Axe clef de la présidence de Franklin Delano Roosevelt entre 1932 et 1945, le New Deal et le « home front » affectèrent de manière considérable les États-Unis d’Amérique, tant sur la scène économique et sociale que sur la scène internationale. Ces politiques contribuèrent, en partie, à façonner les États-Unis d’aujourd’hui, tels que nous les connaissons.
Ce livre, à mettre en toutes les mains, je le conseille vivement, même s’il s’adresse avant tout aux étudiants destinés à l’agrégation d’histoire mais aussi d’anglais est incontournable pour qui souhaite comprendre l’articulation historique de cette époque. Cet ouvrage est le fruit d’un collectif de haut niveau, dense, précis, concis. D’un abord très agréable et synthétique, le livre se décompose de la façon suivante :

  • Une chronologie retraçant l’itinéraire, depuis la victoire aux élections présidentielles de Franklin Delano Roosevelt le 8 novembre 1932 jusqu’au 12 avril 1945, date de son décès ;
  • Une présentation synthétique des années 1932 à 1945 permettant d’appréhender les événements marquants de cette période ;
  • Cinq discours clés du président Roosevelt, (in English of course…ou en américain littéraire. Je reste persuadé toutefois que les spécialistes de civilisation anglo-saxonne pardonneront sûrement au néophyte, auteur de cette petite chronique) ;
  • Quatorze articles portant la focale sur les années d’austérité et les mesures emblématiques prises pour sortir les Etats-Unis de l’ornière ;
  • Enfin, une copieuse bibliographie annexée à chaque fin de chapitre.
  • Le livre a été volontairement découpé en deux grandes parties. Une première balayant les années Roosevelt au travers du prisme du New Deal ; une seconde partie sous le signe du Home front avec un éclairage très pointu sur le volet social et la société américaine. Bien entendu, certains points abordés ici mériteraient, à eux seuls, un livre à part entière tant le sujet est vaste et dense.
    A l’automne 1929, les Etats-Unis connurent un cataclysme économique sans précédent dans l’histoire économique du monde. Le krach boursier du fameux jeudi noir ruina, instantanément, des millions d’épargnants. Les bases de la société furent fortement ébranlées. Ce séisme économique montra au grand jour le fonctionnement d’une civilisation à deux vitesses, beaucoup plus inégale que les dirigeants politiques de l’époque le pensaient alors. Cet électrochoc, avec le recul, allait s’avérer salutaire. Cette expérience permit aux Américains de se remettre de cette désillusion et de s’en nourrir afin de sortir renforcés de cette épreuve au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Sur le plan intérieur, l’ampleur et le marasme économique eurent, très rapidement, des répercussions dramatiques sur la population : La pauvreté grimpa en flèche ; les entreprises firent faillite et jetèrent à la rue des milliers d’ouvriers. Dans les campagnes, l’onde de choc frappa de plein fouet une agriculture extensive moderne et ruina des régions agricoles entières. Devant cette situation dantesque, le gouvernement de Roosevelt fraîchement élu, saisi d’effroi, décida, en priorité, de prendre en charge le bien être de la population. Le New Deal de Roosevelt, très vite surnommé FDR marqua par conséquent de son empreinte l’histoire économique et sociale des Etats-Unis. Des aides directes aux agriculteurs furent distribués afin de soutenir les prix et les exploitations ; la création d’une sécurité sociale et la représentation syndicale furent mises sur pied afin de servir de parapet social et éviter la spirale infernale de l’exclusion. Sur le plan international, l’intervention militaire de 1917 était encore perçue comme maladroite. Mal interprétée, elle fut fortement critiquée. Aussi, en 1937, le Congrès décida de légiférer à ce sujet et de déclarer les Etats-Unis comme pays neutre. Cependant, l’agression du régime nazi et fasciste en Europe envers ses voisins puis l’attaque de l’empire japonais le 7 décembre 1941 sur la flotte américaine basée sur l’île d’Oahu, dans l’archipel des îles Hawaï, poussèrent les Etats-Unis à entrer en guerre.
    Les années Roosevelt englobent donc deux aspects : mise en application du New Deal, censé redonner confiance au pays après l’effondrement boursier de 1929 et les années de grande dépression qui suivirent ; assainir le système économique national pour favoriser le plus rapidement possible le retour des Etats-Unis vers la croissance et la prospérité. Le second aspect concerne le passage progressif d’une politique de neutralité à un engagement militaire total sur les théâtres d’opérations du Pacifique puis européen. Les industries américaines tournant alors à plein régime afin d’aider les alliées à résister face l’Allemagne, l’Italie et le Japon.

Première partie du livre.

Article en anglais : Clarisse GODARD-DESMARETS, s’intéresse aux cent premiers jours au pouvoir de FDR. Au cours de cette période, du 9 mars au 16 juin 1933 qui globe la session spéciale du 73ème Congrès, elle démontre que FDR s’est, dès le début, attelé à une profonde refonte de son pays. Le discours d’investiture du 4 mars 1933 prouve la volonté du chef de l’exécutif de s’attaquer très rapidement aux problèmes économiques. Pour cela, FDR et son équipe firent preuve d’une intense activité législative. Durant ces cent jours, pas moins de quinze textes furent adoptés, de nombreuses agences de réglementation chargées d’appliquer et de développer les programmes du New Deal virent le jour.

Article en anglais : Marie BOLTON, pour sa part, décrit l’alphabet soup, programme regroupant les lois, les programmes et les agences de réglementation du New Deal. L’historiographie de cette époque semble avoir particulièrement retenue les trois R pour reform, recovery et relief. Un quatrième r pour revolution est passé dans les oubliettes de l’histoire. Elle avance également le fait que de nombreux historiens et économistes américains qui analysent la crise de 2008 tissent des liens entre la fin du XXème siècle et la fin des années 1920.

Article en anglais : Andrew IVES confirme l’énergie, la combattivité et la haute figure incontournable de FDR. Pour lui, l’héritage le plus important légué par ce chef d’Etat fait la part belle au libéralisme. Pour FDR, l’Etat doit être réorienté vers un nouveau schéma de pensée économique, tout comme la pensée politique. Ainsi, par ses talents de grand communiquant et ses discours, FDR aurait accolé au libéralisme une connotation progressiste, afin de mieux réguler le marché et ses soubresauts.

Elisabeth BOULOT se penche sur le Social Security Act du 14 août 1935. L’adoption de cette loi montre un changement politique et institutionnel dans le déroulement du New Deal, une nouvelle donne. Elle prouve que FDR souhaite non seulement reconstruire économiquement le pays (economic recevory) mais également procéder à une reconstruction morale (spiritual economy). Ainsi, logiquement, par le truchement de ses deux aspects, FDR devient le parole d’une démocratie humaniste, véritable opposée des régimes dictatoriaux hitlérien, italien et japonais contre lesquels les Etats-Unis vont entrer en guerre. Aussi, dans les années 1960, le successeur de John Fitzgerald Kennedy, Lyndon Baines Johnson reprendra à son compte l’héritage social du New Deal. En 1965, le Social Security Act est amendé pour créer deux nouveaux programmes : Medicare pour les retraités et Medicaid pour les plus démunis. Leur financement et leur étendu à un plus grand nombre de bénéficiaires ont fait l’objet de débats acharnés en 2011 sous le mandat du Président Obama.

Article en anglais : Marion PULCE prouve que pour faire face à la crise économique, FDR accroît le rôle du gouvernement fédéral afin de réguler au mieux le secteur privé. Pour structurer les actions du New Deal, de nombreuses agences de régulation, mais aussi administratives voient le jour. Cependant, la Cour suprême voit d’un très mauvais œil l’augmentation de ces cellules créées par l’exécutif. Dans la foulée, plusieurs lois emblématiques du New Deal sont annulées. S’ensuit également, en parallèle, une violente opposition entre libéraux et conservateurs afin de savoir quelles marges de manœuvre donner aux bureaucrates de ces agences dont les directives émanent directement de l’équipe dirigeante de FDR. Brillamment réélu en 1936, FDR décide de réorganiser la Cour suprême par une loi et faire pencher ainsi la balance en faveur de son programme économique. En 1937, le Sénat invalide cette loi. Mais la Cour suprême donne finalement son accord pour une plus grande autonomie en faveur des agences fédérales, autonomie qu’elles conserveront pendant plusieurs années bien après la crise.
FDR déclenche, en 1937, un véritable tir de barrage à l’encontre de la Cour suprême. L’exécutif échafaude un plan, le Court-Packing Plan, destiné à réduire de façon drastique les pouvoirs de la Cour suprême que nombre de conseillers du président estiment omniscients. FDR tente alors une réforme de la Cour. Mais en intervenant dans le champ judiciaire, FDR ouvre la question de l’équilibre des pouvoirs, notion chère aux rédacteurs de la Constitution qui insistent justement sur l’efficacité des contre-pouvoirs à l’exécutif (checks and balance).
Il est vrai que son plan était audacieux. Il prévoyait de relever le nombre de juges afin d’y placer des hommes favorables à son programme économique et diriger vers la sortie les magistrats de plus de 70 ans et 6 mois. Mais cette initiative est fortement critiquée, y compris par son entourage proche qui y voit une approche partisane. Finalement, la Cour suprême devient plus conciliante vis-à-vis du New Deal.

Passons maintenant à la deuxième partie du livre

Article en anglais : Armand HAGE montre qu’après l’entrée en guerre des Etats-Unis, FDR fait la tournée des grandes entreprises chargées de construire le matériel de guerre. Il nomme cet effort de guerre le Home front. Mais d’autres fronts le préoccupent. Sur le plan international, FDR doit lutter contre les politiciens fervents supporters de la politique isolationniste. L’article montre que la neutralité américaine a été, à l’origine, une volonté des Pères fondateurs de la nation américaine. Pour autant, nombre de présidents américains en prônaient les vertus mais les récusaient dans la pratique. L’isolationnisme fit florès après la Première guerre mondiale, car le conflit avait coûté cher en vies humaines et des enquêtes parlementaires avaient démontré que l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1917 avait été motivée par le profit que pouvait en tirer les industriels de l’armement entre autres.

Durant les années de guerre, la mobilisation économique du pays en arsenal des démocraties transforme le paysage social. Ruxandra PAVELCHIEVICI décrit le rôle de l’état fédéral donnant l’impulsion nécessaire à l’économie de guerre. La concrétisation des principes du New Deal trouvant, de facto, une application empirique dans les rouages de l’économie américaine, mobilisée alors à plein régime. Le gouvernement fédéral, devant la réussite de cette politique se paie le luxe de ne pas appliquer les dernières réformes du New Deal, malgré une relation de plus en plus tendue avec les salariés au cours du conflit. En fait, il est évident que la guerre a transformé et pérennisé les principes du New Deal.

Laurent ROESCH décrit la période du Home front comme la montée d’un activisme de la population noire et, en parallèle, l’éruption de la violence autour de la question des discriminations, surtout dans le secteur de l’emploi. Certains mouvements mettent la pression sur le gouvernement afin que ces pratiques cessent, notamment dans le monde de l’entreprise. Durant le conflit mondial, la population noire a une attitude pacifique, mais alterne, parfois, avec des pics de violence. Elle mène campagne pour détruire l’ennemi extérieur et participe à l’effort de guerre, mais souhaite également lutter contre l’ennemi intérieur, à savoir le racisme, les préjugés, les discriminations et la ségrégation raciale. Philip Randolph est la figure emblématique de cette contestation. Il menace même le gouvernement de FDR de conduire une marche sur Washington. Malgré tout, des émeutes éclatent, surtout dans les grandes villes.

Julien ZARIFIAN s’intéresse à la politique étrangère de Roosevelt, notamment à l’égard de l’URSS de Staline. FDR, interventionnaliste dans l’âme, considère l’URSS comme incontournable afin d’assoir la paix mondiale et contrebalancer les régimes dictatoriaux. Ainsi, le président américain fait tout son possible pour tenir un dialogue ouvert avec les dirigeants soviétiques durant le conflit, y compris pour reconstruire le futur monde d’après-guerre. Les détracteurs de FDR lui reprochent sa naïveté, son idéalisme, son manque de discernement. Il n’en reste pas mois que durant son mandat, les relations américano-soviétiques furent d’une grande qualité, jamais plus atteinte par la suite.

Article en anglais : Gelareh YVARD-DJANASOUE pense que la présidence de FDR eu un impact considérable sur l’environnement. Les écologistes d’aujourd’hui considèrent comme un modèle l’utilisation des ressources naturelles transformées durant le New deal. FDR, en tant que sénateur, puis comme gouverneur de l’Etat de New York et en tant que président des Etats-Unis a défendu puis donné naissance à des projets phares, notamment pour les parcs nationaux et la gestion de l’eau.

Cécile MANSATI montre que le gouvernement fédéral fut particulièrement actif, dès 1935, dans le domaine de la culture. Il faut démocratiser la culture, faire des Etats-Unis une démocratie culturelle et développer une bureaucratie destinée à servir d’interface entre les citoyens et les productions des artistes et intellectuels. Cette politique, au cœur de la crise économique, est également censée redonner confiance au peuple américain, à définir une identité nationale culturelle en parallèle du modèle européen qui représente, pour bon nombre d’Américains, un exemple dont il faut s’inspirer.

Enfin, Eddy CHEVALIER s’intéresse de près à la First Lady, épouse de FDR dont le rôle fut capital pendant les années où son mari était au pouvoir. Femme brillante, de la très haute société Wasp (White anglo-saxon protestant), elle se révéla être une femme politique qui n’avait rien à envier à nombre de politiciens. Elle a œuvré à faire émerger les minorités du pays et s’intéressa de près à la question noire. Entre des conférences, des interviews, des rédactions d’articles, de discours et de livres, elle montra qu’elle fut une First Lady moderne. Elle s’appuya pour cela sur les médias d’une façon très habile. C’est donc une figure incontournable de l’époque du New Deal.

Il s’agi donc d’un ouvrage de haute tenu, très agréable à parcourir. On retrouvera, en annexe, la fonction de tous les intervenants ayant participé à la rédaction. On ne manquera pas, non plus, d’établir un parallèle entre les années du New Deal et la politique du président Obama. Bien des économistes ont relevé des éléments troublants : renforcement de l’intervention du gouvernement fédéral, investissements massifs auprès des entreprises, des agriculteurs. Extension des systèmes Medicare et Medicaid. Roosevelt reste, dans l’espit de bon nombre d’Américain, comme l’un de leur plus grands présidents, de fait de son énergie, de sa vision politique et de son épouse, une First lady moderne, fer de lance des questions sociales et raciales. Pour autant, le New Deal reste une improvisation économique. Malgré le rôle des agences, des lois votées, cette nouvelle donne resta un mélange de progressisme et de conservatisme. Par sa prudence, Roosevelt reste un conservateur, en phase avec la pensée économique de son temps. Son progressisme peut s’expliquer par sa préoccupation sociale. Il n’en reste pas moins, que, même de manière spontanée, la capacité d’improvisation du gouvernement américain durant ces années de crise déboucha sur une vision nouvelle, modelée il est vrai par les conséquences de la seconde guerre mondiale. Les Etats-Unis d’Amérique que nous connaissons aujourd’hui puisent par conséquent leurs structures économiques et sociales dans les politiques impulsées par le New Deal.