« Heureux ceux qui pleurent ! » (Matthieu 5 : 3-12). Cependant, il n’est, de nos jours, guère d’usage de pleurer et encore moins en public ! Il faut savoir se tenir, faire face mais les larmes seraient-elles seulement un signe de faiblesse ? Que nenni ! Sarah Rey, Maître de Conférences en Histoire Ancienne à l’Université de Valenciennes nous emporte avec aisance sous la Rome antique dans le flot ardent des émotions qu’elles soient douleur, souffrance, spleen, tendresse ou joie… qu’elles soient spontanées ou maîtrisées voire … utilisées….
Qui pleure ? À Rome, les hommes, les femmes et même parfois les chevaux ou les statues y vont de leurs sanglots. Véritable trésor, ces larmes inestimables sont alors recueillies et conservées bien à l’abri dans de minuscules fioles. Comment pleure-t-on ? Chaudement, à pluie torrentielle ou y va-t-on de sa petite larme ? En silence prostré sur soi-même ou à grands cris et avec de grands gestes ? Et la température des larmes, que signifie-t-elle ? Peut-on ou doit-on pleurer ? Pleurer ou se taire ? De quoi pleure-t-on ? Les larmes sont-elles le signe de la tristesse, de la joie ? Larmoie-t-on sur commande ? Pleure-t-on à une période déterminée selon un temps contraint ? Est-ce bien ou mal vu ? À quoi servent ces larmes ? À implorer les puissants, à remplir un devoir envers un défunt, à annoncer un désastre ou un cataclysme lorsqu’elles jaillissent soudain sans aucune raison et sans qu’on puisse les retenir, à (telle Marie-Madeleine aux longs cheveux) laver les pieds du voyageur? Qu’elle soit sincère ou hypocrite, chaque larme est unique, ses usages et significations aussi ! Sa présence peut être dérangeante, son absence le signe d’une certaine indifférence voire … d’un abus de pouvoir ! La façon de considérer ces pleurs évolue à travers le temps. Parallèlement, à une même période, elle diffère aussi suivant les individus, leur position dans la société et les circonstances. À Rome, les chrétiens ne pleurent pas comme les autres, eux qui dans le martyr contiennent leurs plaintes et leurs sanglots, eux qui dans l’ascèse et la pénitence déversent d’impétueux torrents lacrymaux. Bref où que l’on soit, qui que l’on soit, il convient en tout temps et en tout lieu de pleurer au bon moment, à juste titre et surtout comme il faut.
Dernière parution des éditions Anamosa, ces Larmes de Rome sont, on l’aura compris, « une belle liqueur » (selon l’expression de Jean Climaque). Anamosa (dont le nom signifie « tu marches avec moi » chez les Sauks, une tribu amérindienne) est ainsi une maison d’édition que l’on gagne à découvrir et dont il faudra suivre attentivement les publications. Deux autres ouvrages, excellents eux-aussi et fort utiles au professeur d’Éducation Morale et Civique avaient déjà retenu notre attention : A voté : une histoire de l’élection de Laurent Le Gall, Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Brest, paru au printemps dernier et , il y a un an, Du sexisme dans le sport de Béatrice Barbusse, Maître de conférences en sociologie à l’université Paris-Est Créteil, qui sans tomber dans les clichés aborde les multitudes facettes de ce fléau ; une réussite qui aurait toute sa place dans les CDI. Le stimulant ouvrage de Sarah Rey viendra, quant à lui, rejoindre les rayonnages du professeur d’Histoire ou de tous ceux qui s’intéressent à l’Histoire ancienne ou à l’Histoire des émotions. En effet, l’auteur dépasse parfois sa sphère chronologique, amenant le lecteur à reconsidérer les larmes de Xi Jinping et celles de Barak Obama, ou encore à se pencher sur les raisons de l’introduction de la minute de silence après la Première Guerre Mondiale et l’évolution de la conception sonore du recueillement…. C’est tout l’atout de cette collection et de ce livre qui, ancrant le passé dans le présent et le présent dans le passé, fait réfléchir sur la façon dont les uns et les autres ont utilisé ou utilisent encore les larmes, les émotions – les leurs et celle d’autrui-, aujourd’hui aussi bien qu’hier. À travers les siècles, les faits montrent que les larmes sont aussi parfois une véritable arme. « Pleurer, se plaindre et gémir, c’est se rebeller » disait Sénèque, les sanglots des empereurs ont quant à eux aussi une dimension politique ou quand l’art de gouverner devient l’art de pleurer…
Finalement à qui et à quoi servent les larmes ? Elles servent à tous et à tout ! Cette passionnante réflexion, au style fluide, se lit comme un roman. La couverture de l’ouvrage est également très bien pensée (où l’on retrouve le souci de la maison d’édition d’accompagner au mieux à la fois l’auteur et le lecteur) : outre son iconographie de grande qualité, elle est conçue comme un petit coffret tout en faisant office de marque page. De ce bel écrin, ces Larmes de Rome jaillissent en gouttelettes comme d’inestimables perles ô combien précieuses ! La fin d’année approche, n’hésitons pas à nous y abreuver et à y puiser l’inspiration de nos cadeaux pour les fêtes. Quand les larmes sont de joie, puissent-elles se déverser à grands flots !
Véronique Grandpierre