« Si nous avions été à leur place, nous aurions pu devenir comme eux ». Cette citation de Tzvetan Todorov extraite de son ouvrage Face à l’extrême, Katrin Himmler a choisi de la placer en exergue de son récent livre sur ses sulfureux ancêtres. Son grand-oncle, Heinrich Himmler, fut l’un des plus hauts dignitaires du régime nazi. Dans Les frères Himmler, ouvrage paru aux éditions David Reinharc en janvier dernier, la politologue revient sur l’histoire de sa famille.
Longtemps, Katrin Himmler explique avoir éludé la question de ses origines et plus spécialement celle des crimes d’Heinrich Himmler. Durant la Seconde Guerre mondiale, cet « assassin du siècle » a été responsable de l’extermination des Juifs d’Europe et du meurtre de millions d’autres individus. Dans sa jeunesse, le souvenir du Reich était vivace, ce qui a souvent conduit l’auteure à de tenaces sentiments de « honte » et de « culpabilité ».
Sans se focaliser sur sa propre famille, au cours de ses études en science politique, Katrin Himmler se pencha sur l’étude du lourd « passé allemand ». Toutefois, son père finit par l’y inviter : en effet, il souhaitait récupérer le dossier des archives du Bund consacré à son père, i.e. le frère cadet d’Heinrich Himmler, qui avait dirigé le Reichsrundfunk (c’est-à-dire la radio du Reich).
Contrairement à ce qu’on lui avait dit jusqu’alors, Katrin découvrit que son grand-père n’avait pas été apolitique, loin s’en faut. Très tôt, il avait même été nazi et avait rendu de nombreux service au Reichsführer SS. L’aîné de la fratrie, Gebhard, avait lui aussi été un arriviste, qui avait participé avec Heinrich au putsch de Munich en 1923. Gebhard Himmler devint fonctionnaire au ministère de l’éducation du Reich.
Du fait de sa trajectoire individuelle, l’auteure dut revenir à l’histoire de la Pologne et d’Israël, bref « deux pays dont l’histoire est si intimement, si funestement liée à l’histoire allemande et également celle de sa famille ». C’est en effet en Pologne que le Reichsführer SS débuta sa triste et révoltante campagne de meurtres racistes à l’égard des « sous-hommes juifs et slaves ». Dès 1939, Gebhard prit part au Blitzkrieg contre la Pologne. Le beau-frère de ce dernier était quant à lui gouverneur de Cracovie, d’où de nombreux Juifs furent déportés.
Progressivement, Katrin Himmler se rendit donc compte de la culpabilité de bien des membres de sa famille, en dépit de leur propension à se décharger et à se dissimuler derrière le tristement célèbre Heinrich. Pis, l’une de ses grand-mères participa, après-guerre, à un réseau d’entraide d’anciens nazis… Pour retracer cette « histoire allemande » ô combien douloureuse, l’auteure dut « briser les œillères et les défenses mentales dues à une trop grande proximité », ce qui rend le résultat d’autant plus intéressant.