Historienne d’origine italienne, médiéviste et paléographe, Barbara Frale étudie depuis des années les archives secrètes du Vatican ainsi que celles de la Bibliothèque apostolique vaticane. Elle est reconnue comme une éminente spécialiste de l’ordre des Chevaliers du Temple de Jérusalem. Dans le cadre de ses recherches, Barbara Frale a été amenée à s’intéresser au suaire, lorsqu’elle a compris que celui-ci était en fait « la mystérieuse idole » qu’adoraient naguère les Templiers.

Elle vient de publier le fruit de ses recherches aux éditions Bayard. Intitulé Le suaire de Jésus de Nazareth, l’ouvrage revient sur la controverse autour du suaire de Turin. En 1989, en effet, le tissu de ce linceul fut l’objet d’analyses de datation par la méthode du carbone 14. Forts des résultats de ces tests, certains chercheurs présentèrent le linceul de Turin comme un objet purement médiéval. Pis, ils déclarèrent que le suaire daterait en fait d’une période allant de 1260 à 1390.

L’affaire paraissait entendue… C’était toutefois sans compter sur deux physiciens français, André Marion et Anne-Laure Courage, spécialistes chevronnés en analyse des signaux. Dans le courant des années 1990, explique l’auteure, ces deux chercheurs reprirent la question de l’origine historique du suaire en s’efforçant d’utiliser les toutes dernières nouveautés technologiques. Connaissant parfaitement les limites de la datation au carbone 14, les deux physiciens remirent en cause les conclusions mentionnées plus haut.

Ce faisant, André Marion et Anne-Laure Courage décelèrent sur le tissu bien d’autres traces d’écriture et des mots ne coïncidant pas exactement avec le récit des Évangiles. Si certaines indications comme le nom de Jésus le Nazarénien étaient parfaitement claires, tel n’était pas le cas de la totalité des mots écrits sur le linceul. Pour saisir l’ensemble, il fallait donc les confronter avec d’autres textes de la même époque et se pencher sur les usages tant funéraires que religieux en cours au Proche-Orient pendant l’Antiquité.

Pour ce faire, les deux Français firent appel à des chercheurs issus de d’autres champs disciplinaires. Ainsi travaillèrent-ils de concert avec des archéologues et des historiens. C’est à ce moment qu’est notamment intervenue l’historienne Barbara Frale. Il s’agissait, précise-t-elle, de saisir « quel était le sens exact de ces mots » qui avaient été « identifiés et publiés » par toute une kyrielle d’autres chercheurs. A cet effet, l’historienne reconnait avoir bénéficié de l’aide et du soutien de nombreuses personnes.

Après l’avoir étudiée avec autant de minutie que faire se pouvait, Barbara Frale en est arrivée à la conclusion que l’étoffe de Turin daterait finalement du premier siècle de notre ère, comme en témoigne par exemple le document qui accompagnait le tissu et qui visait à aider les proches des condamnés à récupérer les dépouilles de leurs proches. Le texte donne de précieuses indications sur le traitement du condamné ainsi que le contexte de l’époque.

Il apparait donc que cette étoffe ait enserré le corps d’un homme supplicié durant la seizième année du règne de Tibère (an 30). Son nom était Yeshua, un individu originaire de Nazareth en Palestine. Le suaire révèle en sus que l’administration romaine aurait non seulement condamné à mort cet homme, mais encore qu’elle aurait permis que la dépouille de ce célèbre Yeshua soit décrochée de la croix sur laquelle il avait été crucifié afin qu’elle soit finalement ensevelie.

C’est l’extraordinaire histoire de cette relique turinoise que retrace Barbara Frale au fil des pages de ce complet ouvrage. Il faut rappeler que ce morceau de tissu connut bien des péripéties : provenant du Moyen Orient, l’étoffe finit par se retrouver quelques siècles plus tard en France, puis en Savoie où il prit feu et pour finir en Italie, à Turin. L’historienne revient également sur les croisades et leurs innombrables cortèges de pillages, qui d’une certaine façon ont permis à ce morceau de tissu de voyager à travers les lieux et les époques jusqu’à nos jours.

Bien qu’elle admette être catholique, dans le présent ouvrage, l’historienne se refuse à traiter les aspects non historiques du suaire ainsi que ceux qui verseraient trop directement dans la religion, comme par exemple la question de la divinité de Jésus Christ ou bien celle de sa résurrection. Ce qui apporte à sa démarche une rigueur intellectuelle tout à fait louable. Ce faisant, dans cette enquête à la fois précise et passionnante, elle ne fait que « constater qu’il existe [bel et bien] un document ancien qui certifie l’exécution d’un homme en un temps et un lieu spécifiques ». Et c’est déjà beaucoup.

© Jean-Paul Fourmont