« On n’apprend pas à être libre en étant assis toute la journée à un petit bureau. On n’apprend pas à être un démocrate en n’ayant aucun poids sur l’établissement où l’on étudie. (…) On n’apprend pas à être créatif en n’ayant aucun temps libre. (…) On n’apprend pas à aimer la nature quand on est enfermé derrière des grilles sur une grande dalle bitumée »[1]. Le constat sur l’état de notre système éducatif d’Emile le Menn, jeune étudiant, est amer. Cependant, au lieu de se lamenter, il décide de faire un tour du monde des écoles qui font classe autrement afin de découvrir des modalités d’enseignement très peu répandues (voire pas du tout, pour certaines d’entre elles) en France. Avec un budget de 7000 euros, il part pour 7 mois, dormant parfois chez l’habitant.  Il a parcouru 9 pays et visité 18 écoles. Son livre est à la fois un récit de voyage pédagogique, un mémento des différentes pédagogies alternatives et un manifeste pour une autre école[2].

L’auteur commence par présenter brièvement l’école « traditionnelle », c’est-à-dire notre système français le plus répandu : un groupe d’élèves du même âge écoutant un professeur, le cours dialogué n’étant qu’un subterfuge qui ne supprime en rien le cours magistral, un contenu défini nationalement et imposé aux élèves… Ce système, au lieu de gommer les inégalités sociales entre élèves, ne fait, au contraire, que renforcer ces inégalités. Bref, il devient nécessaire de trouver une pédagogie alternative. Emile le Menn se tourne alors vers les pédagogies Montessori, Freinet et Steiner-Waldorf. Ces trois modèles majeurs sont présentés de manière succincte mais ne réussissent pas à convaincre l’auteur, pour qui : « ces pédagogies, qu’on appelle aussi « pédagogies nouvelles » n’ont malheureusement pas évolué depuis leur création »[3]. Autant aller voir ce qui se passe ailleurs, par exemple en Nouvelle-Zélande ou en Finlande. De prime abord, on sent notre jeune globe-trotteur déçu par la Finlande : les travaux sont notés, les élèves paraissent peu enthousiastes, ils écoutent peu leur professeur (ou pas !). Finalement, après visite de plusieurs écoles en Finlande et en Norvège, il parvient à comprendre pourquoi ces pays trustent les premières places des classements PISA : ce ne sont pas les notes qui comptent mais l’élève lui-même qui compte ! Le bien-être des enfants compte avant tout ! En fait, il a visité des écoles démocratiques[4] qui  partent du principe suivant : « dans des conditions d’apprentissage libre, collaboratives et respectueuses d’autrui, les enfants apprennent mieux et avec joie ». Il s’agit donc de permettre à l’enfant de faire le propre choix de ses enseignements et activités, d’évoluer hors d’un cadre de notation et de les associer aux grandes orientations de leur école en leur donnant une véritable influence sur le fonctionnement de leur école. L’épanouissement de l’élève mais également celui du collectif sont assurés par le rôle primordial de l’enseignant. L’auteur souligne que ce type d’écoles publiques existe en France à travers les écoles du 3è type (Bernard Collot).

S’en suivent ensuite cinq parties qui se présentent à la fois comme un résumé de ses rencontres pédagogiques dans le monde entier et comme un manifeste pour changer notre manière d’enseigner. Divisées en 20 chapitres, ces 5 parties présentent à chaque fois des exemples de pratiques dans tous les domaines : didactique, relation avec les parents, organisation et fonctionnement d’une école…

L’auteur commence dans cette seconde grande partie de son livre par présenter l’axe majeur qu’il retient de ses pérégrinations : il faut instaurer une liberté d’apprentissage. En voulant conformer l’élève aux attentes de la société, l’école a nié l’individu-élève. Au contraire, si l’élève est motivé, son apprentissage n’en sera que plus performant. Cependant, cela ne peut fonctionner que si l’on respecte les temps d’apprentissage, c’est-à-dire qu’il faut prendre en compte le fait que tous les élèves ne peuvent pas tous apprendre la même chose en même temps (école démocratique en Nouvelle-Zélande). En découle de ce principe, un autre : la fin des notes. Sans la pression des notes, les élèves apprennent mieux. L’auteur nous précise qu’en Finlande, les notes n’ont pas toutes disparu néanmoins, une des préconisations du ministère est de supprimer progressivement les bulletins pour les remplacer par des rendez-vous avec les parents, l’enseignant et l’élève pour faire le point. D’autres chapitres sont présentés et explicités comme : impliquer les parents, créer des classes multiniveaux et non des classes à groupe d’âge unique, tester la pédagogie assistée par l’animal, prendre en compte le besoin de bouger des élèves (en augmentant le nombre de récréations ou en diversifiant les positions en classe avec des chaises, coussins, poufs, balles)…. Comme le souligne l’auteur, le but n’est pas de présenter la pédagogie idéale  mais de « présenter des initiatives qui pourront constituer des pistes de réflexion ».

Cet ouvrage est très instructif et donne à réfléchir sur sa propre pratique. Tout en suivant le témoignage de l’auteur et son cheminement intellectuel, c’est le lecteur lui-même qui réfléchit sur l’école d’aujourd’hui. C’est d’ailleurs un des souhaits de l’auteur : donner des « éléments de réflexion et d’action ». Certes, certains passages peuvent paraître « scolaires » dans leur formulation. De même, on pourrait regretter le fait que la comparaison entre le système français et allemand ou finlandais ou néo-zélandais est difficile à tenir compte-tenu des différences systémiques. Comment s’inspirer des pratiques où les élèves ont de l’espace quand nos lycées sont avec des petites classes qui doivent accueillir 36 élèves ?  Comment comparer l’école allemande qui trie dès la fin de la primaire avec notre collège unique ? Comment comparer des écoles privées sous contrat avec une école publique française affaiblie par des coupes budgétaires incessantes. Cet ouvrage offre une belle réflexion pédagogique mais il se heurte tout de même à la dure réalité de notre situation. De nombreuses innovations présentées dans cet ouvrage sont présentes dans des pays qui investissent dans les écoles alors qu’en France, l’état dépense très peu pour les écoles, préférant dépenser des sommes très importantes pour des classes destinées aux élites (classes prépa), l’état agissant ainsi en reproducteur des élites.

Et pourtant ! En dépit de toutes ces objections, l’intérêt de ce livre réside dans le fait qu’il a été écrit par un étudiant –devenu depuis professeur des écoles-, donc par une personne qui n’a pas été « formée » dans une Espe, ou « déformée » à travers les injonctions ministérielles qui varient que trop souvent ! Ainsi, avec ce regard, le livre conserve une certaine fraîcheur par son approche et par son optimisme. A conseiller à tous les enseignants, ne serait-ce que pour renouveler une ou deux pratiques, pour en parler à ses collègues, pour commencer à transformer ses habitudes. Certaines propositions du livre ne nécessitent pas forcément de l’argent mais … de l’énergie collective !

[1] P. 246

[2] L’auteur a également créé un site pour présenter son projet :  https://tourdumondedespedagogies.com

[3] P. 57. Les adhérents (de moins en moins nombreux aujourd’hui) de l’ICEM apprécieront. On peut toutefois préciser que cet ouvrage est le fruit d’un voyage d’un étudiant, pas encore PE, donc peut-être pas encore au fait de toutes les tendances de notre école publique (tendances associatives comme syndicales).

[4] Il en présente les fondateurs historiques : Tolstoï et Korczak.