Les tubes de l'été

On aurait pu croire que cet ouvrage faisait partie de ces lectures faciles un tantinet rétro destinée aux quinquas ou aux quadras qui se rappelleraient pour les vacances les flirts de l’été de leurs seize, dix sept ans et on se retrouve avec un vrai livre d’Histoire de France traitant de la période 1956-2006.

Certes diront de doctes universitaires pour qui le journalisme est une sorte de maladie honteuse qui condamne à la superficialité, l’angle n’a rien d’académique. Les tubes de l’été ne sont pas de grands textes et beaucoup d’entre eux n’auraient pas l’idée incongrue de les présenter en études de documents dans leurs groupes de TD. Je soupçonnerai même des enseignants du secondaire de penser de même et de trouver que pour expliquer la cinquième république en terminale rien ne vaut un bon petit discours de Bayeux de derrière les fagots, à moins que la déclaration du quatre septembre 1958 place de la république ne les mette en pâmoison. Et bien, tant pis pour eux. Cet ouvrage qui se lit mais aussi s’écoute (CD fourni avec les 50 tubes) avec un rare bonheur est aussi un livre majeur.

Décliné en cinquante tubes qui correspondent à cinquante années ce livre est beau tout simplement. Une belle jaquette avec rabats et une jolie pile de pochettes de galettes sur fond de sable qui évoquent inévitablement les vacances. Mais me dira-t-on, tout cela ne fait pas encore l’Histoire.

Un moment je vous prie, laissez moi commencer par l’année de ma naissance et cette chanson de Dario Moreno dont on pourrait se passer. Et bien, elle raconte cette chanson les états d’âme d’un petit soldat croyant en 1956, parce que les Français ont donné une majorité à un gouvernement du Front républicain que la guerre (d’Algérie) dont on ne parle pas dans la chanson est finie. « Ma seule victoire est d’avoir gagné son cœur » déclare Dario Moreno qui conclut « Rien ne vaut une blonde pour vous faire aimer la vie »…

Ça y est, vous commencez à comprendre ? Allez, encore une couche sur ce millésime 1956, excellent croyez moi… Mettez sur cette double page la première plaquette de pilule contraceptive mise au point par Grégory Pincus et John Rock la couverture du roman de Romain Gary les racines du ciel, une petite chrono de l’été 1956 avec la nationalisation du canal de Suez en juillet et la mort de Brecht en août et vous avez déjà du matériau d’histoire y compris dans la trajectoire de Dario Moreno, de son vrai nom David Aruget né à Izmir d’une mère mexicaine et d’un père turc, orphelin très jeune et élevé par les structures juives de son quartier…

Pas mal non ? De quoi faire passer un certain nombre de petites choses et pas besoin des TICE pour ça… Quoique on peut imaginer aussi une petite recherche sur le net sur Romain Gary et même de l’interdisciplinarité avec les SVT sur les œstrogènes de la pilule contraceptive. On respire !

Pas assez TICE mon gars me dira-t-on…

Mais si coco ! D’ailleurs dans la belle de Cadix, un autre tube mais d’avant 1956 puisque l’opérette de Francis Lopez date de 1945, Luis Mariano chante :

La Belle de Cadix a des yeux langoureux/
La Belle de Cadix a beaucoup d’amoureux/
Juanito de Cristobal/
Tuerait bien son rival/
Un soir au clair de lune !/
Et Pedro le matador/
Pour l’aimer plus encor’/
Donnerait sa fortune !/
Mais malgré son sourire et son air engageant/
La Belle de Cadix n’a jamais eu d’amant !/
Tice ! Tice ! Tice ! Ay ! Ay ! Ay !/
Tice ! Tice ! Tice ! Ay ! Ay ! Ay !/
Tice ! Tice ! Tice ! Ay ! Ay ! Ay !/
N’a jamais eu d’amant !/

Trêve de plaisanterie passons quant même aux choses sérieuses en 1959 et cette belle chanson de Guy Béart l’Eau vive. Déjà le développement durable me dira-t-on frétillant comme un goujon dans l’eau claire ! Point du tout répond l’ignorant ce n’est que chansonnette. Et bien non… C’est bien de développement durable que le film (Hortense ou l’eau vivre) dont le tube de Béart est la chanson, traite indirectement. Drame paysan pour Jean Giono mais surtout film consacré à l’aménagement des barrages dans la vallée de la Durance. Et bien ce tube est une belle histoire où la modernisation s’affronte à un mode de vie. Cette année là la poupée Barbie naît à New York de la patte des créateurs Harold Mattson et Elliot Handler… de quoi dire un certain nombre de petites choses sur l’image des femmes et la société qui produit cette créature symbole à 351 000 exemplaires pour le premier été. Cet été là aussi Boris Vian qui détestait les tubes mourrait à l’âge de 39 ans…

Alors me direz-vous 1968 dans tout ça, même si parfois on pense que c’est la cause de tous nos maux passés, présents et à venir. Et bien Claude François répond, de façon désespérée comme d’habitude… Elle est terrible cette chanson, comme les chenilles des chars écrasent le printemps de Prague le 20 août 1968. Dans l’euphorie des utopies collectives cette mélodie rappelle finalement que l’on est souvent seul, même à deux. Comme d’habitude.

Allez, encore une évocation, celle des corons que découvrent alors quelques jeunes profs méridionaux arrivant dans le bassin minier. Ils avaient entendu Pierre Bachelet chanter les mineurs tout l’été et ils découvrent au bout de l’A1 les terrils et ce panneau depuis disparu, « le Nord, terre d’accueil et de travail ». De retour dans leurs terres d’origine après leur mutation ils peuvent alors évoquer dans la géographie de la France les empreintes sur les paysages et les mémoires de cette aventure industrielle. Peut-être aussi les élèves qui parlent de Zidane ou d’autres stars du ballon rond sortis des quartiers en déshérence connaitront le nom d’un jeune polonais remonté de la mine appelé Kopaszweski qui a tout fait pour s’évader cet univers que chante Pierre Bachelet.

Lire ce livre c’est avoir envie de parler d’histoire… Celle avec un grand H qui se fait aussi avec les histoires des gens. Alors oui un tube c’est aussi un challenge médiatique, une opération de promotion, parfois un bourrage de crâne mais en même temps, un formidable révélateur de la société du moment.

Allez, pourquoi ne pas le dire… Dans la longue série de recensions et de comptes rendus de lecture que j’ai livrés aux Clionautes et aux 2000 abonnés d’H Français, c’est sans doute celui qui m’a le plus touché et qui sera largement exploité dans l’année qui vient. Une fois fini le temps des tubes de l’été, pour la rentrée de septembre.