Cet ouvrage, le troisième d’une équipe de recherche du Laboratoire Mixte International de rechercher MOVIDA1 sur les migrations et le Burkina Faso, montre les réalités des migrations intra-africaines : diversification des parcours et des stratégies migratoires, enjeux sociaux et politiques pour les pays d’accueil comme pour les pays de départ, effet ou non des crises (crise électorale ivoirienne, crise libyenne, violences djihadistes) sur l’envie et les motivations du départ2.

Sihé Néya3 analyse les migrations des Ivoiriens vers Ouagadougou, une émigration économique, de travail à rebours des mouvements classiques des Burkinabé vers la Côte d’Ivoire. L’auteur choisit les relations entre Ivoiriens nouvellement arrivés au Burkina Faso qui est devenu leur premier pays d’accueil après la France, et les Burkinabé de retour au pays après des années passées en Côte d’Ivoire, deux populations qui, de fait, partagent bien des traits culturels ce qui facilite l’assimilation des migrants ivoiriens. L’auteur étaye son raisonnement grâce à deux enquêtes (2011-2016 et 2018-2019) et met en évidence l’importance des réseaux familiaux et amicaux mais aussi les opportunités économiques qui à l’occasion d’un voyage invitent à la migration.

Deux articles portent sur les migrations vers le Ghana, elles sont anciennes, précoloniales ce qui détermine à la fois le maintien de la tradition des chefferies évoquées par Saydou Koudougou et le dilemme de la nationalité traité par Serge Noël Ouedraogo.

Saydou Koudougou4 analyse un exemple de transposition d’une tradition burkinabé : la chefferie Moose5 dans les quartiers de migrants au Ghana, terre d’accueil. Cette tradition est reconstruite car utile comme témoin de cohésion sociale, lien de socialisation, élément d’autorité, un phénomène qui n’est pas nouveau, il existait déjà à la fin du XIXe siècle, et il est reconnu par les autorités administratives. Ces chefferies se rattachent aux lignages royaux comme le montrent les questions de succession.

Serge Noël Ouedraogo6 étudie la question de la nationalité chez les Burkinabé du Ghana de 1957 à nos jours. La position officielle des autorités coloniales britanniques puis ghanéennes a oscillé entre acceptation ou refus de l’étranger, favorable aux migrants jusqu’aux expulsions de 1969 puis de nouveau ouverte après 1972 en raison d’une pénurie de main-d’œuvre quand dans le même temps que la Haute-Volta puis le Burkina Faso n’a pas de véritable politique de gestion de la diaspora. Depuis 2000 la question est dominée par la nouvelle politique ghanéenne de la double nationalité. l’auteur analyse les positions des migrants et leurs enfants. Il constate une prise de distance des plus jeunes qui se sentent Ghanéens et renonce à la nationalité burkinabé contrairement à leurs parents.

Mouoboum Marc Méda étudie le rôle novateur des migrants burkinabé de l’Est du pays dans l’agriculture au Bénin où ils représentent 5 % de la population active. L’étude porte sur quelques villages dont l’auteur décrit les réalités géographiques (pluviométrie, situation foncière, système agricole). Il analyse les conditions d’accès au foncier pour les migrants et leurs apports techniques, les choix qui leur permettent de surmonter les contraintes : cultures associées au niébé, introduction de la culture du sésame, rotation des cultures, développement de la commercialisation de la production. L’auteur constate la diffusion de ces innovations au sein de la population béninoise avec une réinterprétation : l’introduction du coton dans la rotation des cultures.

Élargissant le point de vue le géographe Edmond Sougué interprète l’évolution récente (2012-2014) des espaces transfrontaliers de la CEDEAO par une analyse multiscalaire : des populations frontalières au niveau local aux migrations internationales. Après un rappel historique des mobilités dans le pays Sénoufo (l’ouest du Burkina Faso, le sud-est du Mali, le nord de la Côte d’Ivoire (carte p. 121), un espace rural à fort potentiel agricole et quelques grandes villes : Sikasso (Mali), Korhogo (Côte d’Ivoire), Bobo Dioulasso et Banfora (Burkina Faso). Les mobilités frontalières sont une constante régionale : des liens socio-culturels anciens, des échanges de marchandises et de services (terminal fruitier de Bobo Dioulasso, marché au bétail transfrontalier de Niangoloko. Ces mobilités recouvrent des temporalités diverses que l’auteur met en système (schéma p. 131).

Si les Etats de la CEDEAO ont fait le choix de la liberté de circulation, les frontières sont aussi un enjeu de construction nationale. L’auteur présente les pratiques qui visent à contourner les contrôles douaniers mais cette situation se trouve aujourd’hui plus complexe du fait de la menace du terrorisme transnational islamique qui vient remettre en cause le principe de libre circulation, difficultés renforcées par la politique européenne qui vise à transférer aux Etats africains le contrôle des flux migratoires vers l’Europe.

Sadio Soukouna7 illustre cette question avec la situation des réfugiés maliens au Burkina Faso et des camps qui ont été installés sous l’égide du HCR. L’auteure analyse, à partir d’entretiens, les trajectoires des migrants, leurs stratégies pour sortir des camps et s’intégrer au monde urbain. Elle montre le rôle des solidarités communautaires et les différences qui existent en fonction des ethnies.

Sylvie Bredeloup8 pose la question de la Libye, « terre d’écueil » ? On 2019 on évaluait à 660 000 le nombre de migrants présents dans le pays. Elle constate que le retour des migrants refoulés et la situation très difficile n’ont que peu d’effet sur les projets de départ. Elle rappelle les réalités de ces migrations depuis les années 1990 : violences, possibilité ou non de se déplacer en Libye, profils et emplois potentiels des migrants.

La dernière contribution, signée Yacouba Ouedraogo9 dresse un portrait des diplômés arabophones et leurs difficultés à trouver un emploi dans l’administration burkinabé. Les migrations d’études vers le monde arabo-musulman sont anciennes, l’auteur montre quelques exemples des relations privilégiées avec l’Egypte. Il présente un certain nombre de parcours d’étudiants depuis les années 70 et les difficultés croissantes depuis les années 90 qu’il met en relation avec les Programmes d’Ajustement structurels du FMI.

Un ouvrage qui permet un regard diversifié sur les migrations burkinabé.

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1   Mobilités, Voyages, Innovations et Dynamiques dans lesAfriques méditérranéenne et subsaharienne : https://movida.hypothèses.org

2   Remarque préliminaire : je respecte le chois des auteurs de ne pas les accords de genre et de nombre pour les termes africains ex les Burkinabé

3   Géographe, Université Paris 1

4   Université  Ouaga 1 Joseph Ki-Zerbo

5   Moose ou Mossi

6   Historien, Université de Ouagadougou 1

7   Politiste, chercheure à l’IRD

8   Directrice de recherche à l’IRD

9   Chef du département histoire et archéologie de l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou