L’Action Artistique de la Ville de Paris publie un très beau livre sur les grands magasins parisiens d’hier à aujourd’hui. Sous la direction de Béatrice de Angia, déléguée générale de l’action artistique de la Ville de Paris, cet ouvrage rassemble les contributions d’une trentaine d’auteurs venus d’horizons divers (antiquaires, personnels des grands magasins, chercheurs dont Florence BOURILLON, spécialiste de l’histoire des villes au XIX° siècle ou bien encore Guy CHEMLA, géographe de l’alimentation). Cette parution s’inscrit dans le cadre de l’actualité des expositions de la Ville de Paris. D’avril à septembre 2006, se sont déroulées en différents lieux (dont le musée COGNACQ – JAY) quatre expositions sur le thème des « cathédrales du commerce » (cf. Emile ZOLA).
Genèse d’un concept
C’est sous le Second Empire que se développent les grands magasins. Ce mode de commerce a été précédé de signes avant coureurs. Au XVIII° siècle, le Duc d’Orléans, à l’encontre des corporations, fait aménager les galeries du Palais Royal en centre commercial. Cette réalisation remporte un grand succès auprès d’une clientèle de haut rang. Toutefois, cet élan commercial est stoppé par la Révolution Française, qui, même si, par la loi LE CHAPELIER, supprime toutes entraves à la liberté du commerce, bouleverse l’ordre des choses : la clientèle émigre et les commerçants affrontent sans encadrement et aides les difficultés économiques.
Sous la Restauration, un regain commercial notable s’ancre dans les passages couverts (exemple : le passage des Panoramas) avant que ceux-ci soient désertés au profit des magasins de nouveautés qui s’ouvrent (au contraire des passages) sur la ville. Pour la première fois, les magasins de nouveautés vendent des produits (des tissus essentiellement) à prix fixe, au fil des saisons et de la mode.
S’appuyant sur des sociétés anonymes, les grands magasins se développent à la fin du XIX° siècle. Ils renouvellent le genre. Plus grands, ils offrent un éventail très large de produits, utilisant de nouvelles méthodes commerciales (promotions, réclames, manifestations mondaines et culturelles). Le grand magasin est issu du magasin de nouveautés. Il répond aux besoins combinés d’une augmentation du marché de la consommation, à la diversification de la demande et à la place croissante de la mode. On doit l’appellation Grands Magasins à la boutique de nouveautés Au Louvre (Rue de Rivoli) qui prend l’appellation Grands Magasins du Louvre quand le Bon Marché, magasin de nouveautés, lui aussi au départ, prend son envol dans les années 1860.
Un espace nouveau
L’aménagement des grands magasins est rendu possible par les grands travaux d’HAUSSMANN qui libèrent de l’espace et ouvrent des perspectives pour la construction de vastes édifices dédiés au commerce. C’est grâce au génie combiné d’architectes et d’entrepreneurs (BOUCICAUT et BOILEAU pour le Bon Marché) que ces « cathédrales du commerce » s’imposent dans la ville. L’aspect théâtral des Grands Magasins l’emporte. Ces premiers temples de la consommation sont conçus comme des scènes. Ils se distinguent sur les boulevards par leur rotonde ou leur pan coupé. A l’intérieur, la verrière apporte la lumière du jour que complète l’éclairage au gaz ou à électricité. Les points de vue sont multipliés grâce aux escaliers d’apparat et aux galeries. Les contemporains comparent ces édifices au phalanstère de FOURIER.
La proximité des gares est privilégiée dans l’implantation des Grands Magasins. Ceux qui ont cru en ce nouveau moyen de communication ont su profiter de cet atout pour développer leur commerce. L’aménagement du RER en 1965 (station AUBER) est d’ailleurs l’objet d’âpres négociations quant à la localisation des sorties. Le Printemps et les Galeries Lafayette prennent en charge une partie des travaux afin de bénéficier de sorties qui leur soient dédiées.
L’avènement des Grands Magasins s’accompagne de celui d’une nouvelle classe sociale : les employés. Les statuts très divers dominent entre eux, aujourd’hui encore : personnel stable ou permanent ; démonstrateurs, salariés des grandes marques ou vendeurs internes… Le XIX° siècle voit la mise en place, chez certains Grands Magasins (cf. œuvre de Madame BOUCICAUT au Bon Marché), d’une politique sociale qui s’apparente au paternalisme des grandes entreprises industrielles (restauration des personnels, logements des employés, unions sportives, retraites, aides financières, crèche, hôpitaux…).
Le XX° siècle voit la diffusion du Grand Magasin en province. Par le système de la franchise, les Nouvelles Galeries s’installent dans de nombreuses villes de province.
Toutefois, avec l’émergence de la société de consommation sous les Trente Glorieuses, les Grands Magasins marquent le pas. La périphérie des villes se développe, sous l’action conjuguée de l’usage de l’automobile et l’installation d’hypermarchés et de grandes surfaces spécialisées (mobilier, culture, électroménager, informatique…). Incapables de s’aligner sur les prix de la grande distribution, les Grands Magasins font le choix de mettre en avant la qualité, le haut de gamme et le service à la clientèle. Une « sélection naturelle » se fait alors. Aujourd’hui, il ne reste plus que trois groupes : le Bon Marché, le Printemps et les Galeries Lafayette.
Ce livre est une vraie mine pour qui s’intéresse aux Grands Magasins et au XIX° siècle en général. Il bat en brèche les idées reçues, souvent fondées par la publicité des Grands Magasins, eux-mêmes. L’entrée libre, le prix fixe, l’échange des articles se pratiquent déjà dans les magasins de nouveautés. Ces méthodes n’ont pas été inventées par le Bon Marché, comme le revendiquait Aristide BOUCICAUT. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ces mêmes idées reçues figurent dans certains articles contenus dans le livre ! La lecture d’articles divergents sur un même sujet est d’ailleurs assez amusante ! Il faut sans doute chercher l’explication dans le fait que certains auteurs ne sont pas historiens. Par leur implication professionnelle, ils tendent à l’hagiographie dans leur article. Les fondateurs des Grands Magasins sont présentés comme des « self made men » doués d’un nombre incalculable de qualités, au-delà de leur esprit d’entreprise avéré. Ces travers rappellent, à juste titre, à quel point la méthode historique demande de la rigueur.