L’agronome Benjamin Nowak s’interroge : pourquoi et comment l’histoire a-t-elle favorisé quatre plantes cultivées aux dépens des autres ? Blé, maïs, riz, soja occupent plus de la moitié des terres agricoles.
En trois grandes parties, l’auteur invite le lecteur à un voyage dans le temps long et sur tous les continents à la découverte des relations entre la domestication du végétal et les sociétés humaines.
Des anecdotes savoureuses facilitent la lecture de cet ouvrage sérieux de vulgarisation, une invitation à regarder autrement le contenu de nos assiettes.
Des plantes sauvages aux espèces cultivées
À la recherche de l’ancêtre perdu
Premier constat : les plantes cultivées ont abandonné le mode de dissémination des graines par le vent ou grâce aux animaux, aux courants marinscomme la patate douce partie d’Amérique pour coloniser la Polynésie il y a plus de 100 000 ans.
La domestication intervient par la modification des caractéristiques de dormance et de germination des graines. C’est le cas de la téosinte mexicaine, ancêtre du maïs, qui perd sa capacité de dispersion par le vent, des grains devenus trop lourds. Sa domestication favorisa la culture maya.
À noter un schéma très intéressant des utilisations actuelles du maïs sur les 5 continents. Seule l’Afrique en fait un usage majoritaire en alimentation humaine.
Sa majesté la carotte
Si la domestication recherche l’augmentation de la taille, dans le cas de la carotte à favoriser la taille de graines plus faciles à semer, mais aussi la teneur en carotène. Les carottes initialement blanches, violettes sont devenues oranges quand les Hollandais ont cherché, dans cette plante domestiquée en Afghanistan, un plus fort taux de carotène synonyme de vitamine A.
Des acrobaties gastronomiques
Les solanacées, groupe auquel appartient la tomate, contiennent des alcaloïdes pouvant les rendre dangereuses, comme la belladone. Au Moyen Age, elles étaient associées à la sorcellerie, comme la mandragore. Voilà, peut-être, la raison du succès tardif de la tomate, de la pomme de terre lors de leur acclimatation en Europe depuis leur origine américaine. On suit le cheminement depuis le Pérou et l’Équateur. L’auteur montre une autre conséquence du voyage des grains : la réduction des variétés. Pour la tomate, cette réduction provient du faible nombre de graines initialement importées au XVIe siècle. Le second facteur est la sélection pour une culture industrielle de plein champ, en relation avec le succès, aux États-Unis, du ketchupPremière recette 1817.
Pourquoi la moutarde pique
Le colza, né du croisement, dans le bassin méditerranéen, entre un chou et une navette, est cultivé depuis l’Antiquité pour en extraire de l’huile. Ce chapitre montre les vicissitudes de la culture du colza et la mise sur le marché de variétés sélectionnées, au XXe siècle, pour leur intérêt économique et sanitaireÉlimination des composants soufrés.
Si certains composants sont à éviter, ils peuvent être positifs pour une plante proche : la moutarde à laquelle ils confèrent son caractère piquant. C’est aussi un atout pour les cultures intermédiaires entre deux cultures où ils contribuent à assainir les sols. La sélection des variétés de colza leur fait perdre leur teneur en acide érucique et donc la capacité à se protéger des herbivores.
Sur les traces d’un tueur en série
Le melon, Cucumis mélo a été domestiqué en Asie et en Egypte d’où il a été ramené par les Romains puis introduits en Amérique au XVI e siècle. La sélection a visé l’augmentation de la taille et surtout de la teneur en sucre. À l’époque romaine, c’était un légume. Ce sont les moines italiens qui façonnèrent la variété sucrée du melon cantaloup. L’auteur évoque sa mauvaise réputation de tueur en sérieSchéma des victimes p. 57 serait due soit à un croisement avec une autre cucurbitacée ayant conservée une propriété toxique qui la protégeait des herbivores, soit à une contamination à la salmonellose du sol ou des eaux d’arrosage.
Éviter les pépins
À partir de l’histoire de la naissance des clémentines, c’est la perte de la graine qui est montrée dans ce chapitre. Voilà une conséquence de la domestication et de la sélection d’un caractère favorable à l’homme et défavorable à la plante, c’est aussi le cas de la banane. La banane triploïde impose une multiplication par la racine, mais donne un fruit comestible.
À la conquête du monde
Cette seconde partie est consacrée à la dispersion des espèces végétales lors de la multiplication des échanges.
L’or noir
Depuis ses origines éthiopiennes, le café a gagné le monde entier. Il représente 19 milliards de dollars d’échanges (2020), en bonne place derrière les céréales. C’est au XVe siècle que les premiers caféiers gagnent le Yémen puis Java, grâce aux Hollandais. Au XVIIIe siècle, les Français les introduisent aux AntillesEn 1777, 219 millions de pieds de café en Martinique., de là, ils gagnent le continent américain, une histoire relatée par l’auteur.
L’île chocolat
Il part d’Amazonie pour gagner tout le monde précolombien où il sert de breuvage sacré. C’est à São-Tomé qu’il arrive en Afrique introduit par les Portugais. À la fin du XIXe siècle, l’archipel était le premier producteur mondial de fèves de cacao. Il est, aujourd’hui, détrôné par le Ghana et la Côte-d’Ivoire, 60 % de la production mondialeGraphique de la progression de la production 1961-2021, p. 85. Mais cette culture est menacée par un virus.
Après la tempête
Partant du roman « Les raisins de la colère » et du « Dust Bowl »Jours de sable, Aimée de Jongh, Dargaud, 2021, l’auteur retrace le travail de sélection pour améliorer les rendements du maïs aux États-Unis.
La révolution sucrière
Dans le cas du sucre, c’est la géopolitique, la bataille de Trafalgar, qui est le facteur principal du passage du sucre de canne au sucre de betterave, une politique napoléonienne non sans difficultés. Une autre alternative, née du blocus britannique, va faire la fortune d’une plante déjà connue des Égyptiens : la chicorée.
Le poids des habitudes
Ce chapitre montre combien les habitudes et des connaissances pratiques peuvent entraver l’introduction d’une culture nouvelle : le soja en France.
L’auteur compare ce « verrouillage » socio-technologique à l’échec de la diffusion du clavier Dvorak, pourtant plus ergonomique, dans les années 1930.
Le bateau, les espions, les moutons
Ou comment l’affaire du Rainbow Warrior a encore des conséquences pour les éleveurs ovins en France. Les accords signés avec la Nouvelle-Zélande contenaient une exemption douanière pour la viande de mouton néo-zélandaise et entraînaient un avantage de compétitivité qui a provoqué le déclin de la filière françaiseSchéma p. 111.
Les relations internationales ont donc un impact sur la répartition des cultures, des élevages dans le monde.
Le pouvoir des fleurs
Sous ce titre étonnant se cache le tournesol, symbole national ukrainien, mais aussi sujet de prédilection de nombreux peintres.
Cette plante d’origine amérindienne, importée par les Espagnols, s’est modifiée, d’une dispersion de petites capitules sur un pied au tournesol à large tête que nous connaissons. La culture de la plante se développe à la fin du XVIIe siècle, en Russie, où elle permet de contourner l’interdiction du gras pendant le carême. Ukraine et Russie demeurent les deux premiers producteurs mondiaux.
Les récoltes à venir
Cette troisième partie vise à montrer les conséquences au-delà du monde agricole de l’évolution des plantes, mais surtout d’envisager les innovations en matière de sélection variétale et leur capacité à répondre aux enjeux du XXIe siècle ?
L’invention la plus importante
C’est l’invention des engrais azotés de synthèse qui en favorisant les rendements a permis la croissance démographique mondiale ; ce n’est peut-être pas la seule cause. L’auteur retrace, depuis l’Antiquité le couple rendement/démographie.
Océan vert
Les grands champs de monoculture favorise la prolifération des ravageurs et donc l’utilisation des pesticides. La disparition des haies en Bretagne et le développement des élevages ont entraîné les marées vertesAlgues vertes, l’histoire interdite, Inès Léraud, Pierre Van Hove, Delcourt et La Revue Dessinée, 2019 – Les algues vertes, Pierre Jolivet (2023), Dossier pédagogique – Zéro de conduite. Ce constat est contrebalancé par la présentation de quelques solutions : couverts intermédiaires, agriculture biologique.
Compromis et conséquences
Des accords États-Unis/Europe, aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, à la PAC, quelle place pour la culture du soja en France ? L’auteur montre le développement du soja pour l’alimentation humaine et animale sur le continent américain.
Plus de blé qu’un meilleur avril
Une aimable anecdote introduit l’histoire des blés, de leurs nombreuses variétés qui ont évolué depuis l’(Egypte des pyramides : blés durs, blés tendre, blés panifiablesL’auteur évoque l’entreprise Vilmorin. Sur ce sujet, on pourra se reporter aussi à cet ouvrage récent : Mémoires de grains – Vivescia, une histoire céréalière, Jean-Pierre Williot, Le Cherche-Midi éd., 2025, blés hauts, blés à paille courte. Des grains retrouvés dans les pyramides ont conservé leur capacité germinative. Aujourd’hui, la réserve mondiale du Svalbard est un essai de sauvegardeIl existe des initiatives locales de conservation des variétés anciennes comme celles décrite dans le film Seeds of Dignity, des toutes les graines de cultures vivrières, peut-être une solution face à la stagnation des rendements.
Nature et culture
Ce chapitre traite de l’opposition aux OGM à partir de la lutte en Auvergne contre les essais de Limagrain, au début des années 2000. C’est l’occasion de montrer les différentes techniques de sélection végétale depuis l’Antiquité, du pragmatisme aux lois de Mandel et aujourd’hui aux manipulations génétiques pour s’adapter à un célèbre herbicide ou pour développer de nouveaux médicaments.
Le nouveau beaujolais est arrivé
Un peu de prospective, 2084 l’Angleterre premier producteur mondial de vin. Partant de cette fiction, l’auteur évoque les effets du changement climatique sur la répartition des cultures. Il rappelle les travaux des historiens sur les dates de vendanges, sans citer le précurseur Emmanuel Leroy-LadurieHistoire du climat depuis l’an mil, Paris, Flammarion, 1967.
En conclusion le tableau des principaux semenciers (p. 175)
Chaque chapitre est illustré d’un graphique très lisible qui complète un texte agréable à lire. L’ouvrage est une bonne vulgarisation accessible dès le collège.