Les 30 auteurs qui ont collaboré à cet ouvrage font le point sur la rencontre entre trois humanités. En effet, contrairement à ce que son titre indique, ce n’est pas seulement la découverte de l’Homme de Denisova (identifié en mars 2010) qui est présentée. Le choix a été fait, comme l’indique la quatrième de couverture, de mettre en avant l’actualité des recherches sur les contacts-transitions entre les trois humanités présentes entre 50 000 et 40 000 BP. (Homo sapiens, Homo neanderthalensis, Homo denisoviensis), et ce, par les deux extrémités géographiques de l’expansion de territorial de Neandertal (de l’Europe occidentale à l’Altaï). Les trois quarts de l’ouvrage sont ainsi consacrés à la disparition des Néandertaliens et à leur rencontre avec Homo sapiens. Et c’est bien normal, car nous en savons peu encore sur les Dénisoviens et de leur relation avec leurs voisins… Néandertaliens.
Certaines données présentées dans l’exposition sont inédites ou de publications très récentes La figure 8 p.25 marque un point d’interrogation pouvant représenter la possible découverte d’un homo sapiens de 300 000 ans en juin 2017 dans le nord Maroc à Jdebel Ihroud et représenter une possible migration hors d’Afrique à partir de cette région. Cf. l’article de Nature. et pour une part issues des travaux en cours du Laboratoire international associé franco-russe Artemir. L’avant-propos de Jean-Jacques Cleyet-MerleConservateur général du Patrimoine, directeur du musée national de la préhistoire, annonce clairement les choses : « c’est toute la mutation entre paléolithique moyen et supérieur qui est exposée au public avec ses différentes problématiques. De nombreux scenarii sont ainsi possibles pour évoquer cette transition culturelle majeure qui se solde par la disparition d’une humanité plurielle au profit de la présence du seul Sapiens sapiens». Ces propos sont à compléter par ceux de J-M. Geneste, M. V. Shunkov et B. Vandermeersch qui mentionnent le fait «qu’ (…) aucune des réponses exposées ici n’est cependant décisive ou définitive».
Les articles.
Les 22 articles sont d’accessibilités inégales : parfois très denses et techniques, parfois beaucoup plus abordables. Si on prend par exemple celui sur «la grotte de Denisova, mémoire de la préhistoire de l’Altaï»Mikael V. Shunkov, cela ressemble, en plus court, à une publication scientifique technique : elle commence comme il se doit par la description des séquences sédimentaires, la description de la chronologie des dépôts et la séquence chronoculturelle. Elle se poursuit par les témoignages d’expression symbolique et se conclue par l’hypothèse sur la transition Paléolithique moyen/Paléolithique supérieur. D’autres articles sont plus abordable pour le néophyte, comme ceux sur l’explication d’une technique comme «la paléogénomiqueLa paléogénomique est une discipline récente issue des développements technologiques qui ont permis l’essor de la paléogénétique, elle a pour but la reconstitution des génomes anciens: animaux, végétaux ou encore microbiens. pour reconstruire le passé», ou l’étude «[des] paléoenvironnements européens entre -50 000 et -30 000» ou même encore celui sur ce «que l’étude de l’Hyène des cavernes [nous apprend] sur l’histoire humaine» et «le climat et l’extinction des Néandertaliens». Mais tous font le bilan du savoir actuel sur le sujet.
On parle bien ici de territoires…
Il s’agit des grottes et abris de Denisova, de la Roche-à-PierrotGrotte fouillée en cette année 2017, du 12 juin au 14 juillet par l’auteure de l’article, Isabelle Crevecoeur, paléoanthropologue et chargée de recherche au CNRS de l’Université de Bordeaux 1. Vidéo explicative des fouilles de Saint-Césaire à Saint Césaire (Charente-Maritime) ; d’Arcy-sur-Cure (Yonne) ; de celle de Mandrin (Drôme), de la vallée de l’Anouï, de la vallée du Rhône, de la région de l’Altaï, de la région du Levant, de l’Europe du Sud-Ouest et de l’Europe de l’Ouest.
On voit bien que dans cette problématique, centrée sur les rencontres, contacts et migrations, plus peut-être plus que pour d’autres, la préhistoire est véritablement ancrée dans la géographie et au centre de l’exposition en raison de ce qu’il apporte comme nouvelles connaissances au sujet de nos ancêtres, le gisement de Denisova est à l’honneur dès le premier chapitre.
Si les Dénisoviens ne sont connus qu’au travers d’une phalange et de dents, la présentation est complète avec la présentation de la grotte, du paléoenvironnement (faune, flore, climat), les industries lithiques et la culture y compris donc les traces d’expressions symboliques. Mais l’étude s’intéresse aussi aux autres grottes et sites de cette région de l’Altaï et, si les archéologues n’y ont pas découvert de traces anthropologiques de Dénisoviens, des restes humains néandertaliens sont bien présents ainsi que des traces de transitions vers le Paléolithique supérieur.
…et de contacts
Au travers du cadre paléoenvironnemental dressé au chapitre 2F. Delpech et J.-P. Texier, « Les Paléoenvironnement européens entre -50 000 et -30 000 ans » et les études sur le climat, la faune (et notamment le super-prédateur qu’était l’Hyène des cavernesE. Discamps et E.-L. Jimenez, « Que nous apprends l’étude de l’Hyène des cavernes sur l’histoire humaine ? » ) ce sont d’autres types de contacts qui nous sont exposés. Comme pour les contacts humains, différentes hypothèses sont présentées à propos des conséquences qu’elles ont pu avoir sur la (sur)vie des Néandertaliens mais aussi sur les éventuels partage des territoires.
En effet, même dans ce vaste monde peu peuplé de l’époque, il y eu des contacts entre groupes humains. Nous savions qu’il y en avait déjà eu entre Neandertal et Homo Sapiens (les fameux 1 à 4 % de notre adn l’ont démontré) mais les auteurs nous montrent qu’il y en a aussi eu entre les Néandertaliens et les Dénisoviens et peut-être même ente les Dénisoviens et un 4e population fossile encore inconnue (peut-être Homo Erectus présent depuis environ 1,8 Ma. en Asie).
Ainsi l’application GARP (Genetic Algorithm for Rules Set Prediction) a permis à William Banks et Francesco D’Errico de reconstituer la distribution probable des Néandertaliens ainsi que celle des hommes modernes. Ils ont relevé ainsi des zones de conflits potentiels avec les stratégies de subsistance d’une autre population. Évidemment, ils ne peuvent en tirer de conclusion et ce sera au terrain de déterminer les modalités prises par cette compétition au moment du contact (assimilation, affrontement, rejet mutuel, combinaison ou succession des cas de figure envisageables).
Trois articles marquent enfin bien le thème de l’ouvrage sur les contacts et transitions : «Fin du Paléolithique moyen et début du Paléolithique supérieur au Levant»Liliane Meignen, « Mosaïques culturelles des derniers Néandertaliens et des premiers hommes moderne. Les données de la vallée du Rhône»Ludovic Slimak et «Voyage au bout de la suie»Ségolène Vandevelde, Jacques Elie Brochier, Christophe Petit et Luovik Slimak (les deux derniers concernant la grotte Mandrin sur la commune de Malataverne dans la Drôme).
– La situation de carrefour du Levant éclaire le scénario d’out of Africa.
Au Levant, la présence ou l’arrivée des hommes modernes est attestée vers 54 500 +ou- 5 500 ans BP soit pendant le paléolithique moyen alors exclusivement réservé aux Néandertaliens et même si l’expression «prise de territoire», employée dans un autre article du catalogueL. Slimak « Mosaïques culturelles des derniers Néandertaliens et des premiers Hommes modernes. Les données de la vallée du Rhône » (p.140), peut faire penser à un remplacement violent, l’étude des industries lithiques explore plutôt trois hypothèses pour expliquer le passage du paléolithique moyen au paléolithique supérieur, des Néandertaliens/Dévisoniens aux hommes anatomiquement moderne.
1/ L’évolution à partir d’un substrat local (gradualisme)
2/ Un processus d’acculturation (adoption d’éléments extérieurs propres à une autre culture par emprunt direct à la suite de migrations humaines).
3/ Un processus de transculturation (intégration d’influences extérieures réinterprétées par le groupe autochtone (emprunt direct donc issu de contact de proche en proche).
Il ressort que, dans le scénario «Out of Africa II»«L’Out of Africa I» a eu lieu bien auparavant en trois vagues : vers 2Ma vers l’Asie, puis arrivée des Acheuléen vers 1,4 Ma et enfin celle des ancêtres des Néandertaliens vers 0,8 Ma in Jean-Renaud Boisserie, « La première mondialisation. Quelle place pour l’Afrique dans l’histoire évolutive et biogéographique du genre Homo ? », Afriques [En ligne], Débats et lectures, mis en ligne le 25 janvier 2011, consulté le 21 août 2017. URL : [http://afriques.revues.org/626->http://afriques.revues.org/626], quelques hypothèses de peuplement se dessinent : tout d’abord, il y aurait eu deux vagues de migrations vers l’Europe : la première au Paléolithique supérieur initial autour de 46 000-48 000 cal. BP, la seconde au début du Paléolithique supérieur. Ensuite, elles auraient été suivies par un mouvement inverse vers le Levant vers 35 000 cal. BP.
Bien sûr, comme le précise l’auteur, «ce ne sont encore que des hypothèses qui sont à tester» et «les données chronologiques actuellement disponibles (…) ne permettent pas de décider des scénarios les plus vraisemblables ».
Ainsi, de nombreuses discussions nous sont présentées sur les industries de transition entre les paléolithiques moyens et supérieurs(nommé « paléolithique supérieur initial » dans le Levant) : le chattelperronien, l’uzzulien, le néronienLe nom de chaque industrie est déterminé en fonction de son premier lieu de découverte.. Qui en était l’auteur ? Les archéologues nous donnent là aussi quelques pistes et des recherches complémentaires seront nécessaires pour donner une réponse plus affirmée.
– Enfin, La grotte Madrin, dans les trois derniers articles du catalogueL. Slimak, « Mosaïques culturelles des derniers Néandertaliens et des premiers Hommes modernes. Les données de la vallée du Rhône »
Ségolène Vandevelde, Jacques Elie Brochier, Christophe Petit et Luovik Slimak, « Voyages au bout de la suie, étude micro-chronologique des occupations humaines à la Grotte Mandrin »
Laure Metz, « Des arcs et des flèches… Il y a 50 000 ans… Reconnaisance de technologies en limite de visibilité archéologique ». , offre la possibilité de mieux « voir » les scénarios.
En effet, dans un premier temps, les séquences culturelles montrent une intercalation stratigraphique entre un groupe de transition néronien (qui clôturait normalement les séquences stratigraphiques où ces industries avaient été reconnues) et des ensembles tardifs de tradition moustérienne, ce qui impliquerait, chose unique jusqu’à aujourd’hui un « aller-retour » d’un groupe vis-à-vis d’un autre pour l’occupation du site.
Dans un second temps, l’étude des traces de suie éclaire aussi le passage de Neandertal à Homo sapiens en terme de chronologie très courte. Nous avons là un exemple passionnant de micro-chronologie qui permet de «dater» l’occupation d’une grotte à l’échelle d’une vie, voire d’une saison. Là encore, la méthode micromorphologique n’est pas nouvelle mais il existe très peu de bibliographie sur le sujet, preuve s’il en est de l’avancée des techniques dans le domaine de l’archéologie et notamment de la géoarchéologie.
Il n’y a pas eu d’interaction entre ces deux groupes culturels mais une succession rapide de l’ordre de quelques saisons ou années. «Cette méthode ouvre [donc] des perspectives pour documenter la mobilité de groupes humains du fait de sa résolution temporelle, qui se rapproche de celle des enregistrements ethnographiques».
Aller au-delà…
Mais au-delà du fait de savoir à qui appartient tel ou tel outil, on retiendra l’article de L. Slimak, en introduction de l’ouvrage, qui pose la question du regard que nous avons sur Néandertal : en déclarant que «nous projetons sans aucun recul sur les populations néandertaliennes, la perception archéologique que l’on se fait de l’ancien Homo sapiens» et que «parallèlement sur ces même bases archéologiques, envisager que les population néandertaliennes aient été modernes revient alors à nier sans plus de recul l’éventuelle singularité éthologique de ces populations», il propose donc une problématique recentrée sur la définition éthologique de ces populations, et son objectivation : « le style doit être penser comme le moyen permettant aux groupes et aux individus de s’identifier dans des territoires avec des produits culturels. Cela implique que cette propriété des sociétés modernes connaîtrait des déclinaisons et des variations dans d’autres humanités passées. Il [faudrait] alors concevoir les degrés de cette altérité… »
Pour conclure, nous pouvons dire que cet ouvrage donne donc un bilan vraiment très actualisé des recherches en cours sur les zones de contacts et les migrations/remplacements au tournant du Paléolithique moyen/supérieur en Eurasie entre trois humanités : Homo sapiens, Homo Neandertalensis et Hommes de Denisova. Et nous ne serions pas complet nous oublions de mentionner que de nombreuses photographies d’objet de parures, de poinçons, d’armes et outils, photographies de sites, des modélisation 3D, des coupes stratigraphiques, diagrammes, schémas et cartes viennent illustrer, compléter, les propos et qu’une très abondante bibliographie complète ce catalogue qui pourra donner aux collègues de cycle 3, notamment, un aperçu des méthodes actuelles en préhistoire ainsi que des éléments de réflexion, des hypothèses sur les migrations et les contacts entre ces trois humanités.