Comment vit-on après l’indicible ? Que devient un enfant lorsqu’il a traversé l’enfer des camps de concentration, seul, sans famille ni repère ?

Les Enfants de Buchenwald, bande dessinée récemment parue aux Éditions Steinkis, avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, propose une plongée poignante dans ce moment méconnu de l’après-guerre : la reconstruction psychologique et physique de jeunes survivants juifs du camp de Buchenwald. Ces enfants, des écorchés vifs, doivent réapprendre à faire confiance, à pardonner, à aimer, à pleurer.

L’autrice Dominique Missika, en collaboration avec l’illustratrice Anaïs Depommier, nous livre un récit au ton juste, sans fard ni dramatisation, basé sur des témoignages réels et un travail de recherche rigoureux. Une bande dessinée que l’on recommandera sans hésiter aux CDI des établissements scolaires et donc aux élèves, tant pour sa portée historique que pour sa valeur humaine.

De Buchenwald à Écouis

Début 1945, on dénombrait à Buchenwald trois enfants de moins de 5 ans, trois de moins de 10 ans et près de neuf cents adolescents âgés de 15 à 20 ans, originaires de nombreux ghettos ou autres camps de concentration.

La bande dessinée Les Enfants de Buchenwald raconte ainsi le destin d’un groupe d’enfants juifs rescapés de ce camp de concentration, libéré en avril 1945. Orphelins, affaiblis et profondément traumatisés, ces jeunes sont accueillis quelques semaines plus tard en Normandie, dans le centre d’Écouis, sous l’égide de l’Œuvre de Secours aux Enfants (OSE). Le récit suit leur difficile retour à la vie, entre douleurs du passé, incertitudes de l’avenir, et premiers pas vers la reconstruction grâce à l’accompagnement bienveillant de médecins, éducateurs et assistantes sociales.

Une mémoire incarnée : témoigner autrement de la Shoah

Cette bande dessinée se distingue par sa volonté de transmettre une page d’histoire souvent éclipsée par celle de la libération des camps : celle de l’ »après ». Dominique Missika et Anaïs Depommier donnent vie à des enfants marqués à jamais, dont les destins singuliers rappellent que survivre n’était que le début d’un autre combat.

L’album met en scène des personnages fictifs comme Zeev, Fischel, Chaïm et Aron dont les trajectoires sont inspirées de témoignages authentiques. À travers leurs récits, le lecteur découvre le parcours de ces adolescents, depuis la libération du camp jusqu’à leur arrivée à la maison d’Écouis, avant qu’ils ne partent vers une nouvelle vie en Amérique, en Palestine, en France ou ailleurs. Leurs dialogues, souvent poignants, ravivent les souvenirs de leur vie en Pologne, les séparations brutales, la disparition de leurs proches, et les souffrances endurées avant et pendant leur passage à Buchenwald.

Aux côtés de ces figures apparaissent de nombreux personnages historiques ayant réellement œuvré pour ces enfants. Ce mélange de fiction et de réalité permet de mieux saisir l’intensité et la complexité de cette période de transition, entre détresse et espoir.

Une approche pédagogique puissante pour les jeunes lecteurs

L’œuvre est d’une grande richesse pédagogique : elle permet d’aborder la Seconde Guerre mondiale sous un angle sensible et profondément humain. Grâce à un scénario documenté et une narration fluide, les élèves accèdent à une histoire incarnée, proche de leur propre âge, ce qui favorise l’identification et l’empathie.

Les traits dynamiques et les couleurs vives traduisent avec justesse l’intensité du récit et la dureté des événements. Ce parti pris artistique parvient à traiter le sujet avec respect, tout en le rendant accessible à un jeune public. Un cahier documentaire final apporte un éclairage historique solide, idéal pour prolonger la lecture en classe ou lors d’un travail de groupe en CDI.

Des parcours singuliers pour une histoire universelle

Ce qui frappe dans Les Enfants de Buchenwald, c’est la capacité du récit à mêler l’intime et le collectif. En racontant des parcours inspirés de figures réelles comme Elie Buzyn, Armand Bulwa ou Izio Rosenman, l’ouvrage évite l’abstraction. Chaque visage croisé dans la BD porte une histoire singulière, une blessure, mais aussi une volonté de renaître.

Le récit met en lumière la complexité de la reconstruction : les cauchemars persistants, la méfiance envers les adultes, le silence, mais aussi les premiers sourires, les jeux retrouvés, les débuts d’une nouvelle fraternité. C’est aussi le récit d’une solidarité, portée par des adultes engagés à qui la bande rend hommage : Françoise Brauner, Gaby Cohen née Wolff (dite Niny), Fanny Loinger, Isia Malkin, Rachel Minc-Lipstein, Marc Rosen.

Les Enfants de Buchenwald est bien plus qu’un simple album. C’est une œuvre de mémoire, de transmission, et d’espoir. Elle ouvre un espace de réflexion essentiel sur les conséquences de la guerre, le rôle de l’éducation dans la reconstruction, et la force de résilience des enfants.