CR de Catherine DIDIER – FEVRE
Les éditions Karthala publient les actes du colloque qui s’est tenu à l’Université de Louvain en 2004 sur le thème de l’épidémie du sida. Le parti pris de ce colloque a été de porter un regard historique sur l’épidémie. Ce colloque se situe à la croisée de la géographie et de l’histoire. P. DENIS et C. BECKER ont fait appel à des anthropologues, des géographes, des historiens, des médecins pour traiter de la question.
L’ouvrage comporte une bibliographie fournie. Celle-ci laisse une place importante à la recherche bio-médicale. L’étude historique du sida en Afrique est relativement récente. Elle a commencé dans les années 1990 avec le passage d’une perspective purement médicale à une étude du rôle des facteurs historiques, politiques, culturels et sociaux dans la transmission du sida en Afrique et leurs interactions.
• Histoire de la propagation du virus :
Identifiée dans les années 1980 aux Etats-Unis, l’épidémie n’a attiré que tardivement le regard des chercheurs sur l’Afrique, à l’exception des travaux d’histoire de la médecine menés par Mirko Grmek (1989). La mesure n’a pas été prise que le phénomène observé aux Etats-Unis se propageait à grande vitesse, d’abord, en Afrique Centrale, puis, dans l’ensemble de l’Afrique sub-saharienne. (cf. les travaux de la géographe française J.M. AMAT-ROZE sur la géographie de l’infection).
L’origine du virus est encore discutée. Les scientifiques parlent d’une transmission du virus des primates (VIS) à l’Homme (VIH 1, VIH 2 et autres variants), qui se serait faite en Afrique Centrale, vraisemblablement dans les années 30. Cette hypothèse de travail a eu pour conséquence de stigmatiser l’Afrique et d’alimenter un rejet de la maladie et des modes de prévention sur le continent. L’analyse d’échantillons de sang datant de 1959 a montré que la maladie était présente bien avant les années 80, date de sa découverte.
On peut distinguer trois grandes périodes depuis l’identification de la maladie :
– Première phase : celle du déni de la maladie
– Deuxième phase : période d’incohérence où les moyens mis en œuvre échouent.
– Troisième phase : celle de la mise en place d’une action collective pour lutter contre l’épidémie.
• Modes de transmission :
Faire l’histoire du sida, c’est faire de l’histoire du temps présent. Le VIH est le produit de la mondialisation. Ce phénomène, touchant au départ quelques personnes, a circulé en 40 ans le long des réseaux connectés (cf. rôle de l’urbanisation, de la mobilité et des migrations) pour, à l’heure actuelle, infecter 70 millions de personnes.
Le mode de transmission du sida (sang, sperme) et les groupes que la maladie touchait (homosexuels, toxicomanes, hémophiles, prostituées) a, dans un premier temps, écarté des modes de protection certains groupes sociaux. L’usage du préservatif, comme moyen de protection, a été vu par certains comme une tentative de freiner la croissance démographique des pays pauvres. La propagation du virus a été vue à la fois comme une attaque du « Nord » sur le « Sud » et comme un moyen de punir des comportements déviants.
Par ailleurs, on constate une accélération de la propagation du VIH lors des crises économiques (cf. la propagation du virus dans les pays d’Europe de l’Est depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS). Le sida a touché l’Afrique dans un contexte de crises des modèles de développement (aggravée par les Plans d’Ajustement Structurel).
L’impact du sida sur le développement, la société et l’économie a amené les autorités internationales et nationales a traité le VIH comme un obstacle au développement et non plus seulement en termes de maladie.
La question du rythme de diffusion du VIH interroge beaucoup les chercheurs. Si les modes de contamination sont relativement bien identifiés, on comprend mal les variations de prévalence d’un pays sub-sahariens à un autre.
L’Est et le Sud de l’Afrique sont plus affectés que l’Ouest. La diffusion de l’épidémie est le résultat de complexes inter-relations entre les conduites sexuelles (vagabondage sexuel, dry sex), des facteurs biologiques (le fait que les individus soient porteurs d’une autre maladie – herpès – ou bien que les hommes soient circoncis ou pas) et des facteurs externes (place de la femme dans la société, paupérisation, taux d’urbanisation, guerres).
• La gestion de l’épidémie :
Le sentiment d’impuissance face à la maladie amène les autorités à encore trop souvent chercher des boucs émissaires plutôt que de s’attaquer aux racines du mal (cf. les positions du président MBEKI en Afrique du Sud). Les familles préfèrent invoquer la sorcellerie ou s’en remettre à la religion (cf. l’essor des Eglises évangélistes) pour expliquer la mort d’un de leur proche. Le corps médical opère des choix, face à l’incapacité matérielle de prendre en charge tous les malades du sida. L’enquête orale, réalisée en 2000 en Afrique du Sud par G. OPPEINHEIMER et R. BAYER sur le modèle de celle qu’ils avaient mené aux EU (Aids Doctors : voices from the epidemic) témoigne de ces choix. Les malades du sida sont exclus des services de santé, sous le prétexte que leur mort est prochaine. La distribution des (trop rares) anti-rétroviraux amène le praticien à choisir les patients qui « méritent » de suivre le traitement.
Les exemples de l’Ouganda et du Sénégal peuvent servir à montrer que la propagation de l’épidémie peut être enrayée. Dans les deux cas, le leadership de l’Etat a été essentiel. Il a été l’initiateur de la lutte. C’est la conjugaison des rôles de l’Etat et des acteurs non étatiques (ONG, ONU, Eglise, Banque mondiale) qui a permis à l’épidémie de reculer. Si l’action de tous est importante, celle de l’Etat est primordiale dans la non stigmatisation des malades.
Ce retour sur l’histoire de la maladie rappelle combien celle-ci a été l’objet d’enjeux financiers actuels (cf. les anti-rétroviraux) et passés. La découverte de virus variants (VIH O) au Cameroun a fait des malades porteurs de ce variant des sujets que se sont disputés les laboratoires de recherche pour mettre au point des tests de dépistage.
La lecture de cet ouvrage est à recommander aux professeurs du secondaire (plus particulièrement à ceux qui enseignent en lycée). Ils trouveront là une véritable mine d’informations pour étayer leur réflexion et leur cours de géographie des risques en seconde. Au-delà d’une application pédagogique, la publication de ces actes de colloque permet de rendre compte de l’évolution de l’épidémie et aborde des champs trop peu vulgarisés par les médias. C’est un sujet passionnant au carrefour de la géographie, de l’histoire au cœur de la citoyenneté.
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