Après Amazon, La Revue Dessinée et Mediapart s’associent pour enquêter sur la justice. Cette édition spéciale place au centre de ses préoccupations la question de l’égalité devant la loi. La justice est un service public et, à ce titre, il faut poser la question des moyens, des missions. Les éclairages sur la question sont variés allant de PPDA aux comparutions immédiates, cherchant donc à envisager la justice des personnalités tout comme celle des anonymes.
Plaintes à la chaîne
En 2021, Florence Porcel porte plainte contre Patrick Poivre d’Arvor. Le rapport de force médiatique n’est a priori pas favorable à celle qui est écrivaine, opposée au présentateur du journal télévisé le plus regardé entre 1987 et 2008. Rapidement, on s’aperçoit que son cas n’est pas isolé. Les témoignages se trouvent confrontés au redoutable problème du délai de prescription. L’affaire est classée une première fois par la justice mais Florence Porcel continue son combat. Comme elle le dit « Quand on parle ça ne va pas et quand on ne parle pas ça ne va pas non plus ». Une double page finale montre combien il reste très difficile de faire valoir ses droits en justice dans le cas de violences conjugales. La question financière est aussi cruciale malgré quelques améliorations récentes. Il est aussi parfois difficile de trouver un professionnel qui accepte de vous défendre dans ce type d’affaire.
La voie rapide
Cet article s’intéresse à la comparution immédiate avec l’exemple du tribunal de Bobigny. En effet, vingt minutes peuvent parfois suffire à rendre la justice. On apprend comment se déroule une procédure, le rôle de chacun mais aussi qu’il s’agit souvent d’enquêtes très rapides. Un prévenu jugé en comparution immédiate a huit fois plus de risques d’être condamné à une peine de prison que lors d’une audience classique. Les affaires s’enchainent à un rythme effréné.
La cour des miracles
Il est question ici des juridictions d’exception comme pour les ministres avec la cour de justice de la République. On s’aperçoit qu’elle fait souvent preuve de clémence. On le voit dans l’affaire Balladur-Léotard avec des fortes suspicions de commissions occultes pour la campagne présidentielle de 1995. Dans l’affaire Karachi on note qu’il y a eu en fait deux procès pour la même affaire. Les condamnations prononcées contre les collaborateurs sont bien lourdes comparées à celle du ministre lui-même. De façon générale, beaucoup de plaintes sont stoppées dès la première étape. Au total, il y a eu huit procès en trente ans et il n’y a que trois magistrats professionnels sur quinze jurés. Les ministres sont entendus par leurs pairs. Au lieu d’être un motif qui devrait tendre vers l’exemplarité, la qualité de ministre devient une excuse.
Dans la balance
La justice pénale du quotidien. Cette justice fait parfois basculer la vie de milliers d’anonymes en quelques heures. Le reportage montre des exemples au tribunal d’Angoulême. Jeoffrey, vingt-six ans, est jugé pour des violences sur une femme. Cette affaire fait intervenir aussi la drogue, l’hôpital psychiatrique et se révèle peu évidente à démêler. Le jugement est mis en délibéré et tombe un mois plus tard.
Evasion fiscale
François Pinault est la septième fortune de France et ce reportage s’attache à démonter les rouages d’une bien complexe machine qui n’a qu’un but : lui faire payer le moins d’impôt possible. Prenez un groupe, Kering, un mastodonte du luxe, Gucci, et vous obtenez une évasion fiscale bien ficelée. Ajoutez à ce cocktail une région suisse, la canton italien du Tessin où le taux d’imposition est particulièrement favorable et vous obtenez des résultats très intéressants pour le milliardaire. Le reportage se concentre ensuite sur le PDG de Gucci, Marco Bizzarri. Le patron italien est un des 5300 contribuables « au forfait », un régime suisse conçu pour permettre aux ultra riches d’échapper au fisc dans leur pays d’origine. Il a finalement été rattrapé par le fisc mais le versement a été effectué par le groupe Kering précédemment cité. On revient enfin au cas Pinault et à une autre procédure appelée « réglement d’ensemble » qui permet au fisc d’accorder aux fraudeurs une ristourne sur les pénalités et le montant de l’impôt lui- même.
Retirer le portrait
Amélie Mougey, Christophe Gueugnau et Yannick Grossetête s’intéressent à l’épisode qui a vu certaines personnes décrocher le portrait du Président de la République. Par cet acte ces militants entendaient dénoncer l’inaction du gouvernement en matière de lutte contre le réchauffement climatique. 88 personnes se sont retrouvées devant la justice. Après un procès en appel, la peine des condamnés a été réduite à 500 euros d’amende avec sursis sans inscription au casier judiciaire. L’affaire est aujourd’hui entre les mains de la Cour européenne des droits de l’homme.
La bonne paye
Cette enquête éclaircit une expression restée trop longtemps opaque : les frais de mandat. Le point de départ est l’affaire Coralie Dubost, cette députée qui a eu tendance à faire passer beaucoup de choses en notes de frais. Le cas du socialiste Pascal Terrasse élargit le spectre politique puis le reportage se penche sur l’étranger et notamment le cadre anglais beaucoup plus sévère. Depuis 2011, on entend parler en France d’encadrement de ces frais. Malgré quelques avancées en 2015, d’autres affaires surgissent. Les contrôles sont faits a posteriori et de façon aléatoire ce qui ne donne pas vraiment toutes les garanties de transparence.
A la tête du client
Il s’agit ici de pointer les pratiques discriminatoires d’un grand restaurant où selon les termes mêmes des responsables, les « Arabes, les gros et les vieux » sont bannis des réservations. Alertée par le site Buzzfeed qui avait mené l’enquête, la mairie de Paris a déposé plainte mais finalement l’enquête a été classée sans suite en 2020. En 2020, sur 7759 affaires à caractère raciste signalées par les parquets, 955 condamnations ont été prononcées pour infractions à caractère raciste et il y en a eu zéro pour discrimination.
Ce numéro très complet envisage donc de nombreuses formes de justice. Prenant appui sur des affaires particulières, il dresse un portrait pas toujours rassurant sur le bon fonctionnement du service public.