Les presses Universitaires de Rennes réunissent dans cet ouvrage les contributions des spécialistes de l’histoire militaire de cette fin de règne. L’approche choisie évite l’écueil de l’histoire bataille et du récit traditionnel des guerres. L’ouvrage aborde quatre thématiques : celle des reconfigurations géostratégiques, la question des combats comme celle des campagnes, avant de se terminer par le regard porté sur les guerres et la guerre durant cette période
Une place spéciale est réservée à John Lynn. L’historien américain, auteur de Giant of the Grand Siecle, the French Army 1610-1715, ouvrage qui fit date dans l’étude des armées royales. Celui-ci se livre à un exercice intéressant d’égo-histoire sur la genèse de son ouvrage, sa démarche et son parcours d’historien militaire. Une contribution originale qui est aussi l’occasion pour lui de revenir sur certains des points de son livre qui ont fait débatReconfigurations stratégiques
C’est sous ce titre que sont regroupées les trois premières contributions de l’ouvrage. Jean Philippe Cénat se livre à une analyse de chacun des théâtres d’opération des conflits : espagnol, italien, rhénan et Pays-Bas. Les contraintes logistiques de l’époque empêchent toutefois le royaume de profiter de sa position centrale pour transférer rapidement des troupes d’un front à l’autre. La frontière des Pays-Bas, de par sa proximité immédiate avec la capitale apparaît comme le théâtre prioritaire, une percée sur ce front et l’ennemi approche de Paris. La densité de places-fortes rend cependant celle-ci fort illusoire. Mais la proximité permet aussi au souverain de donner plus facilement et plus directement ses instructions aux généraux qui opèrent sur ce front. De par la présence du Rhin et de la Forêt Noire, le théâtre allemand rend difficile toute offensive décisive, aussi resta-t-il secondaire. Le front italien offre plus de perspectives, surtout si l’on peut maintenir l’armée au-delà des Alpes durant l’hiver. Mais les conditions d’une offensive importante ne furent jamais remplies ou bien le furent lorsque des généraux peu capables étaient à la tête de l’armée. Enfin, le front espagnol changea de nature avec la guerre de Succession d’Espagne. De combats frontaliers près des passages pyrénéens, il devient un lieu majeur d’affrontement qui profita aux Bourbons.
Eric Schnakenbourg replace les conflits français dans le contexte des transformations de l’Europe du Nord. Alors que la France avait jusqu’alors joué un rôle diplomatique important dans cet espace, elle s’en trouve désormais largement exclue. La montée de la puissance russe capte largement l’attention des Suédois et débouche sur la Grande Guerre du Nord (1700-1721). La France ne peut utiliser la Suède dans le cadre d’une alliance de revers, il va lui falloir s’adapter à l’émergence de la puissance russe.
Enfin, Philippe Hrodej dresse un bilan naval et colonial de la fin du règne de Louis XIV. La marine sort épuisée du conflit, elle finit en servant de variable d’ajustement. Les piètres résultats de ses escadres s’ajoutant aux contraintes financières, le recours à la course s’impose comme plus rentable. Celle-ci a un coût moindre, car partagé par le privé, et de plus elle peut ramener de l’argent aux finances royales tout en affaiblissant celles de l’adversaire. Cela permet également de maintenir l’activité des arsenaux. Sur le plan colonial, la faiblesse démographique des colonies françaises d’Amérique ne permet pas de les défendre efficacement. Tandis que les renforts venus de métropole ne supportent guère les contraintes de ces campagnes. Il faut donc compter sur la milice, notamment aux Antilles. Les rares opérations navales menées dans ces eaux mobilisent peu de moyens et sont plus proches de raids de pillage qu’autre choseCombats et campagnes.
Ces deux aspects qui sont au cour des guerres font l’objet des parties centrales de l’ouvrage. Jamel Ostwald s’intéresse aux raisons qui auraient fait préférer les sièges aux batailles rangées. Une situation à fortement nuancer pour ce qui est de la guerre de Succession d’Espagne dans laquelle le roi incita ses généraux à livrer bataille. L’occasion pour l’auteur d’analyser et de discuter des raisons qui feraient éviter la bataille. Celle-ci est trop souvent présentée comme pouvant être décisive sur le plan militaire en cas de victoire, alors que c’est sûrement l’impact politique d’une défaite qui est le plus craint. Le caractère indécis de la bataille conduit le souverain à ne l’envisager que lorsque l’on n’a pas le choix (pour éviter la perte d’une place) ou lorsque toutes les circonstances favorables sont du côté de son armée mais encore faut-il que l’adversaire accepte le combat.
Changement d’échelle avec Clément Oury qui nous place au cœur de la bataille et s’interroge sur la perception de celle-ci par les participants. Un environnement sensoriel particulier compte tenu de la diversité des uniformes, de l’ampleur de la fumée, des bruits et des victimes… Des situations d’exposition à la violence d’ampleur inédites jusqu’alors qui exigent une grande discipline mais n’excluent pas des cas de paniques collectives aux conséquences désastreuses comme à Ramillies. Le sort des vaincus n’est pas le même lors des batailles ou lors de reddition comme le montre Paul Vo-Ha. La reddition des places fortes demeure encadrée par des règles respectées, au point que parfois que le roi va mettre en accusation certains de ces officiers de se rendre trop facilement pour en bénéficier. Ce n’est pas la même chose lors d’une prise d’assaut ou d’opérations de petite guerre. Encore moins lors des opérations dirigées contre les Camisards ou lors du sac du Palatinat.
Le rôle des différentes armes sur le champ de bataille peut se révéler déterminant. Boris Bouget montre le retard tactique et technique de l’infanterie française. La France tarde à remplacer le mousquet et la pique par le fusil et la baïonnette. Le coût de la mesure comme les réticences des officiers en sont la cause. L’infanterie française se distingue aussi par son retard pris à pratiquer le feu de peloton plutôt que le feu de rang lors des tirs. Pourtant, au final, compte-tenu des faibles performances techniques et de l’usage parfois déterminant d’une charge à la baïonnette, ces handicaps ne pèsent guère dans le résultat final. Spécialiste de la cavalerie, Frédéric Chauviré montre les évolutions importantes que connaît celle-ci. Qu’il s’agisse de son rôle sur le champ da bataille lui même, sa capacité de choc qu’en dehors de celui-ci lors des opérations de reconnaissance, de couverture ou de petite guerre. On voit se développer de nouveaux corps de troupes comme les hussards ou des dragons.
Les campagnes du duc de Vendôme en Italie sont étudiées par Fadi El Hage. Comme le montre l’auteur, les contemporains portèrent des regards très opposés sur cet officier, entre détracteurs et admirateurs. La réalité des campagnes montre un général surtout soucieux de sa promotion, qui évite de prendre des risques et laisse passer au final de belles opportunités. Chanceux cependant car c’est son successeur qui en paie les conséquences. Si les campagnes font souvent l’objet d’études, c’est à un objet plus insolite que s’intéresse François Royal, le rôle des quartiers d’hiver. Ceux-ci sont trop souvent présentés comme une période d’inactivité entre deux campagnes. Pourtant, leur rôle ne se résume pas qu’à permettre aux armées de reconstituer leurs forces et leurs magasins ou à laisser les diplomates négocier. Le choix de mener des opérations sur les lignes de ravitaillement de l’alliance durant l’hiver 1711-1712 impacte directement l’ouverture de campagne qui suit. La victoire de Denain découle directement des choix de lignes logistique simposés suite à ces quartiers d’hiver.
Regard sur la guerre
Ceux-ci ne sont pas les mêmes selon les belligérants et les évènements. Le sac du Palatinat demeure un des ces moments sur lequel contemporains comme historiens se sont abondamment penchés. Emilie Dosquet analyse la manière dont celui-ci a pu être justifié ou au contraire présenté comme contraire à un droit de la guerre en cours de définition. Une étude qui montre comment les périodiques sont déjà utilisés comme instruments de propagande à destination d’une opinion publique naissante. Il en est de même des représentations du roi très chrétien critiqué par ses ennemis au moyen de gravures, principalement originaires d’Angleterre ou des Provinces-Unies. Isaure Boitel montre que celles-ci répondent à des thématiques différentes selon le lieu de production. Celui-ci apparaît ainsi sous représentation aussi diverses que celle de l’oppresseur papiste à celle du turc d’occident en passant par le fidèle serviteur de Satan. Les analyses des oeuvres reproduites dans l’ouvrage démontrent ainsi les ressorts de l’argumentation des ennemis de la France Louis quatorzième.
Enfin, Bernard Fonck se livre à une étude des tableaux représentant les guerres de la fin du règne. La période est moins riche en œuvre que la précédente, à la fois pour des raisons économiques mais également en raison de l’absence du roi sur les champs de bataille. On peut cependant y distinguer des évolutions dans les représentations entre un van der Meulen ou un Parrocel.
En conclusion
C’est à Thierry Sarmant que revient la conclusion sur les apports de cette fin de règne. Si l’impact sur les effectifs et les finances est généralement connu. Celles-ci modifient cependant la place de l’officier et de l’armée dans la nation. Tandis que dans un pays épuisé par les guerres le modèle guerrier marque le pas devant els aspirations à la paix.
Au final un ouvrage dense, au contenu diversifié qui mêle considérations tactiques et stratégiques et historie de l’art. L’occasion de découvrir des auteurs moins connus qui méritent d’avoir une meilleure exposition de leurs travaux.
Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau