait ici l’objet d’une dizaine de contributions éclairant sa place dans notre pays.

S’interrogeant sur la modernité du sport, Pierre Arnaud, Michaël Attali et Jean Saint-Martin proposent un historique des rapports entre modernité et sport, soulignant le caractère polysémique du premier terme selon les époques. Finalement ce qui était moderne, il y a de cela une centaine d’années, le football par exemple, est devenu traditionnel. Aujourd’hui, ce qui contribuerait à la modernité du sport relèverait du poids de l’économie et des questions juridiques dans les activités sportives
Justement, Eric Bournazel et Charles Dudognon abordent les liens, millénaires, entre droit et sport. Listant les acteurs réglementant la sphère sportive, ils distinguent ce qui relève du mouvement sportif (les sanctions vis-à-vis de sportifs), de l’Etat dont le rôle est plus largement développé par Jean-Pierre Augustin et Lionel Arnaud (toute infraction à la législation commune) et les domaines partagés que peuvent être la sécurité des enceintes sportives ou la lutte contre le dopage.
Autre acteur indispensable au mouvement sportif : les collectivités territoriales. Patrick Bayeux rédige un article très technique dans lequel il nous guide dans le maillage complexe de ces entités et des compétences sportives dont elles se chargent. Celles-ci sont vitales pour que vive le sport d’abord par les financements apportés mais aussi par les choix effectués car le sport n’est pas une compétence obligatoirement dévolue aux collectivités. Si elles ont une politique sportive, c’est avant tout un choix que fait chacune d’entre elles, ce qui permet de comprendre la superposition et la grande hétérogénéité des initiatives prises par les unes et les autres.

Tout cela pour qui ? Les pratiquants avant tout dont Jacques Defrance nous dresse un portrait tout en nuances amenant l’auteur et le lecteur à confirmer ce qu’ils supposaient : l’extrême diversité des pratiques et des pratiquants, conséquence des différences géographiques, démographiques, professionnelles, d’espaces et de temps de la pratique. Un public divers donc mais une tendance lourde : le passage sur un temps long (début 20ème-début 21ème siècle) d’une « pluri-pratique » associée à des moments de convivialité à une mono-pratique plus à la recherche de la performance.
Il est un autre public du sport : celui qui assiste, spectateur et téléspectateur aux compétitions. Christian Bromberger et Ludovic Lestrelin décrivent ces motivations : la recherche collective d’émotions fortes et changeantes en un temps et dans un espace restreints. A l’instar des pratiquants, le public s’est mué très tôt en des publics distingués par leurs revenus, leur mode de vie, leur classe d’âge, leur sexe, toutes disparités observables dans un stade de foot tel que le Vélodrome de Marseille pris pour exemple par les auteurs.

Ces deux groupes sont les cibles ou parfois les outils d’une économie du sport dont Jean-François Bourg nous livre un aperçu. Les relations entre économie et sport sont évidentes pour tout le monde et les transferts de joueurs, le sponsoring des grandes marques, l’existence d’entreprises dédiées au marché du sport forment les parties émergées de l’iceberg.
Jean-François Bourg évalue l’importance de cette économie en termes de chiffres d’affaires, d’emplois concernés, d’investissements des entreprises. Il analyse ensuite quelques dynamiques récentes telles que la modification de la structure des salaires des sportifs professionnels alimentés de plus en plus par les revenus publicitaires, l’introduction en bourse d’équipes de football ou le choc entre le besoin de visibilité à long terme et la nécessité d’une incertitude, garantie d’une réussite pérenne de la compétition sportive qui ne s’accommode pas du tout libéral. A tel point qu’au pays du libéralisme, les ligues majeures fonctionnent avec des mécanismes régulant le marché (salary cap, luxury tax, draft) et qui donnent la possibilité aux plus faibles d’être les plus forts de demain.
Au cœur de cette « industrie du sport », la télévision n’est pas le moindre des acteurs. Wladimir Andreff montre parfaitement les intérêts qu’ont monde sportif et monde des médias à s’associer, sans que les relations soient totalement déséquilibrées au profit des chaînes de télé. Elles ont aussi besoin du sport en ce qu’il lui apporte programmes et argent généré par les coupures publicitaires. Seulement, les travers de cette association ne sont pas minces : modification des horaires, des règles à la demande des télévisions (rappelons-nous des courses de Phelps et des matchs de l’équipe américaine de basket disputées aux heures de grandes écoutes aux Etats-Unis à la demande de NBC, principal acquéreur des droits des Jeux), différence de médiatisation entre des « sports riches, des sports pauvres et des sports misérables, déséquilibre sportif provoqué par la diffusion télé d’une compétition (La Champion’s league de football distribue des sommes conséquentes renforçant par la même les meilleures équipes de chaque championnat national). Et d’autres sont dans les cartons comme la mise sur pied de ligues fermées européennes dans les sports collectifs dévalorisant du même coup tous les championnats nationaux.

Mais le sport n’est pas qu’intérêts économiques, il aurait des vertus intégratrices. Michel Fodimbi et Patrick Laure rappellent qu’historiquement, on a attribué au sport ou le sport s’est attribué un certain nombre de valeurs et vertus : la solidarité, le dépassement de soi, l’honnêteté, le respect… On a en donc fait un « médicament » aux maux de notre société, principalement en direction des couches urbaines défavorisées, le sport pratiqué dans des structures étant censé permettre aux jeunes d’intérioriser ces valeurs et les réinvestir dans leur comportement de tous les jours. Or les deux auteurs posent plusieurs questions : Comment réinvestit-on ces vertus et valeurs ? Sont-elles respectées dans le monde sportif ? Comment expliquer la différence entre discours des instances sportives et la réalité des faits ?…
Les deux auteurs semblent s’accorder sur une série de constat :
*Le sport n’est pas le remède miracle à des problèmes que l’on devine structurels.
*Il faudrait plus qu’une imposition par le haut de comportements tenir compte des potentialités de chaque individu à construire du lien social.
*Le sport peut prôner des valeurs mais encore faut-il qu’elles soient respectées. Patrick Laure illustre ce propos en citant une intéressante étude sur la pratique des arts martiaux comme outil de réduction de l’agressivité chez de jeunes délinquants. L’étude prouve que la pratique en elle-même de ces disciplines ne suffit pas à réduire la violence, la méthode d’enseignement est tout aussi importante.

On est ici face à une étude multidisciplinaire autour du sport . Les articles ne sont pas directement utilisables par un enseignant, si ce n’est peut-être les tableaux répertoriant les domaines d’intervention des différentes collectivités ou ceux concernant leurs dépenses sportives, mais permettent de dépasser la simple lecture de l’Equipe pour entrevoir ce qu’est le sport en France.

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