Cette magnifique édition a été réalisée avec le soutien des conseils départementaux de l’Isère et des Hautes-Alpes qu’il faut ici remercier.
Elle aura toute sa place avec les « beaux livres » des bibliothèques de particuliers, amoureux de la cartographie historique, mais aussi dans les CDI du secondaire et les Bibliothèques universitaires des établissements d’enseignement.

La 1ère cartographie des Temps Modernes

Cette recension a pour objet d’intéresser les enseignants curieux du patrimoine de la région à l’un des tous premiers cartographes de ce qu’on appelle « les Temps Modernes ». Elle est publiée dans la Cliothèque, site consacré à la recension des parutions éditoriale en histoire et en géographie. Ce site est animé par l’association « Les Clionautes » qui oeuvrent à la défense de ces deux disciplines d’enseignement et à leur promotion par l’usage raisonné des outils numériques, la recherche scientifique et la réalisation de séquences pédagogiques.
La visite guidée de l’exposition par deux groupes de 2ndes et son exploitation en classe sera mise en ligne sur le même site début février 2018 et si l’exposition est prolongé en mars, une délégation de Clionautes venue de toute la France pour le festival de géopolitique de Grenoble aura – nous l’espérons – l’occasion de la parcourir et de faire mieux connaître le nom de Jean de Beins.

Un contexte éditorial favorable


La parution de ce magnifique ouvrage s’inscrit dans le cadre de « l’année Lesdiguières » en Dauphiné qui est l’occasion de sortir de l’oubli tout au long de 2017 celui qui fut au tournant des XVIe-XVIIe siècles défenseur officiel de la marche du Dauphiné et connétable du royaume de France, et dont le nom n’évoque aux Dauphinois d’aujourd’hui que le nom d’une rue ou d’un stade de rugby…

Jean de Beins, cet inconnu, exemple d’ascension sociale via les guerres 

À croire que la destinée posthume du dernier Connétable de France ne pouvait-être que celle de ses fidèles serviteurs : de Jean de Beins ingénieur militaire et cartographe du Roi, peu nous est parvenu ; ainsi l’absence d’un portrait peint, surprenant au vu des talents et de la responsabilité d’un tel personnage. Heureusement pour les historiens, son livre d’anoblissement retrace le parcours d’un jeune soldat orphelin d’une famille bourgeoise devenu scientifique officiel du Duc et qui nous livre force détails sur ses états de service, démarche nécessaire pour qui faute des quartiers de noblesse requis ne peut se prévaloir que de sa bravoure et de son énergie au service de l’Etat.

Le jeune soldat valeureux des guerres de religion et de Savoie va profiter d’un alignement des planètes à la fin de cette terrible deuxième moitié du XVIe siècle : l’Édit de Nantes qui met fin aux guerres de religion dans le royaume en 1598 et la paix avec l’ennemi traditionnel de la Marche, le duc de Savoie en 1602. Démobilisé, il se forme aux sciences mathématiques et devient ingénieur militaire sous les ordres du duc de Lesdiguières.

Cartographier les nouvelles frontières du royaume de France

Fort des acquisitions territoriales nouvelles de son royaume, Henri IV veut les connaître au mieux en les faisant cartographier. Son ministre Sully va donc faire établir dans 3 lieux aux frontières redessinées par les traités (Picardie, Dauphiné et Provence) une centaine de cartes dont les 49 établies par Jean de Beins.

Inlassable parcoureur des sentiers de haute randonnée et amateur d’altitudes qui lui permette de travailler ses cartes avec des perspectives audacieuses pour l’époque, notre sportif avant l’heure va créer au delà de la commande officielle une oeuvre personnelle, empreinte à la fois de poésie et de précision paysagère qui fait le lien entre les cartes des peintres de la fin du Moyen-Agehttps://www.clionautes.org/l-invention-de-la-carte-a-l-aube-de-la-renaissance-xiveme-xvieme-siecles.html et la cartographie scientifique dont les règles seront codifiées par l’Académie des Sciences dans la seconde moitié du XVIIe siècle« Parvenir par les armes et le talent : l’anoblissement de Jean de Beins », Hélène Vialet, conservatrice générale du patrimoine, directrice des Archives départementales de l’Isère, opus cité, pp. 15-22

Un précurseur de la famille Cassini ? Au moins par l’esprit ; il fallait que le Roi connaisse le mieux possible ses provinces périphériques, l’environnement des places fortes, les logistiques militaires à mettre en place en fonction de la topographie. La connaissance empirique du terrain d’un chef militaire comme Lesdiguières ne suffit plus au monarque…

Un patrimoine exceptionnel au musée de l’Ancien Evêché de Grenoble

Que le grand public l’ignore n’a pas empêché les spécialistes historiens et géographes de retracer la genèse et le parcours dans le temps de ces oeuvres.
Outre la ville de Grenoble dont le dessin aquarellé sur papier titré Paisage de Grenoble et réalisé en 1604 orne la jaquette du livre et témoigne de la délicatesse du trait et de la rigueur militaire des détails, la carte et description générale du Dauphiné avec les Confins des Pays et Provinces voisines. Le tout Raccourcy et reduict par Jean de Beins Ingenieur et Geographe du Roy est la première carte d’un Dauphiné remanié après le traité de Lyon avec le duché de Savoie en 1602.

Cette carte eut un tel succés qu’elle fut refaite à de nombreuses reprises en France et en Hollande jusque vers 1654. A noter que le relief a été en partie édulcoré par rapport à la carte-mère qui faisait partie du gros volume relié de maroquin rouge destiné au Roi Henri IV. En quelque sorte un passage avant la lettre d’un document à but militaire et dont le caractère secret s’imposait à des reproductions destinées à un plus large public aux préoccupations plus géographiques que diplomatiques…

Un patrimoine de grande valeur perdu… puis retrouvé par hasard

De Sully à Perrine Camus, qui nous livre aujourd’hui une lecture renouvelée des cartes de Jean de Beins sous la houlette de l’historien Stéphane Gal, et gràce à l’exposition réalisée par la conservatrice en chef des musées grenoblois et commissaire de l’exposition Isabelle Lauzier, ce patrimoine dauphinois et français d’abord perdu (durant la période de la Révolution ?) réapparaît dans l’index du catalogue additionnel des manuscrits du British Museum sous l’entrée « Maximilien de Béthune, duc de Sully » et décrit comme « Add. 21,117 was executed in 1602-1608 for him ». Sur son itinéraire jusqu’à la British Library, ni l’historien britannique de la cartographie David Buisseret qui l’avait le premier repéré en 1965, ni la conservatrice de la British Library n’ont pu donner de réponse éclairante.
C’est le Père François de Dainville qui conduit le premier en 1968 une étude approfondie sur la production de cartes de Jean de Beins ; « l’année Lesdiguières » sous la houlette de Anne Cayol-Gerin responsable patrimoine culturel pour l’Isère et associant les Hautes-Alpes et la Drôme va permettre à Jean de Beins de prendre sa place dans la multitude de manifestations organisées.

« Clou » de l’exposition, le magnifique livre original destiné à Henri IV par Sully, prêté par la British Library, un trésorA l’annonce de l’achat du livre d’heures de François Ier par le musée du Louvre et de la souscription publique qui l’accompagne, mes élèves se sont lancés dans une évaluation digne des meilleurs salles de ventes… ouvert par la seule personne habilitée à le toucher à la page du « paisage de Grenoble !

La lumière rendue en cette année d’hommage au « Prince oublié » pouvait rejaillir ainsi sur son ingénieur-cartographe…