L’histoire diplomatique n’a pas pour unique objet les interactions entre les États. Elle place aussi sous sa loupe les agents chargés d’entretenir leurs relations. Le monde supérieur des ambassades n’a pas seul capté le regard historiographique. Le tissu plus modeste du personnel consulaire est désormais bien connu lui aussi. Réunissant les actes d’une journée d’études organisée en 2014 à l’université de Nantes, ce recueil coordonné par Fabrice Jesné a pour objectif d’éclairer le rôle de ces opérateurs diplomatiques et commerciaux secondaires, dotés d’une précieuse polyvalence, en tant que rouages de la présence française à travers le monde. Ce thème a le mérite de souligner leur situation de médiateurs dans la mondialisation qui s’amorce aux XVIIIe et XIXe siècles.
Soigneusement mises en perspective par une synthèse introductive, neuf études de cas projettent ainsi du nord au sud, du levant au couchant, différentes incarnations individuelles, collectives, institutionnelles et réflexives de la charge consulaire. De leur variété se dégage pourtant une évidente complémentarité. L’appropriation étatique de la fonction consulaire, d’origine commerciale, coïncide avec l’élargissement de ses missions et la dilatation de sa cartographie, qui manifestent l’adaptation des antennes diplomatiques de la France aux progrès de la globalisation. Le berceau méditerranéen et portuaire originel du dispositif consulaire se disperse géographiquement et se continentalise. La diversification des services assurés par ses agents forge une homogénéité des usages et aboutit à la constitution d’une corporation d’employés publics en voie de fonctionnarisation. L’évolution sociologique du personnel et l’élaboration d’un parcours de carrière consulaire traduisent ainsi la montée en puissance de la tutelle régalienne, encore émergente au XVIIIe siècle et définitivement assise dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Administrateur et observateur protéiforme, le consul est d’abord un acteur de terrain. Son rôle est de protéger les intérêts français tant individuels que nationaux. La besogne courante d’intermédiation commerciale, la médiation et le soutien en faveur des ressortissants français, la fonction juridictionnelle et contentieuse nécessitent des compétences techniques, ainsi qu’une bonne insertion et un entregent local. Le consul doit aussi mettre en œuvre, à son niveau, la stratégie de rayonnement étatique de la métropole. Active vigie de la circulation de l’information et sentinelle avancée de la diplomatie commerciale, il entretient une abondante correspondance avec les bureaux parisiens. Tout cela sans s’oublier lui-même : il a des intérêts privés et des avis à faire valoir, et compte sur l’appui d’un bon réseau de recommandation pour favoriser et faire avancer sa carrière !
Les contributions associées par ce volume illustrent la diversité des figures et des pratiques consulaires. Sylvain Lloret démontre l’importance stratégique du poste consulaire de Cadix, charnière du commerce colonial avec les Amériques et débouché majeur du négoce français au XVIIIe siècle. Éric Schnackenbourg ressuscite la figure originale du premier consul de France en Russie, Henri Lavie, et son rôle de défricheur des mystères de la « Moscovie ». François Brizay présente l’activité de collecte du renseignement politique et militaire sur les conflits méditerranées et balkaniques réalisée par les consuls français à Naples et en Sicile au début du XVIIIe siècle. Gérard Poumarède décrit le discours de légitimation, notamment historique, du statut et de la fonction de consul produit par une série d’ouvrages savants édités entre 1790 et 1839, dont la maturation intellectuelle correspond à son incorporation institutionnelle au corps diplomatique. Vibrent ensuite en résonance les figures insolites mises en valeur par Claire Laux et Alain Messaoud. La première dépeint la singularité de la présence consulaire française dans le Pacifique au milieu du XIXe siècle et le rôle joué par les agents atypiques qui l’incarnent, avant qu’une professionnalisation de la fonction ne normalise profils et comportements. Le second évoque le parcours du pittoresque consul Léon Roches, auxiliaire de la colonisation en Afrique du Nord et fanfaron littéraire. Didier Poton brosse le contexte de création de la chambre de commerce française de Montréal en 1885 et le rôle joué par le consul général Georges Dubail dans cette fondation. Gérald Sim analyse le déploiement et l’évolution des missions et du personnel affecté au réseau consulaire français aux États-Unis au cours du XIXe siècle. Enfin, Luc Chantre fait ressortir le rôle clé des consuls français à Djeddah dans l’organisation coloniale du pèlerinage à La Mecque des indigènes de l’Empire français.
L’ensemble dresse un tableau intéressant et varié qui affine la compréhension de cette fonction en équilibre entre les intérêts particuliers et ceux de l’État. Il en ressort à quel point les consuls sont des êtres multiples, tout à la fois agents commerciaux, agents diplomatiques, agents de renseignement et agents d’influence.
© Guillaume Lévêque