Aux professeurs qui vont enseigner la géographie de l’eau cette année, je voudrais recommander le dernier ouvrage d’Yves Lacoste qui, comme l’indique l’entête du livre, « apporte un regard humaniste sur les problèmes de l’eau dans le monde. »

En écho aux remarques parues sur la liste des Clionautes cet été, où Jean-François Joly a fait allusion aux inquiétudes des Etats-Unis, le livre d’Yves Lacoste apporte un tableau sombre du « drame de l’eau, d’ores et déjà » dans les villes du tiers-monde. Pour ceux d’entre nous qui n’ont pas traversé, un jour ou l’autre, durant leurs voyages, un bidonville dans ces cités où des êtres humains vivent comme dans la fange, nulle description peut en rendre compte, mais il importe d’en parler pour montrer combien les grandes compagnies
mondiales de l’eau, parmi lesquelles la Lyonnaise des eaux, commanditaire de l’ouvrage, jouent un rôle dans l’accessibilité à ce bien de première nécessité.

Yves Lacoste part en guerre contre ceux qui ont un fond de commerce de catastrophisme (écologistes, climatologues parfois) alors que la géographie des changements climatiques n’est pas encore bien connue. Réchauffement de l’air partout, fonte des glaces au nord, évaporation océanique plus forte, aridité plus grande ici mais précipitations plus fortes là : beaucoup d’inconnues donc, sur les lieux mais, ce qui est sûr, une forte demande pour les villes des pays pauvres.

Le second chapitre pose très bien le rôle fondateur des municipalités, des techniques bien sûr, en éclairant largement le propos par l’exemple de Paris « avant la révolution hydraulique », montrant comment les Anglais inventent la notion de propreté, l’hygiène privée et publique dont Haussmann fera son argument principal dans la rénovation de Paris. Cette révolution hydraulique, c’est bien l’extension parallèle des réseaux d’eau potable et d’égouts dont les conséquences sanitaires sont considérables. « Jusque dans la révolution
industrielle et le développement de la démocratie », selon Yves Lacoste.

La troisième étape du livre est encore plus « lacostienne ». Portant sur la géopolitique de l’eau, Lacoste rappelle la nécessaire prise en compte des enjeux de pouvoir sur les territoires citant, là encore, largement le cas de la France et de Paris. Dernière étape du livre, l’étude d’Yves Lacoste sur les usages agricoles de l’eau définit, très schématiquement, quatre grandes « civilisations » en fonction de leurs rapports géographiques à l’eau : l’Asie des moussons avec des appareils d’Etat très puissants, la Méditerranée et l’espace qui va jusqu’à l’Asie centrale, marqués surtout par l’irrigation, l’Afrique tropicale où sécheresses et pluies sont mal maîtrisées et, enfin, les
pays riches de l’hémisphère nord où les divergences entre utilisateurs de l’eau sont fortes.

En quatre chapitres relativement courts et avec une iconographie de première qualité, Yves Lacoste fait le tour des problèmes posés par l’eau atmosphérique.
Au Café géographique de Paris, le 17 décembre prochain, avec Jacques Bethemont, le grand géographe des fleuves, il posera d’autres enjeux, plus complexes, qui dépassent souvent ce que peuvent traiter les grandes compagnies qui, pour multinationales qu’elles soient, n’en maîtrisent pas toutes les composantes politiques réservées, la plupart du temps, aux États.

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