Un nouveau regard sur les femmes en politique
Sophie Vergnes, agrégée d’histoire, a soutenu sa thèse dont est issu ce livre, sur l’activité politique des femmes de l’aristocratie et ses représentations de 1643 à 1661, pendant la régence d’une femme et d’un ministre étranger et jusqu’à l’avènement du règne personnel de Louis XIV en 1661.
C’est un projet passionnant que de modifier le récit de cette période et d’en faire apparaître les enjeux politiques, sociaux et culturels en prenant le point de vue des actrices révoltées de cette période. Ce livre s’inscrit dans la ligne des ouvrages de Thierry Wanegffele, comme Catherine de Médicis, Le pouvoir au féminin [Paris, Payot, 2005] ou son ouvrage majeur : Le Pouvoir contesté. Souveraines d’Europe à la Renaissance, [Paris, Payot, 2008].
Autant le dire tout de suite, le résultat est parfaitement réussi et donne un vrai coup de jeune à cette histoire de devoir de révolte et de contestation de la société ou encore à cette école des femmes et des précieuses de salon.
Les projets politiques auxquels participent cette quinzaine de femmes et les moyens employés sont analysés avec une grande minutie. On suit au cœur des chevauchées, des alliances et des négociations, les motivations qui se construisent, tandis que les allégeances s’organisent, entraînant ralliements ou ruptures. Il y a un côté roman de cape et d’épée chez ces jeunes femmes, parfois enceintes, qui n’hésitent pas à sortir de nuit, à coder leurs lettres, à se masquer, à se travestir, à monter sur une échelle pour rentrer dans une citadelle par une brèche, à monter à cheval comme des hommes pour traverser la France au galop en quelques jours pour rejoindre leurs partisans.
La question principale tourne autour de cette problématique : la situation d’exception que constitue la régence d’Anne d’Autriche entre mai 1643 et septembre 1651 était–elle de nature à favoriser une rébellion de l’aristocratie et plus particulièrement une révolte féminine ? La réprobation suscitée par l’exercice du pouvoir féminin et les difficultés de la reine face aux frondeurs pouvaient-elles constituer un obstacle, un blocage face aux femmes de l’aristocratie désireuses d’agir en politique (p23) ?
L’école des Frondeuses
Les pages sur l’éducation et la culture des Frondeuses sont passionnantes car elles relient à une génération d’écart, ces Frondeuses à ces premières femmes qui osèrent affirmer leur identité et recevoir dans leurs salons, que sont la marquise de Rambouillet, marquée par la culture italienne des Pisani et Savelli, mais ces quelques femmes du Marais élevées dans la culture de la conversation, de l’échange d’idées et de la confrontation intellectuelle. Mais cette culture est également enchantée par les récits, les romans guerriers et sentimentaux comme l’Astrée et le Grand Cyrus de Mme de Scudéry, qui fabriquent une représentation héroïque de réussite de la vie réelle à laquelle aspirent ces jeunes aristocrates.
Le pouvoir politique au féminin
Le milieu du XVIIe siècle n’est pas un moment favorable aux revendications du pouvoir des femmes surtout au sein de l’aristocratie (p 117). Le renforcement du pouvoir absolu voulu par le monarque et ses ministres, soutenus par les juristes insiste sur la nécessité d’être un homme pour gouverner efficacement. Or c’est à ce moment qu’Anne d’Autriche accède à la régence du royaume pour son fils Louis XIV.
La partie concernant la représentation politique de la régence d’Anne d’Autriche montre toute la misogynie que la reine dut combattre en apportant des éléments de comparaison très riches sur les modes d’action des autres régences. L’auteur présente pour la première fois, à ma connaissance, les arguments qu’utilise Anne d’Autriche pour justifier à sa façon la légitimité de son pouvoir. A l’évidence, ils sont différents de ceux de Marie de Médicis développés dans la belle biographie de Jean François Dubost [2009].
L’argument maternel est susceptible d’être récupéré par les Frondeuses pour appuyer leurs luttes politiques. En effet, il souligne la communauté de destin maternel qu’il lie la régente aux princesses. L’intérêt porté à la nature féminine qui conduit à exclure depuis la loi salique que les femmes de la succession, souligne a contrario, la force du lien maternel puisque c’est à ce titre, en tant que mère du jeune Louis XIV qu’Anne d’Autriche est choisie pour exercer la régence. La reine se positionne donc dans le processus dynastique comme une épouse et comme une mère de roi, ce qui lui permet d’assurer la transition d’un règne à l’autre. Cette valeur légitimante lui permet d’assurer la régence et d’être médiatrice du pouvoir politique (p 41).
C’est ainsi que l’on verra celle que l’historiographie antérieure nous a toujours présenté comme timide et effacée, la princesse de Condé, Claire-Clémence de Maillé Brézé se rendre seulement accompagnée de son jeune fils, devant une assemblée d’hommes se considérant comme un corps légitime de justice, le parlement de Bordeaux pour obtenir la libération du prince.
L’autorité de la régence paraît faible en raison d’un processus d’intériorisation de la norme du genre, déjà en marche au XVIIe siècle, et démontré par Thierry Wanegffelen, qui conduit les femmes à se convaincre qu’elles sont moins capables d’exercer le pouvoir politique.
Or cet argument est également valable pour un homme car régent ou régente (pas plus que le dauphin) n’exercent pas structurellement un pouvoir souverain entier puisque seul l’héritier du trône même mineur en est investi. L’auteur rappelle que ce point est la conséquence de l’ordonnance de 1407 qui supprime une partie des prérogatives du régent pour accroître celles du roi et affirmer le principe de l’instantanéité dans la succession.
Consciente de cette faiblesse structurelle et non fonctionnelle, Anne d’Autriche fait de cet argument un mode de gouvernement en l’acceptant. Elle se présente comme une régente faible, faisant profil bas, affichant une forme de soumission. Ses panégyristes la présentent comme une femme sombre, en deuil, paresseuse, vertueuse et désexualisée. Elle met en valeur le modèle classique de la faible femme en quête de protection, de la Vierge miséricordieuse et de la mère du Christ. « C’est pour mieux vous tromper, mon enfant ».
Elle prend le contrepied de l’image de reine et de mère puissante qu’avait donné par Marie de Médicis au risque de donner l’idée qu’elle pourrait usurper le trône [série des toiles de Rubens]. Anne d’Autriche en faisant le choix de la déférence et du retrait, en plaçant systématiquement son fils au-dessus d’elle, en affirmant la pleine capacité du roi en dépit de son jeune âge et sa propre subordination, contribue au renforcement de la figure royale. La fermeté douce dont fait preuve Anne d’Autriche pendant la guerre civile pour maintenir intacte l’autorité du roi permet aussi d’affirmer l’idée d’une compétence politique des femmes dont les Frondeuses tirent un ample bénéfice (p 76). Cette analyse argumentée de la soumission au genre relègue la plupart des études politiques précédentes aux oubliettes de l’histoire.
Ainsi par l’activité intellectuelle et formatrice de salons, plus que par leur propre éducation négligée, par l’exemple venu d’en-haut, de la régente, les Frondeuses se fabriquent un imaginaire politique qu’elles mettent en œuvre en revendiquant autant que leur frère et leur mari le droit de jouer un rôle de premier plan dans la gestion des affaires.
L’impensable femme à cheval au XVIIe siècle
L’ouvrage développe ensuite la comparaison des Frondeuses avec les Amazones, celle de la légende antique, la chrétienne (Jeanne d’Arc), celles du Nouveau monde, celles de la culture de la Renaissance. Apparaît alors un nouveau genre, l’Amazone lorraine de la maison de Guise, de Vaudémont et de la princesse de Phalsbourg qui réussit des évasions rocambolesques de la ville de Nancy occupée par les troupes française vers 1625.
Donnons des modèles féminins à nos cours d’histoire comme Alberte-Barbe d’Ernecourt, dame de Saint Balmont (1607-1660) qui se distingue par ses succès militaires contre « les cravates», mercenaires croates au service des impériaux qui pillent la région de Verdun. Le gouverneur militaire de Verdun Feuquières propose même au secrétaire d’Etat Sublet des Noyers de placer des soldats français sous commandement de Mme de Saint Balmont !
L’ouvrage donne de nombreux exemples de ces femmes que la politique autoritaire menée par le roi de France et son ministre dans le but de « rabaisser l’orgueil des Grands » dans les années 1620 à 1640 a déjà conduit à entrer en résistance en adoptant des comportements masculins et à faire le choix des armes. Ces femmes de la noblesse, connues à la cour de France, encore vivantes et parfois actives sont autant de modèles pour les amazones de la Fronde.
Actrices des combats ?
Tout le monde raconte comment la grande Mademoiselle fait tirer au canon des murs de Paris sur son jeune cousin en 1652. Le mythe, fruit de la reconstruction par les Mazarinades, et d’une analyse rétrospective fonctionne à plein comme celui d’une aventurière isolée et rebelle. La réalité est beaucoup plus nuancée.
Or deux modes d’action principaux sont décrites chez ces princesses : les interventions à caractère militaire comme des Amazones de la Fronde pour trois femmes sur quinze, et celles qui relèvent de la diplomatie occulte accomplies par les « intrigantes ».
Les princesses s’incluent dans le groupe des combattants mais elles ne portent pas les armes. Elles financent la résistance, elles assurent la logistique et les travaux de fortification, elles prononcent d’efficaces discours destinés à rallier les populations locales, faisant preuve d’un charisme personnel, elles participent au recrutement des troupes tout en se chargeant des communications avec les autres personnalités du parti. Elles diffusent également très rapidement des textes de justification et de revendication de leurs actions guerrières de façon à donner une visibilité sur la scène politique et une lisibilité du caractère de princesse révoltée.
Le devoir héroïque au nom du Père
Les Frondeuses existent également par leur ancrage dans des couples unis, des réseaux familiaux, amicaux et clientélaires puissants où elles occupent des positions stratégiques. Elles se font médiatrices, ce que les historiens et les critiques appellent intrigantes. La seconde partie du livre s’interroge : dans quelle mesure l’idéologie raciale des élites rendue supérieure au principe de l’infériorité du sexe féminin peut-il être mis à profit par les Frondeuses pour affirmer leur propre valeur à la fois comme aristocrates et comme femmes (p 278)?
L’ouvrage renseigne d’abord sur les nombreux moyens d’intervention des femmes de l’aristocratie en suivant au plus près les négociations de la Fronde. Il montre les difficultés d’occuper une position intermédiaire tout en composant sereinement avec les intérêts contradictoires des uns des autres. La fonction médiatrice est souvent rejetée pour des raisons culturelles, parce que le comportement heurte de front les représentations les plus répandues quant aux rapports entre les sexes. L’intervention politique des Frondeuses alimente l’idée selon laquelle tout pouvoir féminin est nécessairement tyrannique et abusif. Cependant c’est par leur position au carrefour des familles et des partis que ces médiatrices parviennent à s’émanciper des tutelles qui pèsent sur elles, jusqu’à traiter d’égal à égal avec des ministres dans le cadre de relations contractuelles d’un genre nouveau et infléchir les choix des princes contre de substantielles rémunérations (p 272). Parmi les moyens employés, elles usent de liens de nature privée principalement familiaux et affectifs pour intervenir dans la sphère publique, dans la mesure où elles n’ont aucune autre source de légitimité sur le terrain politique. Le résultat de leurs actions dépend donc de l’ampleur et de la qualité des réseaux qu’elles peuvent mobiliser. Ce mode d’action qui n’est pas spécifiquement féminin, complète celui des hommes de l’Ancien régime donnant autant d’éléments concrets à la théorie des liens faibles [Mark Granovetter-1973 ].
Pour justifier leur intervention dans la sphère politique, les Frondeuses utilisent les liens de famille de façon particulière. Elles mettent en avant la défaillance des représentants masculins de leur maison qui justifie leur intervention d’épouses, de mères, de sœurs ou de filles. Elles s’appuient sur les discours de défense du bien public et sur l’exemple d’Anne d’Autriche, la première à offrir un exemple d’une autorité féminine légitime destinée à pallier les insuffisances du pouvoir masculin momentanément affaibli.
Une grande brigue en nébuleuse organisée par un matriclan
L’auteur s’interroge sur les liens et les positions des Frondeuses à l’intérieur de leur propre clan pour éclairer la place des femmes dans les grandes maisons princières. L’aristocratie frondeuse se regroupe autour de trois familles : les Condé, les Vendôme et les Rohan – Lorraine. Or ce sont souvent les femmes de ces familles qui sont indiquées comme moteur de la Fronde. Comment organisent-elles leur propre famille, leur propre clientèle en l’absence du pouvoir masculin ? Le matriclan est défini par les anthropologues et réutilisé par Katia Beguin dans son analyse sur le clan Condé [1999] autour de l’idée qu’un groupe social peut être fondée sur des relations nouées autour des femmes en suivant le principe de la filiation matrilinéaire. Il s’agit de montrer l’évolution des positions des princesses face à la nébuleuse aristocratique jusqu’à la noblesse seconde et provinciale, relais local de la Fronde. Les liens de patronage s’accompagnent souvent de relations affectives fortes amicales, voire amoureuses à l’égard de la patronne de substitution, de la conseillère qui défend face à l’adversité la prérogative de leur famille, les intérêts de leur parti.
Rentrer à la maison ou Comment quitter le champ de bataille (1652-1661)?
La dernière partie s’interroge sur la fin de la Fronde : met-elle un terme au rêve d’un monde mixte apparu parmi les élites aristocratiques, né de l’expérience des Frondeuses (p 387)?
La Fronde achevée, ces femmes ne parviennent pas à négocier dans leur propre famille, le principe de dépendance qui les unit aux hommes de la famille. Pour l’auteur, elles sont doublement vaincues, soumises au roi vainqueur qui met en place l’absolutisme, soumises à l’ordre patriarcal de la société où tout rentre dans l’ordre. Celles-ci vont suivre plusieurs chemins de renoncement en mettant de côté leurs comportements transgressifs que l’auteur structure entre le destin des médiatrices et celui des princesses qui ont pris les armes.
Quelques-unes paient de leur corps les fatigues de la guerre, les grossesses bousculées leur laissent une santé chancelante, retrouvant là leur humanité de femmes. Certaines regardent avec répugnance le principe d’un accommodement avec la cour, considéré comme une lâcheté vis-à-vis du prince et un désaveu des valeurs aristocratiques. Elles craignent parfois un bannissement et préfèrent se cacher avant d’accepter un départ en province. Elles doivent se résoudre à vivre loin de Paris et découvrir le quotidien d’une simple châtelaine dans une région reculée.
Le cas de la duchesse de Longueville est le plus emblématique : elle entre aux Carmélites du faubourg Saint Jacques et mène bientôt la fronde religieuse en rejoignant les jansénistes.
De son côté, le jeune Louis XIV déclare « mettre en oubli perpétuel tout ce que notre cousine, la duchesse de Longueville a fait, négocié, traité et entrepris ou fait faire, négocier, traiter et entreprendre par ceux qui l’ont suivie, servie, assistée et exécuté ses ordres dedans et dehors de notre royaume en quelque lieu et manière et avec qui que ce soit depuis sa retraite d’auprès de nous pour l’année 1651 ». Longtemps perçu par les historiens comme un acte d’amnistie, Sophie Vergnes montre que ce texte détaillé inscrit officiellement cette activité politique féminine dans l’histoire du règne de Louis XIV, reconnaît une véritable existence à cette révolte féminine mais l’objectif du roi est d’en signaler aussi la fin définitive. Le chapitre des princesses Frondeuses est désormais clos. Il a eu un caractère temporel et exceptionnel. Les actes d’insubordination de ses cousines sont conjoncturels et ne doivent pas rentrer dans l’histoire. Aussitôt se met en place un discours de minoration des faits. A la suite de ce livre très stimulant, il faut relire avec un autre œil à l’influence exercée par les maîtresses royales, les affaires de justice mettant en cause des femmes comme l’affaire des poisons, et déterminer avec précision le rôle joué par les dames de la cour, et les femmes de ministres.
Les conditions d’apparition du pouvoir féminin ne sont pas nées de la guerre civile. Le rôle charnière des femmes au sein des familles et des clientèles existait déjà avant la Fronde et qu’elles perdurent longtemps après. L’expérience de la guerre civile, la conclusion d’alliances, le travail de négociation, la rédaction de requêtes et de textes sont tout à fait susceptibles de développer les qualités des femmes à gérer un patrimoine familial et à promouvoir les intérêts de leurs maisons dans un processus plus classique d’exercice du pouvoir domestique.
A l’éclairage de ce livre, vous ne regarderez plus comme avant, les tableaux de ces femmes en Astrée ou Jézabel, de ces duchesses en Pallas, ou Minerve de ces Dianes chasseresses, de ces princesses Amazones.
Pascale Mormiche