Dans une collection baptisée « Lignes de vie d’un peuple », les Ateliers Henry Dougier nous proposent une mise au point sur un peuple à partir d’une série de courtes enquêtes.

Les Lettons par Céline Bayou et Eric Le Bourhis

Cette introduction à l’histoire et la géographie lettone est écrite à 4 mains. Céline Bayou est chargée de cours à l’INALCO et membre associée au Centre de recherches Europes-Eurasie. Avec Matthieu Chillaud, elle a notamment publié les États baltes en transition en 2012 pour l’éditeur Peter Lang. Eric Le Bourhis est historien et chercheur affilié à l’Institut des Sciences sociales du politique. Spécialiste des transformations de la ville de Riga au XXème siècle, il a soutenu sa thèse de doctorat à l’EHESS : « Avec le plan, contre le modèle. Urbanisme et changement urbain à Riga en URSS (1945-1990) ».

Alternant entre de courts entretiens avec différentes personnalités lettones (géographe, élu, militant, paysager, biologiste, écrivain, avocat, entrepreneur) et des mises au point scientifiques, ce livre nous permet d’aborder un pays souvent en retrait dans les publications en langue française.

Le droit de partir et de (re)venir

La Lettonie est profondément marquée par les migrations. La géographe Aija Lulle, spécialiste des migrations des Lettons vers les îles britanniques estime que le nombre d’expatriés lettons est de 400 000 personnes pour une population de 2 millions d’habitants. Les migrations se font majoritairement vers les petites villes et les espaces ruraux britanniques. De manière secondaire, les Lettons émigrent également vers l’Allemagne et la Scandinavie. Les représentants politiques commencent tout juste à prendre conscience de l’ampleur du phénomène, pourtant ancien.

«Les Lettons ont une double réputation : casaniers chez eux, lorsqu’ils font leur valise, c’est pour partir loin : un employeur de Rezekne sait combien il est difficile d’embaucher si la main d’oeuvre se situe à Ventspils.»

L’ex-présidente lettone, Vaira Vike-Freiberga illustre bien ce cheminement. Après 54 ans à l’étranger et une carrière de chercheure en psychologie à l’Université de Montréal, Vaira Vike-Freiberga est élu présidente en 1999. Dans un pays marqué par les influences russes et allemandes, les souvenirs de deux retraités, Medija Hnoha et Edgars Senbergs rappellent que de nombreux lettons étaient des membres de l’armée rouge soviétique et des SS allemands.

Vivre avec la nature

Oscillant entre traditions et progrès, la Lettonie se tourne désormais vers l’écologie pour assurer son développement. Le différentiel de salaire entre les hommes et les femmes est l’un des moins élevés d’Europe. Le pays est généralement placé parmi les plus respectueux de l’environnement. Les enjeux autour de la préservation ou l’éradication de la faune sont présentés par Janis Ozolins. Dans les années 2000, la mairie a créé un conseil spécifique pour prendre une décision vis-à-vis des castors présents dans le centre-ville de Riga : à mi-chemin entre l’installation d’une réserve naturelle et l’éradication de la colonie, la mairie a choisi d’aménager des clôtures autour des essences végétales importantes. Un problème analogue se pose avec les sangliers qui ne résisteraient pas aux hivers rigoureux si les chasseurs ne les nourrissaient pas.

Riga, capitale de contrastes

Capitale à la tête d’un réseau urbain marqué par une forte primatie, l’agglomération de Riga abrite près d’un million d’habitants. Solvita Krese présente Riga comme une ville en pleine métamorphose où la vieille ville touristique côtoient des quartiers périphériques en gentrification. En 2014, le Daily Mail a nommé Riga comme étant « l’une des villes les plus hype du monde » et notamment la rue de la Paix. Il convient toutefois de reconnaître que le nom de la rue n’est pas le fruit du pacifisme : c’est la rue menant aux vastes cimetières de la ville abritant pendant longtemps des pompes funèbres devant lesquels passent les convois mortuaires. Pour les langues, la ville se distingue également par la proportion de locuteurs russes : plus de 54% en 2016.

Le prix de l’émancipation féminine

La Lettonie présente l’un des taux les plus élevés d’Europe concernant les femmes dans les postes de direction. Le Parlement letton, le ministère des finances et la confédération des employeurs sont dirigés par des femmes. Selon Aiva Viksna, 37% des entrepreneurs sont des femmes notamment dans les nouvelles technologies et les cosmétiques, mais aussi dans le BTP. La Lettonie est l’un des pays au monde où la part des femmes architectes est la plus élevée (58%).

Russie, un ennemi si intime

Le pays abrite plus de 25% de russes et le bilinguisme est nécessaire au quotidien. 54% des Lettons sont trilingues. Lettophones et russophones se retrouvent autour d’une histoire parfois conflictuel. L’édition de manuels scolaires russo-lettons est un échec en 2010-2014. Le point crucial est celui de la qualification de l’annexion de la Lettonie par l’URSS en 1940 : colonisation ou occupation ?

L’ouvrage se termine par de courtes biographies d’auteurs lettons insistant notamment sur les dainas (des chants traditionnels transmis de génération en génération évoquant la vie quotidienne). Une bibliographie et les principales dates de l’histoire contemporaine précèdent une carte réalisée par Alexandre Nicolas.

En conclusion, une excellente synthèse à la culture lettone simple et facile à lire, pouvant rejoindre le fond documentaire d’un CDI pour le collège et le lycée.

A noter que les prochaines sorties dans cette collection, prévues en 2017, s’intéresseront aux Danois et Finlandais.

Pour aller plus loin :

Antoine BARONNET @ Clionautes