France, Troisième République, 1871-1914
Documentaliste certifié dans l’enseignement privé sous contrat d’association avec l’État, à Tours. Titulaire d’une maîtrise d’histoire contemporaine intitulée « Les radicaux et les radicaux-socialistes en Indre-et-Loire (1928-1934) », soutenue en 1992, sous la direction de Michèle Cointet-Labrousse.

L’« Histoire de la France contemporaine » du Seuil, une future référence ?

Les éditions du Seuil ont eu la volonté de faire une « Histoire de la France contemporaine », soit 40 ans après l’aventure éditoriale de la « Nouvelle Histoire de la France Contemporaine » (NHFC) afin de relayer cette dernière. Celle-ci est publié en brochée dans « L’Univers historique » en une collection en 10 volumes sous la direction de Johann Chapoutot et rédigé par une nouvelle génération de 10 historiens « trentenaires ou quadras ». Les éditions du Seuil ont publié les trois premiers volumes en octobre 2012 (Aurélien Lignereux, L’empire des Français (1799-1814), Bertrand Goujon, Monarchies postrévolutionnaires (1814-1848), Quentin Deluermoz, Le Crépuscules des révolutions (1848-1871), tous trois édités dans la collection de poche du Seuil « Points Histoire » en août 2014. Elles ont continué avec Jean Vigreux, Croissance et contestation (1958-1981) en janvier 2014, Ludivine Bantigny, La France à l’heure du monde (1981 à nos jours) en novembre 2013 et Arnaud Houte, Le Triomphe de la République (1871-1914) en octobre 2014. Pour terminer cette nouvelle collection historique de chez Seuil, il reste à publier en novembre 2015 de Jean-Michel Guieu, Gagner la paix (1914-1929) et, au cours de l’année 2016, les trois derniers ouvrages ; en l’occurrence ceux de Johann Chapoutot, La République des expériences (1929-1940), Alya Aglan, Vichy contre la République (1940-1946) et Jenny Raflik, La République moderne ? (1946-1958).
L’ambition de cette « Histoire de la France contemporaine » est d’offrir au plus large public les conclusions des travaux novateurs qui ont profondément renouvelée et enrichie l’histoire de France ces dernières années. L’histoire du genre et des femmes, l’histoire de l’empire colonial français et celle des relations internationales viennent décentrer le regard, qui ne sera pas franco-français, ni parisiano-centré. Les auteurs ont en effet été très attentifs à étudier les phénomènes de l’histoire de France sur la totalité du territoire métropolitain. Les processus longs (industrialisation, urbanisation, tendances électorales, etc.) sont également ressaisis, à travers des études de cas, dans une perspective réellement nationale qui fait la part belle aux régions. Les auteurs de la collection sont également soucieux de multiplier les comparaisons internationales, pour mieux évaluer et qualifier les processus qui affectent ou animent la France : cette dernière, dès lors, n’est plus un objet circonscrit et isolé mais bien une histoire connectée, qui doit être écrite à la lumière de phénomènes plus englobants (européens, occidentaux, mondiaux).
Arnaud-Dominique Houte est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Ses recherches portent principalement sur l’histoire de la sécurité publique : après une thèse sur Le Métier de gendarme au XIXe siècle (Presses universitaires de Rennes, 2010), il a codirigé avec Frédéric Chauvaud Au voleur ! Images et représentations du vol dans la France contemporaine (Publications de la Sorbonne, 2014).

Le Triomphe de la République (1871-1914), une lecture renouvelée de la Troisième République

Cet ouvrage de 464 pages comprend une introduction (6 pages), 10 chapitres (6 chronologiques et 4 thématiques), une chronologie (11 pages), une bibliographie sélective (de 36 pages), un index et une page de remerciements (où nous apprenons que les étudiants de licences et de master de Paris-4 ont servi de cobaye). En revanche, nous constatons avec regret qu’il n’existe aucune note infrapaginale dans le corps du texte (alors que dans la collection de format poche NHFC, les quelques notes de bas de pages renvoyaient à la bibliographie qui étaient numérotées), nous espérons que cette carence sera réparée dans l’édition en format poche qui devrait paraître en août 2016. Dès l’introduction, Arnaud-Dominique Houte a écrit son ouvrage en se donnant quatre objectifs. Le premier est de « retrouver l’intensité des crises et la force des tensions qui accompagnent toute l’histoire du pays à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Tel est le pari de cet ouvrage : montrer que la Troisième République – au moins jusqu’en 1914 – s’est toujours pensée sous le signe de la fragilité et du combat. » (p. 10). Le deuxième est dans le rappel par l’auteur de ce truisme : 43 ans se sont écoulés entre 1871 et 1914 et « qu’un Français de 1880 est aussi proche de 1848 que de 1914. Y réfléchir permet peut-être de s’interroger sur l’effet anesthésiant des découpages chronologiques, dont la forme canonique cloisonne artificiellement des séquences voisines et aplatit des ruptures majeures. » (p. 11). Le troisième est « écrire l’histoire de la Troisième République passe également par une réflexion sur l’espace. » (p. 11). Enfin, le quatrième est « la volonté de restituer l’épaisseur du social en approfondissant quelques histoires particulières – de celles que l’on est parfois tenté de reléguer au rang d’anecdotes, mais qui révèlent, pour peu qu’on les prenne au sérieux, la complexité et l’étrangeté d’un temps passé dont nous ne sommes plus les contemporains. » (p. 12).

Les chapitres chronologiques

Les chapitres chronologiques, au nombre de 6, sont découpés de manière académique comme le montre la table des matières. Cependant, nous percevons dans ces 6 chapitres trois unités de temps avec les chapitres I et II (1871-1885) consacrés à la conquête de la Troisième République par les républicains puis les chapitres V, VI et VII (1885-1906) avec l’enracinement de la République en France à travers les crises (Boulanger et le scandale de Panama) et les ministères Méline puis Combes ainsi que le chapitre X couvrant la période (1906-1914). En reprenant ces 3 unités de temps, Arnaud-Dominique Houte revient avec le chapitre I sur « Sept ans de fondations » (1871-1878) avec 1871 « année épouvantable », les majorités impossibles (1871-1876) et la victoire des républicains (1876-1878) puis avec le chapitre II « Bâtir la République » (1878-1885). Ensuite, avec le chapitre V, il aborde « L’épreuve des crises » (1885-1893) avec le boulangisme, le scandale de Panama, la pression socialiste et la question coloniale puis, avec le chapitre VI, « La croisée des chemins » (1893-1899) avec l’alliance franco-russe, le ralliement des catholiques à la République, la France de Méline et l’affaire Dreyfus et, enfin, avec le chapitre VII « La République à gauche » (1899-1906) avec l’anticléricalisme républicain, le combisme, l’affaire des fiches, la loi de Séparation des églises et de l’État (1905). L’auteur termine son ouvrage par le chapitre X intitulé « Veillée d’armes ? » (1906-1914) avec la France « puissance inquiète », les recompositions politiques et sur les sentiers de la guerre. Les chapitres V (p. 174) et VII (p. 263) sont agrémentés chacun d’une carte empruntée à L’atlas électoral de la France (1848-2011), ouvrage de Frédéric Salmon (d’ailleurs, il est fort regrettable que ces 2 cartes ne figurent pas dans la table des matières. Cette lacune devrait être corrigée absolument par l’éditeur dans la version de poche qui devrait sortir aux environs de l’horizon 2017).

Les chapitres thématiques

Les chapitres thématiques, au nombre de 4, sont les plus novateurs à la fois parsemés et concentrés dans l’ouvrage comme l’indique la table des matières. Ces 4 chapitres thématiques sont probablement les plus novateurs de l’ouvrage car, en quelques dizaines de pages chacun, ils s’appuient sur l’historiographie la plus récente dans chacun des thèmes abordés. Dans le chapitre III (p. 83 à 125), Arnaud-Dominique Houte y décrit « Une société républicaine » avec la fin de « l’ancienne France », ses projets de civilisation et la République éducatrice. Avec le chapitre IV (p. 127 à 167), il évoque longuement « Les horizons coloniaux » avec la puissance par l’empire, les dynamiques de la colonisation en République et ce que l’empire fait à la France. Puis, dans le chapitre VIII (p. 287 à 320), l’auteur revient sur ses sujets de prédilection avec « La France des inégalités » avec les classes populaires urbaines entre ruptures et intégration, petits et moyens au début du XXe siècle et l’autre France des élites. Enfin, avec le chapitre IX (p. 321 à 359), l’historien étudie « Le nouveau siècle » avec les vertiges du progrès, les cultures de masse et la vie moderne. Les étudiants et les enseignants pourront se plonger avec profit dans cette histoire culturelle et des mentalités qui nous fait apparaître la France de « La Belle Époque » sous un jour beaucoup plus contrasté et nuancé.

Une synthèse sur la « première Troisième République » appelée à faire date ?

En guise de conclusion concernant Le triomphe de la République (1871-1914) aux éditions du Seuil, il arrive après la synthèse de Vincent Duclert aux éditions Belin, intitulée La République imaginée, sur la même période (1871-1914) et publiée en 2012, comportant 861 pages ! L’originalité de cette synthèse très accessible repose sur un triple choix : traiter à parts égales Paris, province et colonies ; accorder toute leur place aux destins individuels des hommes et des femmes ; articuler l’histoire sociale et culturelle au récit politique. Loin de la nostalgie pour une prétendue « Belle Époque » ou pour un « modèle républicain » bien difficile à définir, il s’agissait de rendre leur éclat, leur jeunesse et leur indétermination aux débats et aux choix d’une République adolescente qui mûrit dans une France transformée par l’accélération des mouvements de modernisation.
Ce livre, où l’on croise des élus et des institutrices, des ouvrières et des vagabonds, parle donc d’une société hantée par le spectre de la division et d’un régime qui se vit comme fragile et menacé. Des ruines de 1871 à l’Union sacrée de 1914, il raconte « le triomphe de la République », sans en occulter les limites ni en négliger les difficultés, mais en rendant justice tant à sa force combative qu’à son sens de la pédagogie et du consensus.
En faisant appel à l’historien Arnaud-Dominique Houte, les éditions du Seuil avaient pour ambition de faire un ouvrage de 400 et 500 pages accessible au grand public ainsi qu’aux enseignants et étudiants. L’objectif est pleinement atteint mais, à nos yeux, cet ouvrage est complémentaire à celui de Vincent Duclert dans la mesure où ce dernier dispose d’une iconographie extrêmement riche (cartes, tableaux, etc.). Malgré ce regret (qui est, selon nous, une lacune énorme), Arnaud-Dominique Houte a réussi la gageure d’une synthèse qui répond à son objectif de vulgarisation de qualité universitaire à la lumière des derniers travaux historiographiques sur la période 1871-1914, en seulement 464 pages et 2 cartes électorales.

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)