On ne présente plus l’historien Jean-Pierre Azéma. Son ouvrage De Munich à la Libération 1938-1944, publié au Seuil en 1979, a fait autorité pendant plus de vingt ans. Il est ensuite devenu l’un des plus éminents spécialistes du régime de Vichy, de la Collaboration et de la Résistance (il est l’auteur d’une excellente biographie de Jean Moulin). On ne présentera bientôt plus l’historien Fabrice Grenard, qui malgré sa jeunesse est déjà l’auteur d’une œuvre importante, dont tous les ouvrages, depuis sa thèse sur le marché noir jusqu’à son récent livre sur la Drôle de guerre, en passant par sa magistrale biographie de Georges Guingouin, ont fait l’objet d’un compte-rendu sur le site de la Cliothèque. Ces deux historiens signent aujourd’hui un ouvrage dans la collection « En 100 questions« , relancée en 2015 par les éditions Tallandier après qu’elles aient récupéré le fonds des éditions La Boétie, dont c’était la principale collection.

Des réponses d’une parfaite clarté à toutes les questions qu’on peut se poser

Un ouvrage de plus sur l’Occupation pourrait-on penser tout d’abord. A le feuilleter puis à le lire, on comprend la difficulté de l’exercice, ses exigences et le profit qu’on peut en tirer. Il y a bien 100 questions qui sont posées, s’efforçant de cerner tous les aspects de la France, ou plutôt des Français, sous l’Occupation, vie quotidienne, occupation allemande, Collaboration, Résistance, Libération, Mémoire. Certaines de ces questions sont attendues et « classiques », d’autres sont beaucoup plus spécifiques et précises. Chacune de ces questions reçoit une réponse en deux à trois pages, jamais plus, parfois un peu moins. Pas de notes, pas de bibliographie (même si parfois quelques historiens sont cités, tels Robert Paxton ou Pierre Laborie). Les réponses sont toujours d’une parfaite clarté et d’une grande précision, tenant compte de tous les acquis de l’historiographie récente. Des réponses d’une grande qualité pédagogique, comme celles qu’un bon professeur ferait à ses élèves. Nous avons déjà eu l’occasion de souligner les qualités pédagogiques des ouvrages de Fabrice Grenard. Par sa forme le livre est très aéré, par la qualité des réponses, il est d’une lecture agréable. On peut bien évidemment le consulter pour telle ou telle question précise, sans nécessairement lire l’ensemble du début à la fin. C’est donc aussi un outil.

Une référence explicite à la série télévisée « Un village français »

Cette série dont la dernière saison est diffusée cet automne sur FR3, a été presque unanimement saluée pour ses qualités. Jean-Pierre Azéma en est le conseiller historique. Elle raconte le quotidien des habitants d’une petite ville du Jura, proche de la ligne de démarcation. Les trajectoires personnelles des personnages principaux illustrent ce que furent les conditions matérielles et politiques de la vie sous l’Occupation. Le tableau n’est pas en noir et blanc, qui opposerait les héros et les salauds, mais la zone grise y est largement représentée, avec des situations qui ont été analysées par les historiens depuis une dizaine d’années. C’est donc très clairement dans cette perspective, que se situe cet ouvrage : présenter les problèmes qui se posèrent à la population et les conditions qui furent celles du pays, et expliquer le plus simplement possible comment les Français y ont répondu.

Structure et contenu de l’ouvrage

Les 100 questions se répartissent en neuf parties d’inégale importance, comprenant chacune de six à 18 réponses : Le traumatisme de la défaite, 1940 ; Vichy, la Révolution nationale et la Collaboration d’Etat, 1940-1941 ; Occupants et occupés ; Vivre et survivre en France sous l’Occupation ; Les débuts de la Résistance 1940-1941 ; Basculement, printemps 1942-1943 ; Radicalisation, fin 1943-printemps 1944 ; Libérations, Epuration, Reconstruction, 1944-1950 ; Mémoires.

Les auteurs ont dû faire des choix. La priorité a été accordée à la vie des Français, mais pas seulement à la vie quotidienne au sens étroit du terme. Aucune question n’est absente, mais on ne trouvera pas de longs développements sur la Révolution nationale ou sur l’unification de la Résistance. Les questions de ravitaillement, de pénurie, de rationnement, et de marché noir sont traitées de façon très complète. De même ce qui concerne les réquisitions de travailleurs, la Relève et le Service du Travail obligatoire, les réfractaires, la création des maquis et la vie dans les maquis, mais aussi ce qui concerne les parcours pouvant conduire dans la Milice. On découvrira comment évolue la condition féminine sous le régime de Vichy, ce qu’on apprend à l’école, comment on se déplace, comment on s’habille, comment on se divertit, quels sont les grands succès populaires. Une grande attention est accordée aux relations des Français et des Françaises avec l’occupant, puis avec les soldats de l’armée américaine. Ces questions reçoivent des réponses qui tiennent compte des études historiques les plus récentes.

On soulignera enfin la précision de certaines questions qui nécessitent une grande maîtrise dans l’exposé et une parfaite connaissance de la production historique. Quelques exemples seulement : l’état d’esprit des Français au moment de l’armistice, les relais du régime de Vichy sur le plan local, le rôle des maires sous l’Occupation, les chefs d’entreprise et l’occupant, les conséquences sanitaires des pénuries, le profil des délateurs, la sociabilité dans les queues devant les magasins, les techniques de trafiquants du marché noir, la question de la guerre civile au printemps 1944, la question de la tonte des femmes, celle des viols par les soldats américains, celle de l’éventuel héritage de Vichy dans la France d’aujourd’hui etc.

Un ouvrage qui sera très utile aux professeurs et aux lycéens, à recommander vivement à tous les CDI.

© Joël Drogland