La revue « Chroniques d’Histoire Maçonnique »

La revue « Chroniques d’Histoire Maçonnique » – ou CHM pour les initiés – (publiée depuis 1982) est désormais présentée par le service de presse des Clionautes, dans le cadre de la Cliothèque. Cette revue réunit des travaux de chercheurs français (pour la plupart) sur les évolutions historiques de la Franc-Maçonnerie française, liée à la plus importante obédience française : c’est-à-dire le Grand Orient De France ou GODF. L’abonnement annuel à la revue Chroniques d’histoire maçonnique comprend 2 publications par an (Hiver-Printemps et Été-Automne) expédiées en décembre et juin. Cette revue est réalisée avec le concours de l’IDERM (Institut d’Études et de Recherches Maçonniques) et du Service Bibliothèque-archives-musée de l’obédience du Grand Orient De France (GODF). L’éditeur délégué est Conform Edition.          

« Chroniques d’Histoire Maçonniques » n° 82 (Été-Automne 2018) : Les francs-maçons et l’exil. Ce numéro est composé d’un avant-propos du Comité de rédaction et d’un unique dossier comportant 4 articles. Ce numéro ne comporte donc pas les rubriques habituelles : Études, Portraits et Documents, à l’exception notable du Dossier. Ce second numéro de l’année 2018 est à nouveau thématique avec le numéro 82, issu de la 2e journée d’études de l’IDERM organisée en juin 2018. De l’itinéraire maçonnique de Coustos, ce frère venu du Refuge huguenot pour fonder l’une des plus célèbres parisiennes dans les années 1730 à l’installation de la loge Salvador Allende n°1 le 8janvier 1974 près de deux siècles et demi plus tard par des frères ayant fui le Chili du général Pinochet, la Loge a toujours été un lieu de refuge privilégié pour ceux qui ont été contraints à « l’exil ». Un tel constat invitait à faire de ce sujet un numéro thématique, issu de la 2e journée d’études de l’IDERM organi­sée en juin 2018. En suivant l’itinéraire qui le mènera à Cuba où se retrouvèrent de nombreux réfugiés français francs-maçons de Saint-Domingue au début du XIXe siècle (Agnès Renault), puis en Belgique, où les loges jouèrent un rôle de choix dans l’accueil des exilés français sous le Second Empire (Jeffrey Tyssens), et en France, où les francs-maçons alsaciens et mosellans furent nom­breux à se poser la question de l’attitude qu’il convenait d’adop­ter après la défaite de 1870 (Jean-Claude Couturier), le lecteur y découvrira non seulement l’histoire et la vie de loges qui ont été des espaces de fraternité particulièrement remarquables mais aussi des lieux où les frères exilés ont su impulser une dyna­mique qui a atteint son paroxysme avec la Guerre d’Espagne (Yvan Pozuelo Andres). La cinquième contribution de la journée présentée par André Combes sera publiée dans le prochain numéro de Chroniques d’histoire maçonnique.

 

DOSSIER : Les francs-maçons et l’exil

. Les franc-maçons français exilés à Cuba au début du XIXe siècle (Simon Deschamps) : pp. 6-29

Le premier article (rédigé par Simon Deschamps) montre que la franc-maçonnerie qui s’était épanouie dans les Caraïbes françaises (comme à Saint-Domingue) ou anglaises (particulièrement en Jamaïque), finit par s’introduire sur l’île espagnole de Cuba dans le contexte des mouvements de réfugiés français qui fuyaient la « révolte des nègres », c’est-à-dire la Révolution haïtienne. Ce fut une implantation fugace car la monarchie espagnole restait fermement opposée au développement de la Fraternité. Pourtant, les loges (ou tout simplement la présence notable de francs-maçons à Cuba) eurent un rôle non négligeable dans l’histoire de la franc-maçonnerie cubaine qui s’épanouit pleinement dans la seconde moitié du XIXe siècle, jouant un rôle majeur dans les luttes politiques indépendantistes de l’île.

L’activité des francs-maçons français à Cuba dans ce premier tiers du XIXe siècle avait permis de consolider la communauté française dans son ensemble en même temps qu’elle servit à diffuser les principes de la fraternité dans l’île. Le premier résultat est à mettre en relation d’abord avec l’activité économique : le réseau de francs-maçons dans l’espace américain favorisa l’expansion commerciale, la circulation d’hommes et de marchandises. Au niveau régional, il favorisa les prêts entre francs-maçons et parfois la création de sociétés. Il y a aussi des aspects sociaux, les francs-maçons apparaissant à l’initiative de représentations collectives, ou menant des actions solidaires vis-à-vis des plus démunis ou des colons plus isolés (tels les gens de couleur). Le second résultat est semble-t-il tout aussi important. La franc-maçonnerie cubaine reçut l’influence de ces premiers francs-maçons de manière profonde que ce soit vis-à-vis de son engouement pour le rite écossais ancien et accepté (REAA) ou pour les valeurs libérales introduites. Ces premiers Francs-maçons avaient bravé les interdictions et s’étaient réunis de manière « régulières » ou non. Les Hispano-cubains s’inspirèrent rapidement des idées introduites pour organiser la résistance à l’absolutisme espagnol. La conspiration de Roman de la Luz s’initia à l’ombre de la loge appelée Temple des Vertus Théologales, apportant la première caractéristique d’une franc-maçonnerie de la résistance. L’obédience maçonnique hispano-cubaine (le G.O.C.A.) fut ensuite le principal foyer de conspiration des premiers mambises dirigés par Carlos Manuel de Céspedes. En toile de fond, toujours les références à la Révolution française. Même si les francs-maçons de Saint-Domingue n’avaient jamais été les plus radicaux en ce sens, ils symbolisaient pour les Créoles, la liberté, l’égalité et la fraternité.

. Madier-Montjau et l’exil républicain en Belgique lors du Second Empire (Jeffrey Tyssens) : pp. 30-49

Le deuxième article (écrit par Jeffrey Tyssens) retrace l’exil en Belgique effectué par le député montagnard français Madier-Montjau entre le coup d’État du 2 décembre 1851 et le retour en France en 1870. Noël François Alfred Madier de Montjau naquit à Nîmes en 1814. Il descendait d’une famille de ju­ristes et, après ses études à Toulouse, devenait lui-même avocat en 1838, à 24 ans. D’opinion de gauche, il défendait les accusés dans plu­sieurs procès politiques, ce qui lui vaudra le sobriquet de « l’avocat rouge ». Le plus fameux pro­cès était celui contre Proudhon et son journal Le Peuple. Proudhon se lia d’amitié avec lui, fût-ce une amitié avec des hauts et des bas. Participant à la révolution de 1848 et étant au cœur de la mouvance républicaine avancée, il échouait aux élections pour la constituante, mais se trouvait élu député en 1850, dans une élection partielle en Saône-et-Loire. En 1848, il laissera tomber sa par­ticule trop aristocratique pour se présenter dorénavant comme Madier-Montjau. A la même époque, il s’était présenté à la loge parisienne Saint-Antoine du Parfait Contentement, mais il s’y trouvait refusé, probablement pour des considérations poli­tiques. Lors du coup d’État du 2 décembre 1851, Madier-Montjau essayait de mon­ter la résistance armée à Belleville et au faubourg Saint-Antoine, puis se trouvera expulsé du territoire français par le décret présidentiel du 9 janvier 1852.

Exilé en Belgique, les autorités belges assignèrent Madier en résidence à Hasselt, capitale du Limbourg, puis il s’installa à Bruxelles où l’accès au barreau en tant qu’avocat lui fut refusé. Outre les cours donnés par son épouse Céleste comme institutrice privée, Madier donna plusieurs séries de conférences payantes sur « L’histoire de l’éloquence », dès 1853, dans une association artistique et charitable appelée Société Thalie organisant concerts et soirées de théâtre pour un public jeune composé surtout de dames de la bonne société bourgeoise bruxelloise, dans la fameuse galerie St-Hubert. Devant le succès, il donna des séries de conférences sur d’autres sujets dans d’autres associations culturelles de Bruxelles et des grandes villes belges francophones et flamandes. Dans les années 1860, Madier devenait de plus en plus visible dans le débat public belge, contrariant les forces conservatrices belges et, en particulier, la droite catholique belge. La renommée de Madier est due également par ses qualités de tribun avec un style oratoire passionné et par son physique avantageux.

Madier-Montjau fut initié apprenti franc-maçon à la loge La Bonne Amitié de Namur, le 7 janvier 1860, à l’âge de 46 ans. Il passa compagnon-maçon et fut maître-maçon la même année. Il fut un franc-maçon assidu malgré le fait qu’il habitait Bruxelles. En 1870, Ma­dier-Montjau rentre en France avec la proclamation de la IIIe République. Il réussit une nouvelle carrière politique. Une première tentative de réélection ayant échoué, il reviendra à la chambre en 1874 pour la Drôme et siégera pour ce département jusqu’à sa mort, le 26 mai 1892. Avec des positions très anticléri­cales, il acquiert donc de nouveau une visibilité considérable et il continuera son cheminement maçonnique.

. Choisir l’exil, l’exemple des francs-maçons alsaciens et mosellans en 1871 (Jean-Claude Couturier) : p. 50-77

Le troisième article (rédigé par Jean-Claude Couturier) raconte l’exil des francs-maçons Alsaciens et Mosellans issus de l’annexion de l’Alsace-Moselle par le IIe Reich. Le 10 mai 1871, avec le traité de Francfort, l’Alsace et le nord de la Moselle deviennent le « Reichsland Elsass-Lothringen », qui donne aux Alsaciens-Mosellans jusqu’au 31 octobre 1872 pour se prononcer en faveur de leur citoyenneté française et, dans ce cas, ils sont invités à quitter le pays. Passé ce délai, ils deviendront sujets Allemands. Environ 159.000 Alsaciens-Mosellans ont opté pour la nationalité française. Ils seront plus de 50.000 à abandonner leur mai­son pour rejoindre la France de l’intérieur. Mais nombreux sont ceux qui sont restés et qui protesteront contre leur incorporation sans leur consentement à l’empire allemand. Entre 1914 et 1918, ils seront 250 000 à combattre pour le IIe Reich. Le Reichsland Elsass-Lothringen, province allemande, est divisée administrativement en trois régions : la Lorraine (Lothringen), la Haute-Alsace (Oberelsass) et la Basse-Alsace (Unterel­sass), qui deviendront respectivement les départements de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, en 1918. Le pouvoir impérial allemand comprend que pour rendre l’annexion de l’Alsace-Moselle irréversible, il doit réaliser une germanisation globale : imposer l’allemand, sa législation et sa culture. Cependant, cette germanisation se révèle fort maladroite pendant la période d’occupation. Néanmoins, en 1914, les Alsaciens et Mosellans sont devenus de loyaux sujets du IIe Reich.

Les Francs-maçons alsaciens et mosellans sont également à l’épreuve de l’annexion. En effet, la loge de Nancy (ville frontière et capitale de la Lorraine française) Saint-Jean de Jérusalem reçoit en dépôt les archives des loges-sœurs du GODF d’Alsace-Moselle, pendant 48 ans, jusqu’en 1919. Les Hohenzollern, étant de fervents soutiens de la Franc-maçonnerie allemande, vont financer l’édification de plusieurs temples maçonniques en Alsace-Moselle ainsi que favoriser la création de nombreuses loges affiliée à la GL de Prusse de Berlin. Des francs-maçons alsaciens-mosellans (les optants) rejoignent les rangs de la loge de Nancy comme Alfred Krug (dont il devint le Vénérable), industriel de la choucroute, qui va marquer profondément l’histoire de Nancy. Conseiller municipal de Nancy, républicain radical-socialiste, il s’inscrira dans un grand mouvement de construction (écoles primaires, lycée de filles, Hospices civils et hôpitaux). Homme très engagé et patriote revanchard, il est membre de nombreuses organisations progressistes (sportives, politiques, charitables et de presse). Alfred Krug va se heurter violemment au Vénérable de sa loge, en mars 1907 : Charles Bernardin, radical anticlérical et dreyfusard ainsi qu’artisan d’une réconciliation avec des francs-maçons allemands, participe aux manifestations franc-maçonniques d’amitié franco-allemande qui auront lieu en juillet 1907, au col de la Schlucht (avec 400 francs-maçons belges, suisses, allemands, luxembourgeois et français), en juillet 1908 (à Bâle), en juillet 1909 (à Baden-Baden), en 1912 au Luxembourg puis en 1913, à La Haye, pour la dernière fois. Charles Bernardin se rallie à la défense de la patrie, après le déclenchement de la guerre, à l’instar des francs-maçons français et allemands.

. Juan Pablo Garcia Alvarez et José Maldonado Gonzalez, deux réfugiés espagnols aux origines de la dynamique maçonnique de l’exil (1939-1978) : (Yvan Pozuelo Andres) : pp. 78-93

Ce quatrième article (écrit par Yvan Pozuelo Andres) traite des exilés espagnols qui ont poursuivi leurs activités maçon­niques là où l’exil les a emmenés. Plusieurs dizaines de pays sont devenus terre d’asile des exilés, avec une mention spéciale pour la France et le Mexique qui les ont accueillis en masse. L’exil n’a pas seulement concerné des in­dividualités mais également des institutions, ce qui a été le cas du Grand Orient Espagnol (GOE) qui s’est installé au Mexique et y a fonc­tionné jusqu’à la fin des années 1970. La franc-maçonnerie a en soi une essence philanthropique et surtout d’entre-aide entre adhérents qui ont été mis à l’épreuve dans ces longs moments d’angoisses ma­térielles. Cette qualité a même fini par attirer certains exilés à la franc-maçonnerie parce qu’ils se sont sentis abandonnés par les or­ganismes d’aide du gouvernement de la République en exil ou même par ceux organisés par leur propre parti. L’exil, au lieu d’unir, divise. La déchirure provoquée par les généraux du coup d’État de 1936 est restée vive car la mémoire des « trahisons » ou des « déceptions » ne tombe pas dans l’oubli mais plutôt dans la rancœur.

Juan Pablo Garcia Alvarez (1908-1982) et José Maldonado Gonzalez (1900-1985), tous deux francs-maçons originaires des Asturies, ont tenté de lutter contre cette fatalité. Le premier, membre du parti socialiste et, le second, d’un parti républicain, tous deux membres dirigeants au sein des organismes de la République et dans la région minière des Asturies pendant la guerre civile espagnole, ont représenté à plusieurs reprises la connexion de la réconciliation entre exilés. Dans certains cas, en utilisant le lien franc-maçonnique, dans d’autres avec le lien senti­mental de l’appartenance régional, sans toutefois réussir à convaincre l’ensemble des élites exilées, em­bourbées dans les conflits poli­tiques internes et internationaux. Mais, tous deux ont été mêlés de près aux avatars du retour du GOE, en Espagne. Dans leurs pays d’accueil, ils or­ganisèrent des loges d’espagnols tout en s’intégrant au sein d’obé­diences étrangères. Ils ont égale­ment mené le combat contre Fran­co en général et, en particulier, contre la situation de répression permanente du régime dictatorial espagnol envers les francs-maçons, en s’adressant aux instances de la Communauté Internationale qui étaient en train de juger les crimes des nazis et de ses collaborateurs. Franco avait fusillé des francs-maçons apparte­nant à des loges entières durant les premiers mois de la guerre civile. Puis, il préféra les emprisonner, réservant les exécutions à ceux qui avaient une attitude politique militante contraire à ses intérêts.

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour la Cliothèque)