Voici un ouvrage qui nous a été envoyé par un de nos éditeurs partenaires, le comité pour l’histoire économique et financière de la France rattachée à l’IGPDE. Cette publication des actes d’un colloque qui s’est tenu en octobre 2010 peut apparaître comme assez austère. Pourtant, elle est au cœur de nos préoccupations,- je parle de l’association des Clionautes-, tout simplement parce que c’est l’action de ces ingénieurs, rattachés aux services de l’État, par le corps des télécommunications, qui a jeté les bases du développement des systèmes de communication, du télégraphe optique à la téléphonie, jusqu’à Internet.

Le corps des ingénieurs des télécommunications s’est inscrit dans le cadre d’un monopole public jusqu’aux dernières années du XXe siècle. L’évolution de trajectoires des individus qui ont formé ce corps rejoint celle de leurs terrains d’intervention, à savoir les télécommunications.
Il faut remonter à la toute fin du XVIIIe siècle, pendant les guerres de la révolution et de l’empire pour assister à la naissance de ce corps, dont le premier représentant a été nommé par Lakanal en 1796, à savoir Claude Chappe. En août 1794 son système de télégraphe optique permet à la convention d’être informé, une heure après les événements, de la victoire des armées de la république contre les Autrichiens à Condé sur l’Escaut. Le groupe constitué par Chappe et ses héritiers, même s’il présente les structures de l’entreprise familiale, et rattachée à l’administration de l’État. L’empire napoléonien permet de nouvelles opportunités de développement et ce réseau de tours optiques avec un système de signalisation utilisant des codes qui restent secrets, pousse ses ramifications vers l’Italie, la Bretagne, et le Nord, atteignant Venise Amsterdam. La famille conserve le contrôle, direct ou indirect de l’administration télégraphique jusqu’en 1830.
En matière d’aménagement du territoire, il est évident que la fonction centralisatrice de ce réseau reste confirmée. La structure en étoile à partir de Paris s’inscrit dans le réseau des routes royales devenues nationales, et dans le futur réseau des voies ferrées.

Les lignes de télégraphe optique sont peu à peu électrifiées et s’ouvrent aux particuliers après de longs débats en 1850. Sous le second empire l’administration télégraphique est élevée au rang de direction générale avec une autonomie par rapport à l’administration postale. Composé pour deux tiers d’anciens polytechniciens, l’administration des lignes télégraphiques fonctionne comme un établissement public relativement autonome.
La III e République participe à la réorganisation du service avec la création par Jules revit le 5 février 1879 d’un ministère des postes et télégraphes. Une école supérieure de télégraphie est également créée en juillet 1878.
La téléphonie commence à se développer de façon balbutiante à partir de 1880 à partir des brevets américains de Bell et d’Edison. Il y a 306 abonnés pour l’ensemble du territoire. Pour échapper à cette domination de brevets extérieurs l’administration décide de mettre en place sa propre infrastructure en remettant en cause la concession de la société générale de téléphonie. Déjà à cette époque les milieux d’affaires libéraux s’opposent à cette intrusion de l’État dans le secteur de l’initiative privée, même si la nationalisation de la société générale de téléphonie et votés le 10 juillet 1889.
Cette nationalisation conduit à la reprise en main du réseau téléphonique à partir de l’administration postale tandis que les ingénieurs de télécommunications se voient marginalisés dans leur propre administration. Jusqu’à la seconde guerre mondiale les télécommunications, indépendamment de leur usage militaire, ne sont pas considérés comme essentiels au développement. Jusqu’en 1939 les technologies sont basées sur l’électromécanique et sur une première électronique qui est celle des tubes à vide, ces grosses ampoules que l’on retrouve dans les postes de radio d’avant le transistor.
Il faut attendre le tout début des années 60 pourquoi envisage le développement du réseau téléphonique comme une priorité. L’automatisation des standards fait disparaître « les dames du téléphone », et le fameux 22 à Asnières. Le défi commence à être relevé au début des années 70 avec une accélération de la diffusion des procédés de numérisation, d’interfaces entre le câble et les satellites, jusqu’à l’arrivée de la fibre optique.

Dans cet ouvrage qui rassemble plusieurs communications, les auteurs qui sont des spécialistes abordent différents aspects qui devraient susciter la réflexion des « connectés « que nous sommes.
Parmi les articles qui peuvent apparaître comme « émouvants » pour beaucoup de lecteurs de la Cliothèque, celui de Benjamin Thierry qui traite « de tic-tac au Minitel, la télématique grand public, une réussite française ». On a peut-être oublié que le réseau Transpac s’est éteint le 30 juin 2012 seulement et a fait disparaître cet objet très français, le Minitel, qui a été pour beaucoup d’entre nous le premier accès à l’écran en dehors de la télévision. La télématique a été une innovation radicale dans les pratiques de communication des Français, et l’adoption rapide du Minitel dans les années 80 semble avoir joué un rôle dans l’éducation précoce au numérique des Français. Benjamin Thierry revient sur la nécessité du rattrapage dans les années 60 à 70, et rappelle que c’est dans le cadre de l’État que l’innovation se développait, notamment avec les projets vidéotexte, conçue en collaboration avec l’ORTF, et en 1974 le système Antiope, une norme d’affichage qui permet de visualiser sur l’écran d’un récepteur de télévision des pages de texte de 24 lignes et de 40 caractères ou des graphiques rudimentaires.
Le centre national des télécommunications développe également des prototypes des systèmes interactifs avec le premier projet tic-tac, terminal intégré comportant un téléviseur avec appel au clavier. Ce sont les balbutiements du Minitel qui commence ainsi.
Le Minitel a été présenté par Pascal Griset comme faisant partie de l’en France numérique de la France, une innovation intermédiaire mais radicale qui s’est très rapidement développée à une époque où le prix des micro-ordinateurs était encore prohibitif. En 1985, un ordinateur de type Amstrad coûtait 5000 Fr tandis qu’un Macintosh se situait très largement au-dessus 15 000 Fr.
l’auteur de cet article revient d’ailleurs sur les controverses qui ont animé ce développement, avec déjà l’évocation de la fin du papier.
Dans un autre domaine Philippe Dupuis refait historique de la norme GSM, qui est celle de la téléphonie mobile qui a vu le jour en Scandinavie avec les premiers réseaux cellulaires commerciaux. Ce sont les opérateurs scandinaves qui ont permis l’adoption, sur fond de concurrence entre les différentes normes GSM et AMPS, du standard européen qui s’est finalement imposé dans la période 1982-1987.

Léonard Laborie retrace également l’émergence de télécommunications par fibre optique en France, entre 1971 en 1981 rappelant toutefois que ces grosses infrastructures sont équipées, nous sommes encore loin de l’arrivée de la fibre optique dans les foyers qui supprimeraient définitivement l’utilisation du câble de cuivre avec ses différentes paires. Encore une fois ce sont des politiques volontaristes, celle de l’État, avant le choc de la privatisation par la loi de 1996, qui ont permis ces développements.

Cet ouvrage est particulièrement riche et permet incontestablement pour les historiens – géographes « connectés » que nous sommes, de savoir d’où nous venons. Au-delà de cet intérêt, nous pouvons y trouver également des références en matière d’aménagement du territoire, des pistes de réflexion sur le rôle du service public et sur la façon dont il a fallu affronter les tendances à la dérégulation. Ce sont donc des sujets particulièrement prometteurs qui peuvent susciter, car ce mouvement n’est évidemment pas terminé, bien des débats et des échanges.


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