Gabriel Marinez-Gros est agrégé et professeur émérite d’histoire de l’Islam médiéval. Directeur de l’Institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman avec Lucette Valensi, il a notamment écrit Brève histoire des empires ; Ibn Khaldûn ; Histoire de Grenade. C’est donc un spécialiste de l’histoire de l’Islam (civilisation) médiéval.

« L’Empire islamique », cette notion interroge, tant l’historien que le contemporain. Comment un peuple aux marges de deux empires (perse et byzantin), le peuple arabe, a pu, en quelques décennies, conquérir un empire aussi vaste ? Bien que les dynasties se succèdent, que l’empire se fracture assez vite, son empreinte semble assez durable, au vue d’une islamisation et d’une arabisation d’un vaste espace moyen-oriental, asiatique et africain. Gabriel Martinez-Gros propose ici l’histoire des différentes entités politiques islamiques, se succédant entre les VIIe et XIe siècles, au cours d’une période de presque quatre siècles (« quatre vies ») avec pour fil conducteur l’analyse d’Ibn Khaldûn.

Il évoque bien évidemment les débuts de l’islam et de l’Islam, mais il sera peu question de religion ici, donc peu question de Muhammad et du Coran ou encore de doctrines religieuses. Ce qui intéresse l’auteur c’est la conquête fulgurante opérée par un peuple plutôt nomade, en premier lieu les arabes. Ces derniers sont soudés par un esprit « tribal » ou « nomade » qu’il appelle l’ « Asabiya », le concept est emprunté à Ibn Khaldûn. Il justifie dans une introduction riche et une première partie, sa vision de l’Histoire, ce qui est toujours intéressant de la part d’un spécialiste et son approche de la question par le filtre de cet auteur et historien qu’est Ibn Khaldûn. Cet historien médiéval a eut une vie assez originale, au XIVe siècle surtout, entre al-Andalus et Damas, Tamerlan et les intrigues des cours maghrébines et du Caire…

L’empire Islamique est donc l’œuvre de nomades, qui ont fortement diminué l’empire Byzantin et détruit l’empire perse au VII-VIIIe siècle. L’auteur retrace l’évènementiel, mais il insiste sur le fait qu’à la différence de Rome, les arabes sont, eux plutôt nomades. Les arabes revendiqueront leur origine tribale et guerrière, alors que les romains, on le sait se chercheront dans l’Enéide des ancêtres prestigieux comme pour cacher des débuts peu « glorieux ». Or, les arabes vont très vite, créer une culture sédentaire, impériale et écrite majeure dans l’histoire médiévale. Comment et pourquoi cette sédentarisation et cette essor culturel ? La réponse vient de la violence tribale qui permet la conquête des terres sédentaires soumises à un autre pouvoir (impérial ou royaumes), violence qui diminue en intégrant la culture du dominé (l’arabe écrit est essentiellement le fruit de la culture perse). Une fois sédentarisés, les tribus guerrières sont soumises à l’impôt, dans certains cas elles refusent un temps mais finissent par s’y plier et donc se désarment par la même occasion. L’auteur compare avec Rome, qui emploie au fur et à mesure de moins en moins d’italiens et de plus en plus ses anciens ennemis au sein des armées : les germains nos « bédouins » européens donc. Les peuples à la marge de l’empire, servent à le défendre avant d’en prendre le contrôle.

Les empires et pouvoirs islamiques qui se succèdent de l’Asie Centrale à Al-Andalus (califats ou émirats), suivent ce même schéma mis en lumière par Ibn Khaldûn. La conquête arabe entraîne une sédentarité de ces derniers, qui sont de moins en moins guerriers mais qui emploient de plus en plus de peuples frontaliers, plus violents, plus nomades, plus « bédouins », donc ayant une « Asabiya » (violence et solidarité tribale) préservée. Berbères à l’Ouest, perses puis turcs à l’Est succèdent aux arabes, turco mongols enfin. Tous ces peuples s’engagent dans les armées islamiques ou y sont incorporés de force, puis par un rapport de force favorable, prennent le pouvoir sur l’empire et au final se sédentarisent. A chaque sédentarisation, la culture et la civilisation sont redynamisées, mais les armées s’affaiblissent et un nouveau peuple surgit à la marge de l’empire, s’islamise, et s’engage pour défendre l’empire d’autres peuples : Le cycle continue !

L’histoire islamique est complexe, elle m’avait quelque peut désarçonné mais passionné quand je préparais mon CAPES avec le sujet «  Gouverner en Islam, Xe- XVe ». Avec cet ouvrage tout devient clair, et les mécanismes de changements de pouvoirs politiques, assez rapides, s’éclairent et on comprend pourquoi ce monde islamique a tant muté au moyen-âge, sans finalement s’effondrer. Il a juste connu une histoire cyclique, une histoire complexe entre peuples nomades et sédentaires, qu’Ibn Khaldun avait vu avec une acuité saisissante.

Gabriel Martinez Gros conclue son livre par une synthèse lumineuse ainsi qu’un point de vue d’historien sur ce qu’apporte l’histoire de l’Islam et de l’islam pour mieux comprendre le monde actuel. Le livre se termine avec un lexique, toujours utile quand on n’est pas familier avec l’histoire et la culture islamique ainsi qu’une partie biographie sur les grandes dynasties de l’Islam.

 

GAYZARD Olivier, professeur certifié.