C’est avec le plus vif intérêt que nous reprenons la mise en ligne des recensions de tous les numéros de questions internationales, cette publication de la documentation française que nous suivons depuis plusieurs années. Ce numéro est absolument indispensable pour le professeur de géographie du second degré, et bien entendu pour quelques autres, dans la thématique s’inscrit dans une réflexion sur la mondialisation.
Ce numéro est consacré aux grands ports, territoires de la mondialisation, un sujet qui s’inscrit parfaitement dans plusieurs questions des programmes, y compris pour les concours, puisque les grands ports mondiaux participent aussi de la géopolitique des espaces maritimes. La présentation de Serge Sur, le rédacteur en chef de cette publication, montre bien l’évolution de l’image des ports dans le contexte actuel. Solidement ancrés à leur territoire, les ports sont des créations humaines qui ont su tirer parti de conditions naturelles particulières, comme les estuaires, les baies et autres.
Les installations portuaires n’ont pas simplement une importance économique, mais également militaire. Dans la Manche, Louis XVI, suivi par Napoléon, a entrepris de développer la base navale de Cherbourg avec une très vaste rade artificielle. Les espaces côtiers dans le monde sont constellés de bases navales de divers types, discrète, peu accessibles et très protégées, en raison du caractère sensible de certains de leurs équipements, comme les sous-marins nucléaires.
Les grands ports commerciaux ce sont développés en liaison avec la croissance des échanges intercontinentaux de marchandises. 80 % des échanges physiques de biens sont réalisés par voie maritime et n’y a rien d’étonnant à ce que la multiplication l’expansion de ces espaces portuaires à utilisations plurielles ait concerné les puissances émergentes, et notamment la Chine qui s’appuie sur un hinterland appartenant à un univers industriel et marchand.
Les ports mondiaux sont des territoires de la mondialisation qui s’inscrivent clairement dans une démarche d’interfaces et de réseaux où s’additionnent les activités physiques, industrielles et de services publics comme privés. Les ports sont également des lieux d’éclatement puisqu’ils opèrent la conversion du transport maritime transport terrestre relié par la route ou le chemin de fer ou des canaux. À partir d’un port de taille mondiale il est possible d’éclater le trafic vers des ports spécialisés dans le traitement d’un produit spécifique.
Les ports s’inscrivent dans un réseau global qui les met en relation et en même temps concurrence avec les autres installations portuaires. Le rédacteur en chef de la revue s’interroge d’ailleurs sur une gouvernance mondiale de ces installations portuaires même s’il reconnaît qu’elle est très largement illusoire. La concurrence entre ports et le phénomène des pavillons de complaisance sont trop ancrés et soutenus par de trop puissants lobbys pour qu’il soit renoncé.
Les ports doivent répondre aujourd’hui plusieurs exigences, équivoques d’ailleurs entre régulation et dérégulation. La prime au développement portuaire a été donnée à l’efficacité, l’avantage technologique du conteneur s’est finalement très largement imposé. La rentabilité de l’installation portuaire a conduit à faire appel à des capitaux privés de plus en plus importants, ce qui crée un certain déséquilibre dans les relations avec le secteur public. Enfin, ces installations portuaires posent un problème considérable de sécurité, à la fois par le contenu de cargaison qui peuvent se révéler dangereuses, un méthanier détourné par une action terroriste représenterait l’équivalent du petite arme nucléaire, sans parler des trafics divers que la conteneurisation favorise.
L’administration américaine a d’ailleurs développé une initiative de sécurité des containers, qui permet à des fonctionnaires fédéraux de faire procéder à des inspections dans tous les ports du monde. Cela s’inscrit dans la lutte contre le terrorisme.
Le premier article de ce dossier a été rédigé par Tristan Lecoq, inspecteur général de l’éducation nationale, dans le groupe histoire–géographie. Il associe les ports et les transports pour une nouvelle géographie des mers et des océans. De façon parfaitement légitime il reprend à son compte l’intuition de Fernand Braudel qui fait de la mer l’acteur principal des mondialisations successives. Celle-ci sont le fruit de la relation des états à l’espace maritime autant que les mutations scientifiques et techniques.
Il est évidemment question d’étudier les conséquences de la maritimisation du monde qui n’a finalement pas tellement changé pendant une longue période entre le début du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle. Les routes maritimes mondiales passent par le canal de Suez et celui de Panama avec un système circulatoire dont l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord sont les deux pôles. Le monde maritime a été profondément bouleversé par l’irruption du conteneur qui a transformé l’organisation portuaire. Le monde des dockers et des docks apparaît comme une survivance, remplacés par des parcs de containers et des forêts de grues automatisées assurant le chargement rapide de navires spécialisés.
Depuis 20 ans les réseaux maritimes de l’économie mondiale connaissent une évolution sans précédent et se sont très largement densifiés vers l’Asie orientale. En seulement 25 ans le transport maritime a été multiplié par trois en volume, depuis 1990. Les ressorts de l’économie mondialisée ont nécessité des navires, des équipages, des constructeurs et des armateurs, de moins en moins européens. Pourtant, les « vieilles » économies maritimes contrôlent toujours, directement ou indirectement près de 40 % de la flotte mondiale. Les trois premiers opérateurs maritimes mondiaux sont encore européens même si la question du pavillon des navires, de la nationalité des personnels, et l’origine des capitaux, montre une plus grande diversité.
L’auteur insiste sur la continentalisation progressive de l’économie productive de l’Europe, conséquence de l’ouverture des économies des pays de l’Est, de la puissance commerciale de l’union européenne et du poids économique de la Russie qui a conduit un déplacement du centre de gravité de l’économie maritime européenne vers l’Europe centrale et orientale, danubienne balkanique. Cela donne ou redonne, à la mer Noire, une importance majeure. Pourtant la voie de mer du Nord avec la colonne vertébrale de la vallée rhénane reste d’une importance majeure.
Pourtant, malgré la diversification des réseaux, les points de passage sont loin d’avoir été détrônés. Il restent toujours aussi stratégiques, encombrés et fragiles. L’auteur affirme également que la vraie dépendance des ports se situe à l’égard de la relation à l’avant et à l’arrière-pays et dans ses possibilités de massification des flux, qu’ils soient ferroviaires, fluviaux ou routiers. Les ports s’appuient sur la constitution de plates-formes multimodales insérées dans des réseaux terrestres, aériens et maritimes, que l’on appelle les hubs.
Mais l’auteur va beaucoup plus loin en reliant les ports et les étendues maritimes en termes de sécurité et de partage de territoires. Le sujet des frontières maritimes est donc névralgique et débouche sur l’exercice de la souveraineté par la puissance qu’il assurait l’assume. La mer théâtre de l’exercice de la puissance. Le déploiement des grands puissances navales, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France devra faire face à terme à l’immense effort entrepris par la Chine et peut-être un retour de la Russie, surtout depuis sa conquête de la Crimée au printemps 2014.
César Ducruet présente le réseau maritime mondial et la hiérarchie portuaire en montrant qu’il existe pas véritablement d’études historiques et précises sur l’évolution de ces flux. Alors que 90 % des échanges commerciaux internationaux sont réalisés par la voie maritime, la vision que l’on peut avoir du développement socio-économique des villes et des états est très largement dominé par une vision continentale. Le réseau maritime mondial fait ressortir en matière de flux trois pics bien distincts.
Dans cet article très richement illustré par des cartes qui montrent le basculement des routes maritimes mondiales entre 1890 et 2008, on trouvera, et les amateurs de représentations radicales seront comblés, une comparaison des sous systèmes hiérarchiques du réseau maritime mondial à la fin du XIXe siècle et actuellement. C’est sans doute le meilleur document possible pour constater l’importance du
basculement opéré dans la hiérarchie des puissances.
Les professeurs de géographie apprécieront l’encadré « pour aller plus loin » rédigé par Paul Tourret sur le couple portuaire original de Rotterdam et d’Anvers. Dans le domaine du pétrole et du transport par conteneurs le rôle de Rotterdam n’est plus à démontrer, même s’il est d’émergence récente puisque son ouverture sur le Rhin, par une bouche artificielle, remonte à 1872. Pour le trafic par conteneurs le transbordement représente 36 % des flux, de nombreux conteneurs ne séjournant sur les quais que le temps de passer d’un porte-conteneurs océanique a un feeder de connexion locale. Le feeder est un petit porte-conteneurs qui permet de desservir d’autres ports du range nord européen.
Bien que de taille beaucoup moins importante, le port d’Anvers maintient sa position en raison de la qualité de ses opérateurs capables de répondre à des besoins très spécifiques, avec plusieurs entreprises privées spécialisées dans la manutention, stockage et la distribution de produits de niche, comme le bois et papier, les aciers travaillaient, les véhicules, etc. La moitié des flux conteneurisés du nord de la Seine irait à destination du port belge.
Yann Alix et Frédéric Carluer, respectivement géographe et économiste étudient le phénomène des méga ports, caractéristiques du basculement asiatique du commerce maritime mondial. En termes de tonnages totaux manutentionnés, huit des 10 premiers ports du monde sont dorénavant localisés en Chine continentale. Cette simple donnée se suffit à elle-même. Seuls Rotterdam et Anvers figurent dans le classement des 20 premiers ports mondiaux de 2014.
Les deux auteurs notent la marginalisation americano-européenne dans ce domaine et le basculement entre 2002 et 2014 des hiérarchies portuaires. En 2002 Rotterdam occupait la première place et on trouvait encore le port de Louisiane du Sud aux États-Unis au quatrième rang et celui d’Anvers en Belgique au septième. Deux ports japonais, Nagoya et Yokohama figuraient encore dans ce classement.
Les deux auteurs examinent avec intérêt les mouvements de rachat et de concentration financière dans les infrastructures portuaires. Dans ce domaine l’argument de la souveraineté nationale est évidemment brandi et l’importance des entreprises de manutention conteneurisée leur nationalité montre bien le basculement qui s’est opéré au profit de Hong Kong et de Singapour suivi par la Chine et Dubaï. L’opérateur danois APM terminal représente moins de la moitié des mouvements de hutchison Wampoa Limited de Singapour.
Un encadré de Jacques Guillaume évoque le déclin des ports maritimes français, et notamment de Marseille qui a perdu son rang de premier port méditerranéen au profit d’Algésiras. Les ports français ont pris du retard en matière de conteneurisation dans les années 80, et la position de la France, trop au Sud par rapport à la Northern Range et trop au nord par rapport aux échanges Sud Sud, est loin d’être favorable. La qualité du réseau routier et le maintien d’une « pente naturelle » des activités du nord de l’Est et du centre vers Anvers et Rotterdam montrent que 85 % des flux échappent aux ports français.
Dans un nouvel encadré de Paul Tourret, « pour aller plus loin », Singapour reçoit un traitement particulier. Pôle pétrolier dans les années 60, Singapour s’est emparé du trafic de conteneurs dès le début et à partir de Jurong d’autres zones portuaires se sont développées en Malaisie proche notamment.
L’article d’Éric Foulquier traite de la mondialisation des transports et de la dynamique des espaces portuaires. Si l’expansion du trafic portuaire mondial est constatée, il faut noter la dispersion portuaire qui bénéficie toujours, mais pour un temps seulement, aux vieilles puissances industrielles comme l’Europe et l’Amérique du Nord. Toutefois l’Asie est actuellement en position dominante, avec 40 % des flux portuaires mondiaux tandis que l’Afrique n’ont fourni que 6 %.
Le développement du numérique a permis la dématérialisation des procédures de déclaration et l’instantanéité de circulation de l’information entre les intervenants du transport, ce qui a accompagné la révolution logistique constituée par le conteneur. Les défis que les différents opérateurs, entreprises de manutention et armateurs doivent relever est celui de la productivité. Depuis 1997 la capacité moyenne des porte-conteneurs a été multipliée par trois, atteignant 3000 EVP en 2012.
L’équivalent vingt pieds ou EVP (en anglais, twenty-foot equivalent unit : TEU) est une unité approximative de mesure de conteneur qui regroupe à la fois les conteneurs de 20 pieds et de 40 pieds. On l’utilise pour simplifier le calcul du volume de conteneurs dans un terminal ou dans un navire. Un conteneur de 20 pieds vaut 1 EVP et un conteneur de 40 pieds en vaut 2. Il est ainsi possible d’additionner les EVP, indépendamment de la taille des conteneurs chargés (la norme ISO 668:1995 définit des conteneurs de 10, 20 et 40 pieds). La capacité du porte-conteneurs Emma Mærsk est ainsi évaluée à 11 000 EVP. Un conteneur standard d’un EVP mesure 2,591 mètres (8,5 pieds) de haut sur 2,438 m de large (8 pieds) et 6,096 m (20 pieds) de long ; cela représente environ 38,5 mètres cubes, ce qui permet par exemple de déménager le contenu d’une petite maison. Un conteneur high cube est lui aussi équivalent à 1 EVP. La mesure est approximative : les conteneurs high cube (« hauts ») (hauteur : 10 pieds, volume : 43,0 mètres cubes) et les demi-conteneurs (hauteur : 4,25 pieds, volume : 19,3 mètres cubes), moins utilisés, sont aussi comptabilisés comme 1 EVP.
En réalité les limites sont sans cesse repoussées, le but étend de réduire les consommations de carburant. La compagnie danoise Maersk a inauguré une série de navires d’une capacité de 18 000 EVP mêmes si actuellement le plus gros porte conteneur du monde avec une capacité de 16 000 EVP est toujours le Jules Verne de la compagnie maritime française CMA CGM.
Les amateurs de questions militaires pourront lire avec profit l’article de Jean-Paul Pancracio qui traite du régime spécifique des bases navales en territoire étranger. Les États-Unis en compte actuellement le plus grand nombre mais la Chine cherche à se développer dans ce domaine, on connaît la stratégie du collier de perles, de même que la Russie qui entend disposer de relais maritime en mer Noire et en Méditerranée à l’exemple du port de Tartous en Syrie et de Sébastopol en Crimée, qui fait désormais partie du territoire de la Russie. La base navale de Djibouti est utilisée traditionnellement par la France mais les États-Unis y sont implantés et même le Japon depuis 2010 en vue d’un soutien logistique ses forces navales escale de positionnement de ces avions de reconnaissance maritime participant à la lutte contre la piraterie. Les neufs dixièmes des flux commerciaux du Japon transitent par la route maritime Aden–Suez.
Les bases britanniques à Chypre ont été définitivement cédées après l’indépendance de 1959 au Royaume-Uni et constituent des enclaves indépendantes.
Le régime juridique des bases navales en territoire étranger est celui de l’extraterritorialité, ce qui en général repose sur des accords très précis concernant l’exercice de l’autorité sur les personnels militaires dans leur base et à l’extérieur de celle-ci. Des tensions ont pu apparaître à propos de la présence des bases américaines implantées sur l’île d’Okinawa, le personnel américain disposant de l’immunité au regard du droit local. Plusieurs incidents ont eu lieu et ont créé des situations de tensions entre les deux pays. Pour les pays qui accueillent des bases navales étrangères, cela peut constituer une source de revenus considérables, les trois locataires de Djibouti payent chacun un loyer annuel de 30 millions d’euros.
Brigitte Daudet présente dans un encadré « pour aller plus loin » la dynamique portuaire subsaharienne, ce qui permet d’illustrer des séquences sur l’insertion de l’Afrique dans la mondialisation. De nouveaux terminaux spécialisés sont en construction et leur rôle est de plus en plus important puisqu’ils servent de débouchés naturels pour les pays enclavés.
Ce numéro de questions internationales consacrés aux espaces maritimes ne serait pas complet sans l’article d’Hubert Bonin consacré au canal de Suez dans les relations internationales. Construit par les Français, largement utilisé par les Britanniques sur la route des Indes, il échappe à la propriété de l’Égypte en 1875. Le statut du canal de Suez en matière de neutralité n’a jamais été respecté pendant les deux guerres mondiales, et à partir de 1956, après la crise de Suez la voie d’eau est devenue égyptienne. Le canal est devenu la troisième source de devises l’Égypte après les revenus du tourisme les transferts de fonds des migrants. Actuellement en cours d’agrandissement le canal sera assorti d’un réseau de tunnels automobiles et ferroviaires ce qui devrait permettre, avec l’élargissement une attente de trois heures au lieu de 11 actuellement est un trafique de près de 100 navires par jour.
Le même auteur présente également le canal de Panama avec les vicissitudes du chantier français jusqu’au scandale politico-financier qui a entaché sa construction. À la toute fin du XIXe siècle les États-Unis imposent leur domination sur l’Amérique centrale, organisent la sécession de Panama d’avec la Colombie, rachètent la compagnie française du canal et finissent les travaux 1914.
Le trafic du canal représente près de 15 000 navires parents pour 300 millions de tonnes aujourd’hui. Le canal de Panama est en chantier permanent les nouveaux équipements qui devraient permettre le passage de navires mesurant jusqu’à 400 m de long et 50 m de large a pris du retard, le coût du chantier a pratiquement doublé mais les nouveaux équipements devraient entrer en fonctionnement en 2016.
Le canal de Panama trouve déjà un concurrent avec le projet du Nicaragua qui souhaite relancer un vieux projet de 1849 de canal transocéanique sur son territoire. Parmi les financeurs du projet, représentant plus de trois fois la longueur du canal de Panama, plus large et plus profond, on trouve un consortium chinois originaire d’Hong Kong avec un budget prévisionnel de 40 milliards de dollars pour 10 ans de chantier. Mais pour l’instant aucun coup de pioche n’a encore été donné.Le Nicaragua a inauguré lundi 22 décembre la construction d’un nouveau canal interocéanique. Le chantier, qui devrait durer 5 ans, a débuté à l’embouchure du fleuve Brito, sur la côte Pacifique sud.
Bruno Modica