Arrivant à point nommé pour présenter les défis attendant le nouveau gouvernement en matière d’éducation, ce numéro 368 des Cahiers français s’intéresse à « l’école en crise ? ». Dix articles tentent de répondre aux interrogations d’une société qui doute de plus en plus sur le bon fonctionnement de l’école.

Politologue à l’Institut Universitaire de France, Philippe Raynaud introduit le dossier en s’interrogeant précisément sur la place de l’école dans la société et montre qu’elle se révèle inefficace et inégalitaire. En témoignent les mauvais scores de la France dans les différents classements mais surtout un chiffre record de sondés pensant à 64 % que l’école fonctionne mal pour assurer l’égalité des chances.

Professeur à Genève, Georges Felouzis s’intéresse au système éducatif français dans le cadre de l’OCDE et montre également que, d’après les enquêtes PISA, notre école est la moins efficace et la moins équitable et que ce déclin apparaît lent et régulier. Il relève toutefois un point positif sur l’écoute des enseignants, le climat des classes qui sert plutôt bien les apprentissages.

La sociologue Marie Duru-Bellat traite des inégalités qu’elle juge bon d’essayer de gommer dès la petite enfance. S’appuyant sur des résultats d’évaluation de 2005 (les derniers disponibles…mais les données « cachées » devraient réapparaître, Vincent Peillon commençant à mettre en ligne les analyses de l’équipe précédente), elle montre que le niveau baisse, surtout par le bas, et que les inégalités s’accroissent au fur et à mesure de l’avancement dans la scolarité. Le lien avec le lieu d’habitation mais surtout le cadre professionnel familial est déterminant. Un inquiétant graphique (p 18) montre que le niveau a fortement chuté entre 1987 et 2007, tant en calcul qu’en lecture et que seuls les enfants de cadres et professions intellectuelles arrivent à se maintenir. Les inégalités dans l’offre de scolarisation à 2 ans rendent nécessaire la mixité sociale tout comme la baisse des effectifs (des études montrent qu’une baisse de 5 élèves dans une classe permettrait de réduire les inégalités de 50 %).

Sociologue au CNRS, Nathalie Bulle s’attache à faire un bilan du collège unique : le niveau des élèves aurait, là aussi, baissé et ce récemment : en 2000, 15,2 % des élèves se situaient au niveau 1 ou en dessous en compréhension de l’écrit contre 21,8 % en 2006, la moyenne des pays de l’OCDE étant à 17,9 %). De même, le quart le plus performant ne l’est plus autant qu’avant. La parole donnée aux élèves montre qu’ils attachent de l’importance au fait d’être en réussite scolaire davantage qu’avec leurs amis dans la même classe et que l’échec génère le malaise, l’ennui, voire le chahut. Une solution passerait par le regroupement d’élèves par niveau pour certaines disciplines et une flexibilité des rythmes de progression en français et en mathématiques.

Inspecteur Général associé à l’EHESS, Jean-Richard Cytermann se pose la question de la compétitivité de nos universités. Il est nécessaire d’investir dans la recherche pour ne pas être une « économie d’imitation » et de se placer dans les classements mondiaux. L’auteur voit certains aspects positifs au travers l’amélioration du statut d’enseignant-chercheur, l’autonomie budgétaire, le développement des PRES (Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur) et des RTRA (Réseaux Thématiques de Recherche Avancée) ayant même abouti à des fusions.

Maître de conférences à l’IUFM de Nantes, Vincent Troger explique que les valeurs véhiculées par les filières techniques retrouvent une certaine reconnaissance sociale mais il reste des efforts à faire sur la formation et les débouchés. Si le nombre de bacheliers a toujours augmenté, le débat public occulte souvent le fait que la part des bacs généraux va, elle, en diminuant. Le bac pro, réformé en 3 ans, apparaît comme un compromis entre l’inappétence des élèves et l’ambition scolaire des parents, plus exactement leur souhait d’une protection de la situation de leurs enfants pour l’avenir.

Inspecteur Général et recteur, Bernard Toulemonde s’intéresse aux nouveaux modes de gouvernance dans le système éducatif. L’administration générale, via son recteur, doit composer avec la régionalisation voyant le rôle du président de région et du préfet s’accroître. Le manque de politique nationale autorise à se demander si les académies ne vont pas constituer « 30 ministères de l’éducation » ? Dans le secondaire, la hausse de l’autonomie et la culture de la performance ne feront-elles pas des chefs d’établissements de véritables managers ?

Jean-Pierre Obin, IGEN, revient sur la réforme de la masterisation. Il est assez consternant de noter que, pour le primaire, les futurs enseignants avaient, jusqu’en 1970, trois années de stage payées ; deux années payées jusqu’en 1986, une année payée pendant la période IUFM 1991-2009 et finalement zéro aujourd’hui ! Le contenu des masters révèle qu’ils sont très peu professionnalisants. De plus, les étudiants, pressés par le temps, privilégient l’obtention du concours à la recherche de savoir-faire pouvant servir par la suite dans la profession. Hormis une légère revalorisation du début de carrière, le bilan n’est que négatif : conditions d’exercice difficiles, dégradation de l’image du métier et baisse des vocations ! Parmi tous les concours de l’enseignement, les professeurs des écoles ont enregistré la pire baisse entre 2010 et 2011 (- 53 % de présents).

IGEN, Michel Pérez parle du numérique pour lequel la France accuse un retard certain et pour lequel la valeur ajoutée ne peut qu’être liée à une solide formation des enseignants (certes, le C2I2E s’est généralisé mais quelle formation continue ?). Il y a moitié moins d’ordinateurs dans le primaire que dans le secondaire. Divers « fossés numériques » sont présentés (selon l’âge, la situation sociale, la situation culturelle). Le bilan du manuel numérique n’apparaît pas très bon, celui du cahier de texte numérique étant plus satisfaisant, notamment via la possibilité de contrôle de la charge de travail de l’élève. La part des enseignants percevant la valeur ajoutée des TICE est cependant en augmentation constante.

Professeur en sciences de l’éducation à Lille 3, Francis Danvers clôt ce dossier sur le thème de l’orientation. Manquant de moyens et trop labyrinthique pour que les plus fragiles ne s’y perdent pas, l’orientation part de nécessités assez évidentes : à l’époque de la Première Guerre Mondiale, 75 % des travailleurs s’engageaient dans un métier pour lequel ils n’étaient pas faits. A l’école, elle a été rendue nécessaire par la massification mais elle reste assez mécanique, générant ses exclus. Aujourd’hui se développe l’horizon d’une orientation tout au long de la vie.

Les sujets hors-dossier traitent du bien fondé d’un éventuel retour au protectionnisme (par les économistes Jacques Sapir et Henri Lepage), d’un point sur la règle d’or des finances publiques (Florence Huart, Lille 1) et du bilan de la RGPP, Révision Générale des Politiques Publiques (François Lafarge, ENA).