L’espace dans l’antiquité est un recueil d’articles, fruits d’un colloque qui s’est tenu au lycée Louis Barthou de Pau les 21 et 22 février 2013.
L’ouvrage est édité sous la direction de Patrick Voisin et Marielle de Béchillon. En avant-propos, ils délimitent un sujet aux dimensions vastes, tributaires de sources parcellaires, étant d’époque antique. Espace réel, espace fantasmé, espace religieux, espace mythologique, espace politique et idéologique, espace incomplet par rapport à la connaissance que nous avons des limites actuelles du globe ?
Toutes ces notions sont abordées, discutées, avec abondance d’arguments et de matériaux historiques, littéraires, archéologiques.

Davantage qu’un espace géographique au sens physique, on découvre un espace construit et interprété de diverses manières, un espace et ses frontières qui délimitent non seulement les territoires réels et les dynamiques existantes entre eux, mais aussi les territoires de l’imaginaire du Monde – qui était à l’époque d’autant plus développé que les sciences exactes étaient moins avancées.
Il a fallu limiter le nombre de civilisations étudiées, tant la variété de conception était grande; furent retenues celles des Hittites, des Mésopotamiens, des Grecs et des Romains.

L’ouvrage se divise en plusieurs séquences d’articles, une première sur la notion d’espace chez les Hittites et les Mésopotamiens, distinguée en raison de son décalage temporel, de son archaïsme, due à un déficit de ressources par rapport aux autres espaces étudiés.
Une seconde partie est consacrée à l’espace religieux, une troisième à l’espace dans la mythologie, une quatrième à l’espace terrestre tel qu’il est rapporté par les voyageurs et géographes, une dernière partie enfin analyse les dimensions politiques de l’espace dans l’antiquité – où se trouvent les lieux à forte valeur politique construite et ajoutée ?

Dans un premier temps, Michel Mazoyer nous livre une analyse de la structure de l’espace selon les Hittites, entre espace terrestre, espace céleste et l’équilibre existant entre eux, d’ordre politique et religieux.
Raphaël Nicolle développe une lecture idéologique du conflit frontalier autour de la cité de Malatya, entre les Hittites et les Mésopotamiens, montre que la limite du territoire que constituait Malatya relevait aussi d’une limite idéologique, au-delà de laquelle une conquête risquait de remettre en cause tout le pouvoir politique.
Enfin, dans l’Analyse de l’espace mésopotamien, Jérôme Pace, à partir de l’étude d’un mythe, nous montre comment le pouvoir concevait l’organisation de son territoire, les nécessités de mise en ordre – et de désordres – de celui-ci.

Dans une seconde partie, plusieurs auteurs décrivent la notion d’espace dans sa dimension religieuse en Grèce et dans la Rome antique : Yves Chetcuti compare les Cosmos grecs et celtes, démontrent leurs différences fondamentales et leurs héritages contemporains.
Marta Miatto explique, exemples à l’appui, la notion de voies sacrées dans la Grèce antique.
Catherine Cousin et Emilia N’Diaye décrivent les espaces infernaux et leur signification, à partir des oeuvres d’Homère et de Virgile.
Charles Guittard s’intéresse à Rome et montre quels sont les espaces les plus sacralisés dans les prières et pour quelles raisons; analyse poursuivie par Arnaud Paturet avec son étude de la dénomination des lieux sacrés par les juristes romains.
Enfin, Pierre Katuszewski montre quels espaces, connus par l’imaginaire public du temps, sont reconstitués, utilisés, vivifiés par les mots de Sénèque.

Dans une troisième partie, les espaces, réelles ou fantasmés, générés par certains mythes, sont étudiés et analysés dans leur influence sur la conception du Monde des Anciens : ainsi Patrick Voisin analyse les différentes perceptions mythologiques et linguistiques de la Méditerranée, vue alternativement comme un pont, une barrière, une digue, suivant les peuples et leurs volontés d’expansion ou de protection. Elisabeth Buchet décrit les vignettes géographiques du catalogue des Italiens de l’Eneide, où l’on voit des espaces entre mythes et réalités apparaître, selon la connotation, liée à la mythologie, que l’auteur souhaite leur donner. Valérie Faranton étudie la symbolique portée par le phénomène géographique de montée des eaux, entre dévastation, purification et fertilisation. Et Franck Collin s’interroge sur les loca incognita, leur présence dans l’imaginaire latin et leur valeur en termes de représentation et de compréhension de l’espace.
Dans une quatrième partie,, la plus « géographique », les auteurs décrivent les espaces traversés, rapportés, racontés par les voyageurs antiques – où se mêlent descriptions du réel, connaissances scientifiques et interprétations religieuses ou conventionnelles : Arthur Hausalter montre ce que les Romains ont repris aux géographes grecs, rejetés aussi par soucis de pragmatisme ou de simplisme.
Robin Ségalas analyse la notion de désert dans les sources romaines, détermine qu’il s’agit autant d’un terme de géographie climatique qu’une notion opposant espace maîtrisé par l’homme à espace laissé en friche.
Ludivine Péchoux fait de la géographie urbaine, montre quelle valeur avait les périphéries des villes romaines et conséquemment quelles constructions on y mettait.
Liza Méry explique que les ouvrages de César et Salluste sur les conquêtes romaines ont surtout une valeur de complément géographique à des représentations du pouvoir politique et impérial romain, incarnées par la culture visuelle des triomphes et autres spectacles grandioses.
Enfin Mauricette Fournier et Anick Stoehr-Monjou explique comment Sidoine Appollinaire, à travers ses lettres de voyage, décrit un espace partiellement objectif, dans la mesure où il procède à une description moins réelle que procédant de ses affinités personnelles.

La dernière partie du recueil discute de l’utilisation de la notion d’espace et de lieux à forte portée symbolique par la sphère du politique : Chrystal Peignot explique l’importance de l’Acropole d’Athènes au Ve siècle pour les contemporains se piquant de gestes politiciennes.
Marie Duret-Pujol et Christophe Pébarthe exposent la notion d’impérialisme athénien, présente en filigrane et critiquée dans les pièces d’Aristophane.
Marie Lefort, en analysant un discours de Démosthène et un d’Eschine, décrit la vision géopolitique qu’avaient les Grecs du monde des cités, affrontée à la puissance monarchique macédonienne montante.
Jean-Pierre Brethes montre dans quelle mesure, par ses conquêtes et son récit, César a redessiné voire inventé un espace gaulois, toujours paradigmatique pour les contemporains.
Amaranta Maruotti, dans les lieux de l’otium d’après Sénèque, discute des espaces de sociabilité à l’usage de la classe dominante romaine.
Enfin Nathalie Louis-Roux nous livre un article sur les acteurs historiques et leur perception de/influence sur l’espace dans le monde romain, de César à Domitien, d’après Les vies de César de Suétone.