Entre images d’Epinal et légendes noires, Bruno Dumézil s’attache, dans
ce nouvel ouvrage de la collection « expliqué à… » du Seuil, à faire un point scientifique sur ce que l’on a communément nommé, «les barbares».
Bruno Dumézil est un spécialiste français du haut Moyen âge occidental ce qui l’amène à travailler tant sur les Mérovingiens que sur les barbares.
Dans cet ouvrage, Bruno Dumézil, à l’aide des dernières recherches, s’attèle à tracer les contours du monde méconnu de ces peuples barbares.
Barbares, une question de points de vue
Le mot « barbare », à la connotation péjorative, nous vient des Grecs, très peu disposés aux langues étrangères souvent assimilées à une succession de syllabes mal articulées : bar-bar-bar… Pour les Grecs, c’est la langue qui marque la véritable frontière entre la civilisation et la sauvagerie car, elle seule permet de raisonner.
Après la conquête romaine des cités grecques, le latin et le limes deviennent les nouvelles frontières du monde connu.
Cependant les Romains sont plus pragmatiques que les Grecs et l’intégration d’un nouveau territoire au sein de l’Empire offre à sa population, par le biais de la « romanisation », l’accès au monde civilisé.
Ce pragmatisme pousse les Romains jusqu’à payer les Barbares afin de ne pas envahir l’Empire et même à les embaucher comme mercenaires pour protéger le limes…
Ainsi, du Ier au IVème siècle, la romanisation déborde le limes et atteint les peuples dits barbares installés aux frontières. Des barbares qui, grâce à leur talent militaire, sont intégrés à l’empire et deviennent des « barbares impériaux » appréciés par les empereurs car ne risquant pas de les détrôner, n’étant pas citoyens romains…
A la fin de l’Empire romain, la situation est paradoxale, le haut commandement militaire est alors aux mains de généraux barbares.
Les invasions barbares, entre migrations et stratégie romaine
C’est à partir du IIIème siècle que le limes subit les assauts répétés de peuples vivant à l’extérieur de l’Empire, dans le « Barbaricum » et venus piller les riches provinces romaines. Ces premières incursions ont fait naître un sentiment d’insécurité dans l’Empire, des remparts se hérissent autour des villes et des régions sont désertées. Les barbares sont alors recrutés pour repeupler et cultiver les terres abandonnées ou ravagées par la guerre et les épidémies.
La politique des Romains vis-à-vis des barbares n’est pas tranchée comme en témoigne les différents statuts que crée pour eux l’Empire : déditices (barbares vaincus) et lètes (barbares immigrés pour repeupler). Ces installations encouragent donc un phénomène d’acculturation réciproque, plus complexe que la romanisation.
A la fin du IVème siècle, par un jeu de dominos dont l’origine reste obscure, les peuples vivants aux marges de l’Empire, en Asie mineure, se déplacent peu à peu vers l’ouest, poussés par les Huns venus de l’est.
Cependant le flot de migrants est alors considérable et se compte en milliers d’individus. Mais accueillir coûte moins cher à l’Empire que de repousser…
Un nouveau statut est crée pour l’occasion, accordant plus de liberté aux barbares qui conservent ainsi leur roi et leur aristocratie sur un territoire octroyé par l’empereur, devenant ainsi des barbares fédérés. Ces barbares fédérés servant dans l’armée romaine vivent aux crochets de l’Empire qui, lorsqu’il cesse de les nourrir, s’expose à de violentes représailles. C’est le cas en 410 lorsqu’Alaric, roi des Wisigoths s’empare de Rome.
Portrait des Barbares, entre écrits romains et archéologie
Bruno Dumézil s’essaie ici à dessiner le portrait robot des barbares tels que l’archéologie et les écrits romains en témoignent.
On apprend ainsi que les barbares étaient en moyenne plus grand dû à leur régime alimentaire plus riche en produits laitiers ; que leur pilosité n’était pas une norme et qu’ils pouvaient se raser comme s’enduire la chevelure d’une lotion à base de beurre… Ils se sont également fait les promoteurs du pantalon, les braies, adoptées à la fin de l’Empire par les Romains car plus pratique pour combattre.
En matière d’armement, les barbares n’arboraient pas une grande hache à deux lamesIci la couverture de l’ouvrage est curieusement en désaccord avec le propos. Une telle hache, assimilée à la francisque, n’a jamais existé car trop dangereuse à manier… , mais plutôt une francisque, hache courte à simple lame utilisée en arme de jet comme en témoigne les sépultures. L’épée à longue lame forgée dans un alliage souple et solide surclassait largement le glaive court des légionnaires romains et constituait en outre un objet précieux et socialement distinctif tout comme le cheval peu utilisé en combatLe cheval est peu utilisé car les étriers ne sont connus qu’à partir du VIIème siècle. On retrouve ces montures enterrées auprès de leur illustre possesseur. .
Enfin, l’utilisation de fibulesBroches servant à attacher différents pans d’une tunique. raffinées et ornées de grenat permet de nuancer grandement l’image de guerriers sanguinaires, capables de commercer avec le lointain afin de faire venir ces pierres précieuses.
La chute l’Empire romain d’Occident, une lente mort de l’intérieur
La stratégie d’accueil des Barbares en terre romaine a conduit, à moyen terme, à la chute d’un Empire romain d’Occident miné par les crises politiques internes.
La généralisation du statut de fédérés des divers peuples venus de l’extérieur aboutit à une situation paradoxale pour l’empereur d’Occident : il ne contrôle plus que par procuration une grande partie de son empire. Seule l’Italie reste aux mains de l’empereur, ou plus exactement, aux mains de ses généraux barbares…
L’empereur n’est plus qu’un symbole qui garantit encore la cohésion de la partie occidentale et donne une valeur légale à la présence des Barbares à l’intérieur du limes.
Ainsi, en 476, l’Empire romain d’Occident ne devient plus qu’une coquille vide lorsqu’Odoacre, général barbare dépose le dernier empereur et envoie sa couronne à l’empereur d’Orient. L’Italie n’est plus contrôlée par Rome mais par Odoacre devenu roi d’Italie.
Cependant, le prestige et la nostalgie de l’Empire romain persistent et nombre de chefs barbares recherchent encore à obtenir un titre romain auprès de l’empereur byzantin.
La réaction orientale n’intervient qu’au VIème siècle sous Justinien qui entreprend de reconquérir la partie Occidentale de l’Empire.
A partir des années 570, les Barbares abandonnent leur statut de fédérés et constituent des royaumes indépendants.
De l’Empire romain aux royaumes Barbares, entre continuités et novations
Le roi barbare est avant tout un chef militaire quand vient le printemps et le moment de la guerre. Il possède également, comme l’empereur romain, un pouvoir civil qui lui permet de rendre la justice, d’administrer et de frapper monnaie.
Il gouverne à l’aide de fonctionnaires mais aussi d’une assemblée, le plaid, composée des hommes libres du royaume et réunie une fois par an pour discuter des grandes décisions politiques.
Comme l’empereur, le roi barbare est itinérant, même si quelques peuples ont établi une véritable capitale.
Le palais, qui désigne l’administration du royaume regroupe fonctionnaires et serviteurs de la maison du roi. Peu à peu, on observe une confusion entre sphère publique et sphère privée comme en témoigne le rôle de plus en plus influent du maire du palais.
Le roi barbare dirige son royaume par l’entremise d’agents, les comtes, contrôlant des anciennes cités romaines. Nommé par le roi, il a le devoir de rendre la justice, lever les impôts et rassembler les hommes libres pour la guerre. En cas de besoin, il peut nommer des « super-comte », les ducs et envoyer auprès des cités des « missi dominici », rares avant l’époque de Charlemagne.
Cependant, même si les Barbares conservent la trame territoriale de l’Empire romain, le contrôle étatique du royaume est beaucoup plus lâche et les réseaux familiaux occupent les interstices laissés à l’échelon local.
La société barbare, une société d’honneur…
Les royaumes barbares sont considérés par Bruno Dumézil comme des Etats faibles. Les acteurs locaux ont donc peu à peu pris à leur compte la gestion de la sécurité et de la justice insuffisamment assurées par l’Etat.
Cependant, le règlement infra-judiciaire des conflits ne signifie pas forcément société violente. La peur mutuelle des uns et des autres contribue, indirectement, à pacifier la société mais les faides, vengeances privées, subsistent. La guerre, au printemps, constitue alors un défouloir mis à contribution par les rois barbares afin d’exporter les tensions au dehors de la société. D’autres moyens existent pour régler les conflits : payer le wergled, ordonner une ordalie ou organiser un duel.
… régie par une justice privée
La famille barbare, pas si éloignée de celle des Romains
Ici aussi, Bruno Dumézil soutient l’idée de continuité et de ressemblance entre le foyer barbare et le foyer romain. Il s’attarde sur trois caractéristiques : les relations inter-familliales constituent le ciment de la société barbare, la coutume anthroponymique héritée des Germains avait pour but d’affirmer la filiation familiale des individus et donc leur identité au sein de la société et enfin, l’éducation réalisée au sein de la famille et rarement au sein d’institution, sauf le Palais du roi pour les meilleurs sujets du royaume.
La conversion des Barbares, le catholicisme comme nouvelle frontière civilisationnelle
La conversion des Barbares, à la suite des Romains, est autant un acte politique que culturel. Les Barbares se convertissent dans un premier temps à l’hérésie arienne puis dans un second temps, au catholicisme, à partir du VIème siècle à l’image du roi des Francs Clovis.
Bruno Dumézil avance deux explications à cette conversion généralisée des Barbares après la chute de l’Empire Romain. Cette conversion est d’abord politique car elle vise à s’appuyer sur les évêques, maîtres des anciennes cités romaines, afin de renforcer le contrôle territorial de leur royaume. Ensuite, cette conversion renforce la cohésion des populations en opérant une fusion culturelle autour du catholicisme qui remplace le grec et le latin comme nouvelle frontière entre la civilisation et la barbarie. C’est la naissance progressive de ce que l’on a nommé la chrétienté médiévale, c’est dans cette perspective que doit se comprendre le sacre de Charlemagne : la fusion des (anciens) Barbares et des Romains.
Comme souvent dans les ouvrages de cette collection, un message civique y est glissé. Ici, Bruno Dumézil souligne le réemploi, au fil du temps, de l’expression « Barbare » afin de désigner l’étranger qui n’arbore pas les mêmes coutumes, modes de vie ou croyances que soi. Il revient sur la naissance des mots « gothique » et « vandalisme » et s’attarde même sur l’image de « l’homme au couteau entre les dents » du XXème siècle, dénonçant ainsi, à demi-mots, les limites du pluralisme politique de nos démocraties.
En conclusion, Bruno Dumézil tente de susciter la réflexion de deux manières, en reconnaissant d’une part, les limites actuelles de la connaissance historique en ce qui concerne la civilisation des Barbares dans la reconstitution de laquelle l’imagination joue un rôle non négligeable ; et d’autre part, en soulignant les intentions politiques qui sous-tendent le regain d’intérêt pour les civilisations Barbares, à savoir la quête des origines communes des Européens…
Une fois de plus, la collection « expliqué à… » au Seuil publie un ouvrage de qualité mêlant rigueur scientifique, clarté du propos et style vivant. Un ouvrage à la fois pédagogique, instructif et civique, dans lequel Bruno Dumézil s’est attaché à souligner les continuités, les ressemblances entre monde romain et monde barbare plus que les ruptures empreintes de violence et de sauvagerie que nous ont légué légendes et traditions historiographiques, voire politiques…