Sur ces dix versions de la mort de masse sous l’uniforme, six sont d’ordre épidémiologique : la peste déclenchée lors du siège de Caffa en 1346, cause originelle de l’horrible épidémie de peste noire qui ravagea l’Europe au milieu du XIVe siècle, la variole qui décime les Aztèques au moment du siège de Tenochtitlan par le conquistador Hernán Cortés, la dysenterie qui affaiblit l’armée prussienne au moment de la bataille de Valmy en l’obligeant à une retraite qui sauve la Révolution française, l’effroyable contagion par le choléra qui consume les troupes en présence au cours de la Guerre de Crimée en 1854-1855, la fièvre jaune qui accable le corps expéditionnaire français pendant la Guerre du Mexique de 1862 à 1867, et enfin l’infection par la typhoïde qui inflige de lourdes pertes aux troupes venues imposer le protectorat français à la Tunisie en 1881. L’auteur élargit ce tableau en y adjoignant la famine qui décima les croisés au siège d’Antioche en 1098, le froid qui anéantit la Grande Armée au cours de la retraite de Russie et l’inventaire des pathologies des tranchées constatées pendant la Première Guerre mondiale. Il complète enfin son tour d’horizon par une mise au point sur le syndrome de la Guerre du Golfe, dont la réalité a été longtemps niée officiellement.
Les exemples sont judicieux, même s’il manque peut-être dans cette sélection l’évocation de la conquête de Madagascar en 1895, qui fut pourtant un tombeau sanitaire pour le corps expéditionnaire envoyé de métropole. Le tribut humain des souffrances sanitaires des armées est clairement souligné en s’appuyant sur une abondante bibliographie principalement puisée dans des sources médicales et des témoignages d’époque. Une partie des références employée est de ce fait ancienne (titres du XIXe siècle). A signaler malgré tout la petite coquille muant les volontaires de la Révolution, les « bleuets » (surnom dû à la couleur de leurs habits d’uniforme) en « bluets » (p. 52) et la trame factuelle assez approximative évoquant la retraite de Russie et la traversée de la Bérézina. Mais on n’en apprécie pas moins l’intérêt historique et la clarté pédagogique des informations épidémiologiques, des descriptions pathologiques, et de l’analyse de leurs facteurs explicatifs. Et le constat s’impose que, si les progrès de la science médicale au XXe siècle ont permis d’éradiquer les calamités infectieuses associées à la guerre, le perfectionnement des moyens de combat fait émerger de nouveaux fléaux tout aussi catastrophiques… Traitant d’un sujet original, cet essai court et très accessible est donc une lecture instructive à recommander pour qui s’intéresse à ces problématiques.
© Guillaume Lévêque