Cet ouvrage collectif coordonné par Véronique Sales propose une galerie de portraits d’historiens des XIX èmes et XX ème siècles. Il se donne pour ambition de traiter des historiens qui ont transformé la discipline par leurs travaux, en revenant sur leur vie. Les noms retenus peuvent étonner, se côtoient des historiens très célèbres et d’autres peu connus. Vingt historiens sont tour à tour présentés. Un tel ouvrage peut être utile aux candidats aux Capes interne comme externe, sans toutefois se présenter comme une synthèse historiographique ni dispenser d’une fréquentation des textes des historiens eux-mêmes.
L’article sur Michelet ouvre le livre, sous la plume de Patrick Cabanel. Il s’agit de resituer l’historien dans sa génération, celle d’après les grands événements de la révolution qu’il va en quelque sorte vivre par procuration, première génération d’historiens après le temps des témoins. Depuis l’influence de Cousin et Guizot jusqu’à la visée d’une grande histoire de France, on peut suivre l’évolution de Michelet sur des chemins littéraires et historiens, pointer les aspects novateurs de son œuvre. Sur les champs économiques et sociaux Patrick Cabanel associe Michelet à Braudel ou même, quand il s’intéresse au pain, au café, au tabac, à Corbin. Michelet « inventeur » de la France, précurseur à bien des égards, incontournable dans cette galerie de portraits.
C’est Jacques Olivier Boudon qui à son tour présente Alexis de Tocqueville, après un rappel rapide de sa jeunesse, comme élève de Guizot et lecteur de Thiers, l’auteur montre comment il fut ce qu’on n’appelait pas un « historien du temps présent ». C’est avec une soif de comprendre son temps, qu’il s’engage dans une comparaison des civilisations : L’Ancien Régime et la Révolution et De la Démocratie en Amérique. J.O. Boudon présente le parcours intellectuel et un comme un compte rendu de l’œuvre. Enfin il évoque le relatif oubli dès la fin du XIXème, l’hommage rendu par Braudel dans la préface des Souvenirs et la lecture incontournable de Tocqueville pour tous les historiens de la révolution de furet à Soboul.
Karl Marx, un philosophe chez les historiens, un témoin engagé comme le qualifie Michelle Vovelle chargé de cette présentation. C’est à la lumière des études récentes que nous est proposée une histoire de la vie du penseur puis une analyse de l’œuvre « historique » de Marx, une présentation du matérialisme historique et surtout une réflexion sur l’apport chez les historiens depuis « l’Histoire socialiste de la Révolution française » de Jean Jaurès aux travaux des historiens marxistes : d’Albert Mathiez à Guy Bois ; sans négliger l’influence sur les historiens non marxistes au travers des questionnements sur l’économique, le social, les systèmes culturels.
C’est à Denis Crouzet que revient le rôle de présenter Lucien Febvre, le fondateur des Annales qui définit l’histoire à la fois comme reconstitution du passé et comme aventure intellectuelle de l’historien et de le replacer dans sa foisonnante génération. La problématique générale de son œuvre est développée autour de la crainte de l’anachronisme et de la quête épistémologique.
Dominique Barthélémy s’est chargé de Marc Bloch, « fils » de Fustel et lecteur de Durkheim. Ses principaux travaux sont présentés en mettant en évidence l’influence de la sociologie, mais aussi le maître prématurément disparu pour la génération des historiens d’après guerre.
Pierre Renouvin est présenté par Annette et Jean Jacques Becker comme le spécialiste de l’histoire des relations internationales et de la guerre qui n’utilisa jamais ses souvenirs de témoin de la Grande Guerre. Son influence, affaiblie, est sans doute liée à sa carrière en marge des Annales, à son refus d’emprunter aux sciences voisines.
C’est au sociologue Norbert Elias que Philippe Salvadori rend hommage. Présentant l’intérêt qu’il porta à la société de cour, il montre son influence sur les historiens des mentalités et de la vie quotidienne en rupture avec l’histoire quantitative. L’article se termine sur la critique des explications proposées par Elias sur la société moderne sans forcément remettre en cause son approche du jeu social.
Jacques Poloni-Simard rappelle que tout Braudel est déjà en germe dans les conférences qu’il donna en captivité : histoire longue des sociétés, civilisation, géo-histoire. Les trois grands titres de Fernand Braudel sont présentés : La Méditerranée, Civilisation matérielle et l’identité de la France, dans pour leur contenu que leur influence : son rôle à la tête des Annales, son souci de l’enseignement (il rédigea un manuel : Grammaire des civilisations), sa place dans l’historiographie, son projet d’expliquer le monde.
Maurice Sartre dresse une apologie de Louis Robert, « sa grande érudition… » dans l’étude géo-historique, la toponymie et l’épigraphie hellénistique.
Alain Bresson, nous présente un autre antiquisant Moses Finley dont l’œuvre irrigue encore la recherche sur le monde grec. Son « monde d’Ulysse » met en évidence l’apport des méthodes et questions de la sociologie au moment même où l’écriture mycénienne était enfin déchiffrée. On lui doit aussi d’avoir poussé l’archéologie vers la recherche de problématiques. La présentation de l’œuvre de Finley s’accompagne d’une réflexion sur les fondements et les limites en forme de bilan critique.
Puis François Lebrun nous livre un portrait de Philippe Ariès. L’historien est situé dans son contexte socio-politique, dans sa découverte de l’école des Annales, dans quelles circonstances il fut conduit à défricher un territoire nouveau : celui de la démographie historique et des attitudes anciennes face à la vie, l’enfance. C’est l’évocation du parcours atypique de cet « historien amateur » comme il se qualifiait lui-même. Fr. Lebrun resitue Ariès parmi les historiens de son temps traquant les filiations intellectuelles et les apports spécifiques.
Stéphane Audouin-Rouzeau choisit de nous présenter un historien peu connu en France : George Mosse ; son œuvre centrée sur l’histoire de l’Allemagne entre les deux guerres, l’histoire des attitudes et des pratiques est déterminante pour les recherches sur l’Europe et le totalitarisme. Le récit de sa vie met en lumière l’influence de son expérience sur ses travaux, abordant l’étude du nazisme sous un angle « religieux », de la place des mythes mais aussi de la sexualité dans les idéologies de l’époque. Enfin avec Fallen soldiers il innove dans une tentative de compréhension des conséquences de la mort massive lors du premier conflit mondial, avec la création du concept de « brutalization ».
C’est ensuite le tour de trois médiévistes. Patrick Boucheron présente Georges Duby, sans doute l’un des historiens les plus connus du grand public, comme une synthèse des courants historiques de la deuxième moitié du XXème siècle. Il nous rappelle ses débuts de géographe, son attachement au monde rural, ses paysages et ses oeuvres d’art qui l’ont amené à rompre avec la démarche des médiévistes qui le précédent. Au travers de toute l’œuvre les influences marxistes, celle de Lucien Febvre et l’histoire des sensibilités, les anthropologues. Il faut aussi rappeler le rôle de Duby dans l’édition, choisissant de faire écrire pour le public non des vulgarisateurs mais des historiens, pari de grandes collections et aventure de la télévision. Sur ces chantiers il côtoya Jacques Le Goff présenté ici par Alain Boureau. On y retrouve le parcours de cet historien du monde urbain, dont l’originalité est sans doute, à partir d’une vision anthropologique de temps et de l’espace, d’avoir posé la question des limites chronologiques du Moyen Age. Enfin c’est la question de l’acteur, le « Saint Louis » qui est analysée ici.
Michel Parisse rappelle les liens entre K F Werner et ses collègues français : Duby, Le Goff… mais aussi les curiosités pour l’histoire du temps présent, la réflexion sur la place des historiens dans le régime nazi. Ce spécialiste des carolingiens s’appuya sur une méthodologie rigoureuse : reprendre les sources pour casser les représentations et les idées reçues et les affirmations sans preuve par exemple à propos de Clovis et proposa une présentation renouvelée du X ème siècle.
François Furet ou l’influence des idées politiques sur le discours historien. Partant de sa biographie pour resituer l’oeuvre, non entièrement consacrée à la Révolution comme on le croit parfois, c’est une interprétation de ses analyses de la Révolution, de la terreur et du totalitarisme qui nous livre Mona Ozouf.
Paul Veynes que Patrick Le Roux qualifie de » persan » dans le monde de l’histoire ancienne est replacé dans l’évolution historiographique des années 50-60. Son originalité dans la démarche, les questionnements et la réflexion épistémologique marque son grand livre : Le pain et le cirque et dérange les historiens du monde romain.
Pierre Vidal-Naquet, un antiquisant engagé dans le monde d’aujourd’hui dont, Pauline Schmitt Pantel tente de retracer le parcours depuis « L’affaire Audin » son premier livre , l’influence de ses maîtres André Aymard et Henri-Irénée Marrou jusqu’à ses travaux sur les rapports entre pensée et formes de société s’appuyant sur les apports de l’anthropologie. Une autre facette est sa réflexion sur l’écriture de l’histoire, le statut de la vérité, sa tension avec la mémoire.
C’est avec Peter Brown que se termine l’ouvrage. C’est une synthèse de l’œuvre de ce spécialiste du bas empire qui refuse l’idée d’une décadence. Hervé Inglebert présente la querelle sur la périodisation de l’antiquité tardive fondée sur des critères religieux et culturels et non plus socio-politiques.