Paul Verdier, spécialiste des mythes celtes et Georges Bertin socio-anthropologue viennent nous livrer une étude assez didactique sur la fonction des druides au coeur de la société celtique. Tour à tour juriste, conseiller, à la fois versé dans les mathématiques et l’astronomie, le druide, par son altérité, tranche avec ses contemporains. Figure hiératique et respecté, il donne des repères dans le temps par le biais d’un calendrier basé sur le calcul des astres.
VOUS AVEZ DIT DRUIDE ?
Il semblerait que le terme de druide soit un nom générique et recouperait, pour ainsi dire, nombre de fonctions exercées au sein de la société celtique : prêtre ; conseillers ; juges. Pas facile pour autant de trouver une définition exacte. Pline le Jeune (61 – 114 ap J.C.) tenta, dans ses Histoires naturelles, d’en dresser un portrait robot. Il en ressort que le terme de mage, au sens étymologique de savant, soit un personnage spécialisé dans l’astronomie et dans la mathématique. Mais pas seulement. Cela implique également que l’individu dénommé ainsi est versé dans la science de la divination. Or, un terme complémentaire à celui de mage pourrait expliquer la genèse du mot druide. Celui de Drew, signifiant être solide, résistant. C’est de lui qu’est dérivé le grec drûs ; c’est encore lui que l’on trouve dans l’anglais trust (faire confiance) ou encore l’allemand treue. Les druides seraient ainsi les « druvides », nommés ainsi car ils savent beaucoup. La multiplicité des sources et de la linguistique projettent donc l’image du druide comme celle d’une figure hors du commun, sacrée, car c’est celle qui « sait ». Le druide est, par conséquent, un personnage respectable et respecté. Et du savoir à l’art de la divination, il n’a y qu’un pas à franchir. Car il semblerait bien que la fonction principale des druides est celle d’enseigner. On se rend compte, dès lors, d’une possible gradation dans la hiérarchie des « savants » : le troisième rang est centre sur l’acquisition des savoir pour débutants. Cette fonction permettrait ainsi de renouveler la caste presbytoriale. Le second rang se déterminerait, pour sa part, à vulgariser les connaissances acquises depuis des générations à destination du peuple. Enfin, le troisième rang fait fonction autant de conseiller royal que celui du grand prêtre. Il est donc un personnage sage qui fait autorité.
PLACE DANS LA SOCIETE
La place des druides dans les sociétés celtiques semble avérée dans les derniers siècles précédent l’ère chrétienne. Cette approximation chronologique laisse néanmoins perplexe. Les sources sur lesquelles s’appuient les auteurs restent somme toutes assez rares, hormis l’incontournable George DUMEZIL et son étude sur les Mythes et dieux des Indos-europééens ou encore Louis PRAT, sur les mœurs, civilisations et idéologie des Indos-européens. On aimerait en savoir plus car les démonstrations et la justification des sources restent, parfois, éthérées. Ce que l’on peut retenir c’est que les druides sont autant des juristes que des savants. Et ce sont eux, en particulier, qui sont chargés de gérer le calendrier. Or, le calendrier a pour fonction de gérer le temps, fondement même des religions. Mais pour quoi faire ? Poser des repères, des jalons pour le peuple afin de faire cohabiter le temps des dieux, intemporel et inatteignable avec celui des hommes, plus approximatif. C’est la grande affaire des druides. Ils ont pour tâches d’interpréter les signes du divin. Il faut en chercher le fondement dans l’essence même des dieux, intemporelle et inatteignable. Et celle des hommes dont la finitude est connue avec certitude. Etudier le temps de façon scientifique en élaborant un calendrier s’avère être une quête quasi infinie tout autant qu’une exigence religieuse. Plus la mesure sera précise, plus l’homme pourra inscrire, dans un calendrier, la compréhension des actes divins. Et, en ce sens, les druides sont les intercesseurs essentiels entre les dieux et les mortels.
DE L’ORIENTATION DES TEMPLES
Du rythme du calendrier à des fins divinatoires à l’orientation des temples, il n’y a qu’un pas. Le principe d’orientation des constructions sacrées serait issu du monde indo-européen. Certains archéologues date de la XIXème dynastie égyptienne, soit vers 1300 ans avant J.C. l’apparition de ce phénomène. Sur près d’un millénaire, cette organisation spatiale se diffuse dans le bassin méditerranée, ainsi qu’en Europe occidentale. Ce qu’il faut retenir est que l’insertion du bâtiment religieux, dans le paysage, ne se fait pas au hasard. Il se fait essentiellement par l’intervention de la lumière qui pénètre dans l’architecture du bâtiment. C’est aussi le prêtre qui passe commande de la construction du temple et détermine l’implantation de l’édifice. Outre le positionnement géographique, il faut y associer le nom d’un dieu qui y sera prié et la date de sa théophanie. Ce sont ici deux éléments essentiels sans lesquels la construction ne peut avoir lieu. On apprend que le maître d’œuvre donne sa préférence quant à l’orientation du monument : on l’oriente ou bien on l’occidente. D’ailleurs ne dit-on pas que, pour se diriger ou se repérer dans l’espace, on s’oriente ? Si on oriente, il faut s’enquérir de la direction du lever du soleil au matin même de la fête patronale choisit pour l’édifice. Il faut donc bien avoir à l’esprit que la lumière des astres errants pénétrant dans l’édifice possède une double signification : celui du pèlerinage, seulement possible à une certaine date du calendrier qui permettra la rencontre entre le pèlerin et son dieu ; celui de la sacralisation du monument du sacrifice le jour annuel du pèlerinage. Que faut-il en retenir ? L’édifice cultuel est destiné à recevoir, une fois par an lors d’une date fixe, le retour du Christ (Parousie) et qui doit se produire depuis l’Orient. C’est le cas tous les 25 juillet, comme par exemple lors du pèlerinage à l’église Saint-Jacques de Compostelle. Et cette notion de pèlerinage n’est pas l’apanage du christianisme. Il en était de même dans l’Antiquité païenne pour l’Apollon de Delphes, pour Dionysos, pour Osiris l’Égyptien ou pour les dieux celtiques. Même le mouvement monachique chrétien orienta ses bâtiments cultuels vers le IXe siècle de notre ère. Enfin, Saint-Basile, au IVe siècle après J.C. consacra (si j’ose dire) le principe d’orientation des églises en tradition apostolique.
Un ouvrage atypique et intéressant car on touche aux frontières du transcendantal et des prémices de la religion au cœur de la société celtique. Force est de constater, par ailleurs, que le christianisme s’est emparé du druidisme en imposant « son » calendrier, ce qui permet de structurer la société et justifier la place de chaque individu dans le continuum social. Expliquer l’inexplicable et les raisons qui sous-tendent la geste divine, tels sont les rôles assignés aux druides.