C’est une étude très complète sur le vieillissement de la population en Europe que nous livrent ce mois ci les éditions de la documentation française. Tous les aspects du vieillissement sont ainsi présentés et cette publication de référence n’a pas fini de servir à tous ceux qui sont à la recherche d’une étude scientifique sur la question. En effet, le vieillissement de la population constitue un défi sanitaire mais également économique et social. Ce défi peut être transposé sur le terrain politique et se traduire dans les comportements électoraux. Il n’est pas indifférent de comparer les âges moyens des électeurs de Ségolène Royal ou de Nicolas Sarkozy et de constater par exemple, qu’avec une autre pyramide des âges, les résultats du second tour des élections présidentielles de 2007, auraient été différents.

Cette étude sous la direction de Thomas Barnay et de Catherine Sermet réunit une série de spécialistes d’horizons très différents, sociologues, démographes, médecins, économistes est statisticiens. De ce fait, le lecteur aura un aperçu très complet des différents thèmes liés au vieillissement de la population en Europe.
Il est clair que ce vieillissement de la population en Europe est amené à se poursuivre dans un avenir proche. Les enjeux de société induits sont importants et concernent aussi bien l’état de santé général de la population du continent que l’intégration sociale des séniors dans le monde du travail comme dans les familles. Évidemment les conséquences économiques sont également fondamentales en ce sens qu’elles touchent à l’organisation de la protection sociale, à son financement, bref, relèvent des politiques publiques.

Le senior actif remplace le vieux sage

L’image que nous avons de la vieillesse n’est pas homogène en Europe d’autant plus que le vieillissement démographique recule tandis que le vieillissement social avance avec la retraite à soixante ans, et aussi, notamment en France, la faible activité de la population âgée de plus de 55 ans. On s’interrogera à ce propos sur l’impact dans ce domaine de l’allongement de la durée de cotisations dans les systèmes de retraites par répartition. Fixer un âge de la vieillesse n’est pas chose aisée en effet. Car cela varie dans le temps et dans l’espace, sans parler des variables individuelles et collectives liées aux comportements et aux groupes sociaux.

La première partie de l’ouvrage est consacrée à la situation démographique et aux limites des projections qui sont pourtant très largement utilisées pour définir les politiques publiques liées au troisième ou au quatrième âge. L’article de Alain Parant offre à cet égard de nombreux tableaux statistiques et des pyramides des âges malheureusement limités à l’Europe d’avant le dernier élargissement de 2007. Toutefois la présentation des différentes projections pour 2050 introduit quand même des variables importantes. Pour les populations de 60 à 80 ans, les écarts se situent autour de 10 % selon que l’on prenne les hypothèses basses ou hautes. Il est vrai que cela dépend à la fois de la poursuite des gains en matière d’espérance de vie, de la reprise démographique ou non et des flux migratoires. On dira simplement comme l’auteur que projeter n’est pas prédire mais tout de même qu’il s’agit du seul instrument dont on dispose pour fonder des politiques publiques.

La mort inéluctable mais dans quel état ?

Au-delà du vieillissement on trouve cette échéance inéluctable qui est la mort et un groupe de chercheurs s’est interrogé sur les causes de décès des personnes âgées dans les pays de l’UE. Les pathologies liées à l’âge sont évidemment déterminantes et sont variables selon les pays. La France devient peu à peu une fabrique de centenaires tout comme l’Italie et l’Espagne tandis que des pays d »Europe du Nord, Danemark et Irlande se révèlent mortifères. On évoquera également la différence entre sexe, parfois surprenante comme en Grèce où les hommes sont moins frappés que les femmes même si le différentiel reste en moyenne en faveur des femmes qui vivent globalement plus longtemps.
Les auteurs s’intéressent également aux différentes pathologies et facteurs de risques, l’alcool, le surpoids et le tabagisme sont évidemment mortifères avec des différences sensibles entre pays. Les différences de comportement après 50 ans étant sensibles. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce sont les pays du Sud Espagne, Italie, Grèce, malgré le régime crétois qui sont plus touchés par l’hypertension, le diabète, l’obésité et le tabagisme. Mais sans doute que le rapport s’inverse pour les populations de moins de cinquante ans, ce que l’étude ne précise pas.

La troisième partie de cette étude concerne l’impact du vieillissement dans la société notamment du point de vue de l’histoire conjugale qui a effectivement connu une évolution. Les phénomènes de prise de distance avec les parents devenus âgés et connu mais les auteurs de cette partie développent une série d’informations sur les recompositions en cours, différentes selon les pays. Il existe en effet des différences entre le modèle allemand et le modèle français où, tropisme méditerranéen oblige, les relations familiales au sens large sont plus développées.

Solidarités familiales en Europe

Les personnes âgées dont également, surtout en Europe du Sud souvent propriétaires ce qui permet également une aide de ces seniors à leurs descendants. On retrouve cet aspect dans l’article de Marie Eve Joël sur les solidarités familiales. Cet auteur développe des arguments particulièrement éclairants sur l’articulation entre solidarités publiques et privées, opposant le modèle beveridgien des pays scandinaves, protection collective, au modèle bismarckien, ou, avec le système des ayants droits, la responsabilité des personnes âgées dépendantes incombe d’abord à la famille mais avec une médiation faisant intervenir les ressources des descendants. L »Italie, le Portugal, l’Espagne ou la Grèce restent attachés au système familial, y compris pour le financement des établissements de soins.

Et les retraites ?

Parmi les sujets les plus délicats abordés dans cet ouvrage celui des systèmes de retraite face au vieillissement est évident majeur. Beaucoup de choses ont déjà été écrites sur ce sujet mais le chapitre 9 fournit une synthèse très claire des enjeux de la question et des débats qui l’accompagnent. Les trois solutions existant pour régler en partie le problème sont connues. Allonger les durées de cotisations en retardant le départ en retraite, diminuer les retraites versées ou favoriser l’épargne en vue de la retraite. Les trois solutions ont leurs inconvénients évidemment. Par ailleurs la situation est à examiner de façon continentale ? La mobilité de la main d’œuvre rend nécessaire une harmonisation à l’échelle Européenne. Il est clair que l’ensemble des pays Européens confrontés à une diminution de la part des actifs aura à trouver des solutions pas toujours aisées. Il existe pourtant des réserves d’actifs dans certains pays, comme les femmes en Espagne ou l’Italie mais encore faut-il que cela soit possible vu l’état du marché du travail. La plupart des états européens considèrent comme inévitable la hausse des dépenses de retraites dans le PIB.
L’article de Henri Sterdyniak fait le point sur les différents systèmes en citant la pension individuelle publique, sorte de revenu minimum financé par l’impôt en France ou en Belgique, opposé à la pension forfaitaire des irlandais ou des néerlandais.
En Allemagne ou en France, le système Bismarckien, de prélèvement sur les actifs souffre des déséquilibres entre actifs et inactifs et demande des réformes urgentes.
Enfin, fonds de pension et retraites d’entreprises sont devenus très vulnérables aux fluctuations des marchés financiers.
Au final l’auteur de cet article démontre qu’aucune des solutions disponibles n’est vraiment satisfaisantes et que les convergences européennes sont, certes nécessaires mais inenvisageables en l’état actuel. Pas vraiment de quoi susciter l’optimisme. On aurait pu éventuellement compléter ces études par une réflexion sur l’image des seniors et sur leur nouvelles perceptions de la vie, une vie qui s’est on le sait rallongée.
Tout l’intérêt de cette étude dans les différents cycles d’enseignement est de proposer une mise au point très complète sur les différents défis sociaux posés par le vieillissement. Paradoxalement, cette victoire de la vie sur la mort génère aujourd’hui des difficultés que les sociétés développées ont du mal à résoudre.